
Par Dany K. AYIDA
Les évêques du Togo ont rendu public un message en date du 26 mai 2025. Comme d’habitude, ils ne se sont pas exprimés dans le langage commun accessible à tous. Leur déclaration n’est pas à lire comme un article de presse ou le communiqué d’un parti politique. Une bonne dose de philosophie politique combinée à des connaissances théologiques est nécessaire pour décryptée ce message, dans un contexte difficile. Le message épiscopal revêt plusieurs tons. De l’affirmation d’un leadership clairvoyant à l’appropriation de l’émoi populaire du peuple désenchanté, les huit hommes à la tête de l’Église du Togo ont tenu à marquer ce temps.
Motivations pour une prise de position attendue et réclamée
En effet, les évêques ont démontré leur leadership par une déclaration publique significative : un « MESSAGE… CONCERNANT LA SITUATION SOCIOPOLITIQUE ACTUELLE DE NOTRE PAYS ». Cet acte souligne en soi leur engagement à guider et à orienter, au-delà des questions purement religieuses, pour englober le bien-être temporel de la nation. Le caractère collectif de ce message, émanant de la Conférence des évêques, lui confère un poids et une autorité considérables, témoignant d’une position unifiée sur les questions nationales cruciales. Leur volonté d’intervenir sur le paysage sociopolitique reflète une profonde compréhension de leur influence et de leur responsabilité au sein de la société togolaise.
Le ciblage délibéré de leur message est particulièrement remarquable. En s’adressant à la fois aux fidèles – leurs « Chers frères et sœurs en Christ, chers fils et filles du Togo » –, ils remplissent leur devoir pastoral d’information et de conseil auprès de leur congrégation. Parallèlement, ils s’adressent directement aux « dirigeants et acteurs politiques de notre cher pays, le Togo ». cher pays le Togo ») positionne les évêques comme des personnalités influentes capables d’interagir directement avec ceux qui détiennent le pouvoir politique. Cet engagement proactif témoigne de leur volonté de contribuer à un « dialogue constructif » et d’influencer potentiellement les politiques et la gouvernance pour le bien de la nation. Mais la situation causée par la Cinquième République imposée n’est pas favorable à un « dialogue ». Il est vrai que le rôle des évêques catholiques transcende celui de simples chefs spirituels ; ils cherchent activement à façonner l’environnement sociopolitique par une communication directe avec les principales parties prenantes.
Couleurs du temps
L’expression de leur « profonde inquiétude » face à la situation actuelle est une affirmation forte. En tant qu’autorités morales qui revendiquent une certaine respectabilité au Togo, cette déclaration publique revêt une importance considérable. Elle permet non seulement de reconnaître la gravité des enjeux, mais aussi de galvaniser la réflexion et l’action de divers segments de la société, notamment les citoyens, les organisations civiles et les entités politiques. Cette expression publique de leur inquiétude peut servir de catalyseur à un engagement sociétal plus large et constituer un élan potentiel pour relever les défis auxquels la nation est confrontée. Leur position morale offre une tribune pour exprimer des inquiétudes susceptibles de trouver un large écho au sein de la population.
De plus, les évêques inscrivent stratégiquement leur message dans un contexte spirituel riche, s’appuyant sur la signification profonde de Pâques, de l’Ascension et de la Pentecôte. En invoquant ces moments clés du calendrier chrétien et en soulignant le pouvoir transformateur de l’Esprit Saint, ils imprègnent leur message d’une résonance spirituelle plus profonde. Cette approche intègre harmonieusement leurs responsabilités pastorales fondamentales à leur devoir civique, offrant une perspective sur les questions temporelles profondément ancrée dans leur foi. Ce mélange de préoccupations spirituelles et civiques souligne leur vision holistique de leur rôle dans la société togolaise, où foi et vie nationale sont étroitement liées. Leur message vise non seulement à fournir un diagnostic du climat sociopolitique actuel, mais aussi une source d’espoir et un cadre pour un changement positif inspiré par leurs convictions religieuses. Mais leurs destinataires peuvent-il écouter et suivre le sens profond du message ?
Soutien (mesuré) au peuple en lutte
Les évêques togolais témoignent de leur soutien à la population en s’engageant activement auprès d’elle et en validant ses « sentiments ». Cet acte délibéré d’écoute et de reconnaissance de ses expériences et de ses préoccupations souligne leur engagement à comprendre les réalités de la population et donne du crédit à ses luttes. En ancrant leur message dans le vécu de la population, les évêques établissent un lien fort et font preuve d’une réelle empathie.
Leur profonde préoccupation face au climat sociopolitique actuel constitue un acte de solidarité significatif. Cette expression publique de l’inquiétude de la Conférence épiscopale togolaise (CET) trouve un profond écho auprès de ceux qui traversent des épreuves. Elle signifie que leurs inquiétudes ne sont pas isolées, mais partagées et reconnues par une institution de premier plan au sein du pays. Cette reconnaissance de haut niveau de l’Église peut apporter un sentiment de reconnaissance et de partage du fardeau pour le peuple togolais.
Un thème central du message des évêques est l’accent mis sur le rôle du Saint-Esprit dans la « transformation ». Bien que ce soit un concept intrinsèquement spirituel, cette idée de transformation a de profondes implications pour le changement sociétal. En invoquant le Saint-Esprit, les évêques reconnaissent implicitement la possibilité et la nécessité d’une évolution positive au Togo. Ce cadre spirituel peut inspirer l’espoir et la foi en un avenir meilleur.
De plus, leur appel à accueillir l’Esprit sans résistance les rend capables de devenir des « témoins courageux du Christ ressuscité ». Cette exhortation spirituelle encourage chacun à vivre avec intégrité et force morale. Dans un contexte de défis sociétaux, cet appel peut être interprété comme un encouragement à une conduite intègre et à une action potentiellement audacieuse face à l’adversité. En inscrivant leur message dans un contexte spirituel, les évêques en appellent à une détermination et à une résilience plus profondes au sein du peuple togolais, suggérant que la force spirituelle peut être un catalyseur de changement positif.
Le message des leaders religieux s’adresse directement aux « dirigeants et acteurs politiques de notre cher pays le Togo », les établissant comme le public visé par les recommandations implicites et explicites qu’il contient.
Leur souhait exprimé de « paix chez nous, tous » constitue une recommandation fondamentale adressée aux autorités togolaises. Le maintien de la paix et de la cohésion sociale est une responsabilité primordiale de tout gouvernement. Cette déclaration exhorte les dirigeants à privilégier et à œuvrer activement à la création d’un environnement pacifique pour tous les citoyens. Elle souligne l’attente que les dirigeants usent de leur autorité et de leurs ressources pour prévenir les conflits, résoudre les différends et favoriser une société harmonieuse.
L’expression d’une « profonde inquiétude » face au climat sociopolitique actuel constitue une recommandation puissante, quoique indirecte. En exprimant leur inquiétude, les chefs religieux signalent aux autorités que la situation actuelle est insatisfaisante et potentiellement préjudiciable au bien-être de la nation. Cela appelle implicitement à une réévaluation des politiques et des actions existantes, exhortant les dirigeants à reconnaître la gravité de la situation et à engager les changements nécessaires pour résoudre les problèmes sous-jacents à l’origine de ces inquiétudes. Cela incite à la réflexion et à l’action pour atténuer les conséquences négatives potentielles de l’instabilité.
L’encouragement à accueillir le Saint-Esprit, décrit comme apportant « vérité, paix, consolation, mais aussi puissance et transformation », peut être interprété comme une recommandation plus large des principes devant guider la gouvernance. Bien qu’apparemment de nature spirituelle, ces qualités sont directement liées à un leadership efficace et éthique. La « vérité » suggère la transparence et l’honnêteté au sein du gouvernement. La « paix » réitère le besoin de stabilité et d’harmonie sociale. La « consolation » implique la responsabilité de prendre soin des plus vulnérables et de répondre aux griefs de la société. Les « pouvoir et transformation » suggèrent la capacité et la nécessité pour les dirigeants d’impulser des changements et un développement positif. Ces idéaux spirituels sont présentés comme des qualités souhaitables pour les personnes occupant des postes d’autorité.
Les citoyens attendent plus des leaders religieux
Les Évêques ont pris à témoin la nation, pour rappeler que leur exhortation précédemment faite lorsque la constitution a été adoptée n’a pas été suivie. Ils avaient en effet demandé à Faure Gnassingbé de ne pas promulguer ce texte, en dénonçant les conditions dans lesquelles la constitution a été votée par l’ancienne Assemblée nationale, sans consultation populaire. C’est pour cela que les leaders de l’Eglise catholique sonnent de nouveau l’alarme, à la suite de la mise en place des institutions de la cinquième République.
L’appel lancé pour le dialogue ne sera assurément pas entendu. Les Évêques eux-mêmes le savent. L’invitation à la prière semble superfétatoire, dans un pays où l’on ne se fait pas prier pour confier tout son destin à Dieu. Ces chefs catholiques sont témoins de la classe politique démantelée, de la société civile démotivée, des médias sans boussole et des citoyens aux abois. La jeunesse et la diaspora, actifs sur les réseaux sociaux, n’ont aucune confiance au système et ne cautionneraient aucune tentative de conciliation. Ils veulent le départ de Faure Gnassingbé.
Dans les conditions actuelles, le message de la CET est bienvenue, comme une sirène dans la nuit; mais elle semble inaudible, face aux dérives du pouvoir et à la soif de changement qui traverse toute la société togolaise.
Dany K. AYIDA
Acteur et observateur de la Cité
En savoir plus sur Le Temps
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Laisser un commentaire