Chronique : La démocratie togolaise du qui gouverne en impose

Un bureau de vote et la présidence de la République du Togo (Photo montage)

Vilévo DEVO est un ancien expert des questions monétaires à la BCEAO, il est aujourd’hui consultant, spécialiste avisé des questions sur le CFA. Il publie régulièrement des chroniques économiques et politiques sur l’actualité togolaise et africaine. Il dresse ici un portrait morbide de l’environnement politique togolais. Lire plutôt

 La démocratie togolaise du qui gouverne en impose

L’environnement politique togolais a en apparence tout ce qu’il y a d’universel : corpus réglementaire étendu et bien travaillé, tant sur la forme que sur le fond, institutions régaliennes visibles et opérationnelles, notamment un Parlement, une Cour constitutionnelle et une Commission électorale nationale indépendante (CENI) à l’indépendance aussi clinquante que suspecte, partis politiques bien en verve, de majorité présidentielle et d’opposition, partis politiques charnières un pied dans la majorité et un autre dans l’opposition, patronat, syndicats de professionnels, organisations de la société civile, comme il en existe ailleurs, et discours officiel porté jusqu’à la tribune de l’Organisation des Nations Unies (ONU) célébrant une République paisible où tout va très bien, Madame la Marquise, à part le chien qui est mort.

Au Togo, tout est formalisé de manière appropriée et bien pensé conformément à une rhétorique et un schéma permettant à la République d’être fréquentable sans l’ombre d’un soupçon de despotisme par la Communauté internationale occidentale représentée par la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union Africaine (UA), l’Union Européenne (UE) et l’ONU. Les tenants du pouvoir au Togo savent séduire la Communauté internationale et recevoir la communion sans confession. Et puis, cette Communauté internationale, pour ne pas mettre mal à l’aise son vis-à-vis si formaliste, si prévoyant et si prévenant dans les appels à témoin de ce qui se passe en République togolaise, sait produire des communiqués et rapports qui approuvent et désapprouvent avec synergie, disent long sans rien dire du tout, cautionnent dans les règles de l’art diplomatique sans jamais crier au loup car ses yeux regardent sans rien voir et ses oreilles écoutent sans rien entendre. Bref, la Communauté internationale version occidentale célèbre et perpétue ses missions de bons offices en République togolaise depuis des lustres sans se préoccuper de savoir si des objectifs sont atteints ou pas, ni lesquels.

L’environnement politique togolais, au format universel en apparence, n’en demeure pas moins des plus atypiques, des plus rétrogrades et surtout des plus pollués au monde quant au fond.

Atypique, l’environnement politique l’est par le fait que le Togo demeure le seul à garder vaille que vaille, sans la moindre trace d’obsolescence, le même Président de la République deux décennies durant, le même issu d’une succession dynastique rocambolesque, dans une sous-région ouest africaine où tous les pays se font un point d’honneur en mettant en compétition de nouveaux aspirants conformément aux lois en vigueur ; rétrograde, l’environnement politique togolais est sérieusement à la peine pour promouvoir les libertés publiques et privées, pour mettre les ressources humaines distinctives en réelle compétition et non des moindres, pour construire une économie nationale de progrès social ; il est enfin pollué de vilains maux, longs à énumérer, et de corruption, le Chef de l’État en personne n’échappant pas à ce fléau socio-économiquement dévastateur puisqu’il fut cité il y a deux ans devant les tribunaux français par son corrupteur englué dans une vaine quête de survie comme investisseur et non comme mafieux.

L’environnement politique togolais est incapable de procéder à une séparation effective des pouvoirs régaliens. En outre, il promeut directement et indirectement le suffrage restreint des temps anciens, propice à la confiscation du pouvoir d’État par tous les moyens et par quelques-uns au nom d’intérêts personnels. Il est intraitable et inégalable dans la traque des contradicteurs des tenants du pouvoir d’État, des oppositions politiques et syndicales et surtout dans le matraquage du quatrième pouvoir que sont les médias. Les processus électoraux, jamais apaisés, sont bridés et contrôlés de bout en bout comme de l’huile sur le feu, devenant inutilement coûteux d’une part et perdant d’autre part tout intérêt général et populaire. Le Président de la République demeure de manière ostentatoire un Chef de parti politique, trône en Chef incontesté de toutes les institutions d’envergure, régaliennes ou non, modifie à l’envie la Constitution dont il n’a guère conscience d’être, assermenté par le peuple, le gardien de l’intégrité.

L’environnement politique togolais n’est producteur de bons offices, contre vents et marées, que pour asservir le pouvoir d’État, aux mains de quelques-uns et toujours les mêmes, sans aucune contrepartie pour le progrès social ni pour l’unité nationale. Bien au contraire, le modèle politique en production depuis soixante ans en République togolaise naufrage le bien-être et le mieux-vivre avec un faible indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et un pays classé parmi les plus pauvres et les plus endettés ; il se soucie peu de classe moyenne aisée, en en promouvant une dont le visible marqueur est la possession d’un deux-roues motorisé exploité de manière incivique et immodérée sur la voie publique. Le modèle politique en production en République togolaise enfante surtout une élite minoritaire abrutie de deniers publics mal acquis qui se moque de tout ; ce modèle exsangue d’humanité fragilise en permanence l’unité nationale à coup de brimades des libertés publiques et privées, de lois liberticides ou insensées et de violences en tous genres.

L’environnement politique togolais est pourtant scruté par la Communauté internationale qui produit des rapports à l’avantage des tenants du pouvoir et jamais contre leurs intérêts, comme ce dernier en date sur la situation pré-électorale de fin avril 2024 ne contenant et ne colportant rien de pertinent. Ce sont toujours les mêmes destructeurs de progrès social, redevables d’échecs, qui s’affichent en visages publics officiels du Togo parce qu’ils gagnent au suffrage grâce à un modèle politique infiniment inéquitable, impertinent et grippé par des lois électorales au vitriol et des acteurs-décideurs aux mœurs de despotes habillés en démocrates.

Le Togo est in fine malade de son environnement politique interne et de ses dirigeants, à savoir : nommément le Chef de l’État, cumulativement et inconvenablement Chef de parti, proprement défaillant dans son rôle de gardien et protecteur de la Constitution, et sans exception aucune, nommément les Chefs d’institutions régaliennes et les Chefaillons à la légitimité savamment brodée de népotisme, clientélisme, tribalisme etc. sous les ors d’une République asservie par la corruption et la langue de bois. Tout ce monde n’est comptable de rien qui puisse être applaudi au nom de l’intérêt général. En effet, tous ces dépositaires de pouvoirs régaliens ont lamentablement échoué en dépit de moyens et ressources incommensurables à leur disposition ; ils ont joui et continuent de jouir du pouvoir d’État, davantage qu’ils ne l’exercent dans l’intérêt commun.

En définitive, que le Parti au pouvoir UNIR, anciennement RPT, ses caciques et ses aficionados triomphent avec ou sans bavure à l’issue de joutes électorales, ne devrait tromper personne sur la qualité foireuse du processus démocratique en production depuis plusieurs décennies au Togo. Aussi longtemps que le corpus électoral sera à la table d’hôte, les tenants du pouvoir seront toujours les mêmes, n’offrant aucune chance à l’alternance politique ni aucune au progrès social. Le triomphe des tenants du pouvoir à l’issue des élections législatives et régionales d’avril 2024 est sous ce qui précède paradoxalement un échec de plus dans la marche de la Nation togolaise vers la démocratie, le progrès et l’unité nationale.

Des raisons évidentes et d’intérêt général justifient donc que tous ces acteurs, comptables d’échecs préjudiciables à la démocratie, au progrès social et à l’unité nationale, dégagent ou soit dégagés, non sans engager sine die une réforme profonde et porteuse de vertus démocratiques. Les points de faiblesse à travailler, sur la chaîne des valeurs du processus démocratique, sont a minima l’administration civile et militaire, dommageablement politisée et totalement dévouée aux tenants du pouvoir, la réglementation électorale, quasiment au vitriol, les médias, aux ordres et prestataires d’un éditorial de propagande politique monocolore et lassant, l’environnement institutionnel de Parti unique, destructeur de pluralité politique et syndicale, le déséquilibre outrancier dans les différents budgets de campagne électorale, les dépenses du Parti au pouvoir frisant des achats de conscience, l’opacité du processus d’élaboration et de proclamation des résultats

Au Togo, le dispositif électoral, intrinsèquement conflictogène et partisan, ne donne pas la parole au peuple mais aux tenants du pouvoir organisateurs des élections : tel n’étant pas l’objectif recherché, il faudrait instamment le reformer pour éviter d’enlever tout intérêt général à l’expression du suffrage au Togo.

Vilévo DEVO, 06 mai 2024.

A propos Komi Dovlovi 1067 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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