Togo: Pourquoi la société civile a du mal à convaincre

Tableau de l'artiste engagé Sokey Edorh, "Virus anti-développement"

La crise politique au Togo reste entière au fil des années. Alors que la principale coalition de l’opposition (C14) est déchirée par des dissensions profondes et que l’un des principaux membres a maille à partir avec les autorités, la société civile dont on attendait la rescousse est inaudible. Incapable de mobiliser et de proposer des alternatives crédibles, la société civile au Togo se cherche.

La société civile togolaise est riche de plusieurs organisations engagées depuis de longue date pour la démocratie, les droits de l’homme et d’autres questions de gouvernance. Si la plupart de ces structures se cantonnent dans des démarches et actions traditionnelles d’engagement citoyen, on a vu ces derniers mois des entités -nouvellement constituées qui adoptent une posture plus offensive.

En 2018, le Front Citoyen Togo Debout dirigé par le médecin Pr David Dosseh avait pris des initiatives opportunes, positionnant cette organisation comme un acteur de référence dans la lutte pour le changement. Ancien syndicaliste révélé par le SYNPHOT (syndicat des professionnels de la santé du Togo) Dosseh et son organisation se sont rapprochés de la Coalition de l’opposition (C14). Sans en être officiellement affilié, Togo Debout a participé à des manifestations organisées par la coalition, ou a vu la coalition se joindre à ses propres initiatives. Cette cohabitation n’a pas donné de grands résultats.

La bonne entente entre les deux entités n’a pas permis à Togo Debout d’émerger comme un acteur autonome capable d’influencer le cours du jeu politique. On l’a remarqué au cours des négociations avec la CEDEAO, où les multiples propositions faites par cette société civile n’ont pas été prises en compte. En novembre 2018, c’est sous la bannière de “société civile de l’opposition” que le FCTD a envoyé son candidat pour siéger au sein de la CENI. Mais plus qu’une erreur des personnes concernées, cette distribution des cartes était l’oeuvre du pouvoir. Ainsi reconnait-on une autre société civile inféodée au régime UNIR…

Le problème, selon des observateurs avertis, c’est qu’à force de s’approcher des partis d’opposition, la société civile engagée n’a plus d’identité propre. Avec la capacité d’action dont il a su faire montre à d’autres occasions, David Dosseh pourrait néanmoins repositionner autrement Togo Debout et donner une nouvelle option à ses interventions. L’idéal serait que cette société civile ne se substitue pas aux partis politiques dans leurs actions mais qu’elle devienne le porte-voix d’une dynamique citoyenne assumée.

Les “Forces Vives”, dans l’attente de faire la différence

C’est vers la fin de l’année 2018 que le mouvement des “Forces Vives Espérance pour le Togo” es née. Dirigé par le père Affognon de l’Eglise catholique, l’organisation s’est vite manifestée par son ambition: rassembler les forces vives du pays et se poser en alternative populaire pour le changement. Son premier porte-parole ne manque pas d’atout pour cela. Son message est poignant et sa capacité de persuasion en fait un homme de consensus auprès d’une partie de la population. Beaucoup d’organisations citoyennes (y compris celles membres du FCTD) n’ont pas hésité à se joindre à la dynamique. Le manifeste qui a été publié au démarrage était alléchant; et on s’attendant à ce que l’émergence de ce nouvel acteur vienne chambouler les choses. En apportant une nouvelle impulsion.

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Le plus grand succès des FVET est la force du discours incarné par leur premier responsable. Mais cette force semble en même temps être la faiblesse de la structure. On ne voit personne d’autre et les initiatives manquent de pugnacité, au regard des enjeux.

C’est vrai que les Forces Vives ont déjà invité à des meetings que le gouvernement a interdit. Mais à quoi sert une société civile qui subit le même sort que les partis politiques?

Au sein de la population, on voyait en l’apparition des Forces vives, une nouvelle forme de l’engagement de l’Eglise catholique dans le débat sur le changement au Togo. Mais visiblement les Forces Vives veulent se positionner comme une organisation laïque, ratissant au sein des différentes organisations religieuses et de la société civile traditionnelle.

On attend de voir cette entité agir face au pouvoir, et mobiliser ses membres pour ouvrir une brèche dans l’espace public. Sa tentative de jouer à la médiation au sein des forces démocratiques, en voulant “fédérer les énergies et les stratégies” semble ne pas porter de fruit.

Les nombreux chantiers de la société civile

Les deux dernières années, on a vu des initiatives qui auraient pu faire de la société civile des acteurs centraux de la lutte pour le changement démocratique au Togo. Il en est ainsi des débats citoyens, tenus à Lomé à partir de 2017, ayant vu intervenir des acteurs comme Dany Ayida, le père Affognon, David Dosseh, Togoata Apedo-Amah et bien d’autres.

Ces rencontres donnent souvent lieu à des idées novatrices qui ne connaissent guère de suite. De multiples initiatives citoyennes sont annoncées régulièrement sans qu’on voie sur le terrain, une organisation efficace, avec des acteurs compétents qui y investissent du temps et des ressources. On voit aussi que les démarchent qui auraient pu influencer le cours des choses manquent de cohésion.

Dans ce grand désordre, certaines structures reçoivent des financements des partenaires internationaux; mais leurs actions sur le terrain sont invisibles ou manquent d’impact. Contrairement à d’autres pays de la sous-région où on voit spontanément les organisations citoyennes se mettre ensemble pour défendre des causes commune, au Togo, c’est chacun pour soi. Les gens se regroupent pour de petites opportunités, sans lendemain.

Le rôle de la société civile dans le crise politique devient une préoccupation, au moment où le pouvoir UNIR annonce la l’adoption prochaine des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Sur le front électoral, la nouvelle Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) commence à préparer les élections locales. Le gouvernement aussi prend chaque semaine des décisions qui ne suscitent que de molles réactions. Dans ce contexte, on ne voit pas qui défend réellement les intérêts du peuple. Le manque de vision des acteurs citoyens ajouté à la faiblesse des partis de l’opposition ont de quoi inquiéter tout observateur averti.

La société civile dont on attend les actions n’est pas celle qui remplace les partis politique en voulant jouer leur rôle, c’est celle qui incarne et porte les ambitions du peuple et qui défend ses intérêt, en dehors de tout calcul politique.

Joséphine BAWA


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A propos Joséphine Bawa 55 Articles
Responsable Desk politique et Afrique Joséphine Bawa capitalise 17 ans d'expérience en matière de communication et journalisme. Diplômée de Wit University (Johannesbrg, South Africa) elle a collaboré avec diverses agences de presse internationales dont AP, Reuters. Josephine dirige le desk politique de la Rédaction du journal Le Temps. Joséphine est également consultante auprès de plusieurs cabinets en Afrique et en Amérique du Nord.

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