Elections locales au Togo: ‘Après 33 ans d’attente, on n’est pas obligé de bâcler’

Les partenaires au développement ont massivement et généreusement appuyé le processus de décentralisation les 10 dernières années.

L’organisation des élections locales fait partie des priorités du gouvernement UNIR récemment actualisé. On en parle pratiquement à tous les conseils des ministres et le pouvoir fait de ces échéances un nouvel instrument de domination politique, après les élections législatives unilatérales du 20 décembre qui lui a offert la quasi-totalité des sièges à l’Assemblée Nationales. Les conditions sont-elles vraiment réunies pour organiser ces élections et lancer la décentralisation attendue au Togo, depuis les dernières élections en 1986? Le Temps a sollicité la contribution de M. Dany Ayida (aujourd’hui Directeur Résident du NDI en RDC, et précédemment expert en gouvernance locale pour la Banque Mondiale en Guinée, Rwanda, RDC et Burkina Faso). Il fait une analyse technique et politique du processus au Togo.

La décentralisation de nos jours, n’est plus un simple mécanisme d’organisation et de d’administration du territoire national. C’est une approche de gestion publique qui répond à des normes et plusieurs expériences en Afrique les quinze à vingt dernières années peuvent nous édifier. Au Togo, le processus de décentralisation a toujours souffert de volonté politique. A cela se joint un désordre sur le plan de l’orientation du processus. Les écueils qui risquent de miner la gestion des entités territoriales décentralisées sont de trois ordres. Premièrement l’Etat central dans ses efforts d’aménagement du territoire ne veut décentraliser que pour mieux déconcentrer. On voit cela dans le découpage territorial et l’érection de 116 communes, sans que l’on ait pris en compte les exigences de base de la décentralisation. Deuxièmement on ne semble pas avoir suffisamment considérer la dimension purement gouvernance de la décentralisation et enfin le pilotage politique du processus préfigure son échec.

Il y a deux principes clés qui régissent toute politique de décentralisation: le principe de l’autonomie et le principe de la libre administration. Certes au cours de ces dix dernières années et avec l’aide de certains partenaires internationaux parmi lesquels la coopération allemande et l’Union Européenne, des textes importants ont été élaborés et adoptés. Des expériences de gestion publique ont été menées dans quelques préfectures-communes (une trentaine) avec parfois l’implication des acteurs non étatiques. Mais les mesures politiques qui sont prises pour mettre en place les nouvelles communes souffrent de logique.

Le dispositif de décentralisation mis en place manque de cohérence

Nous avons suivi les étapes quoique souvent peu lisible qui ont conduit les actions de décentralisation jusqu’à présent. Il est évident qu’il n’existe pas de réforme administrative qui soit neutre. Mais les fondamentaux en la matière devraient être sacrés! A titre d’exemple, la viabilité des 2/3 des communes sera posée, aussitôt que les nouvelles collectivités locales prendront en main l’administration des affaires locales. L’autonomie de ces entités est la première difficulté qui va se poser, transformant l’Etat qui aurait dû se cantonner dans son rôle de tutelle à celui de baby-sitter.

En matière d’autonomie des collectivités locales, il faut comprendre ceci:

  • D’abord , la commune doit jouir d’une autonomie matérielle : l’entité décentralisée jouit de la personnalité morale ; elle dispose d’un patrimoine et biens qui lui sont propres  ;
  • Ensuite elle doit opérer une autonomie organique : les affaires de la structure décentralisée doivent être gérées par des organes qui sont propres à la collectivité locale concernée ;
  • Enfin la commune doit vitre son autonomie fonctionnelle : la commune a la responsabilité et la liberté de gérer ses affaires.

Dans le cas de notre pays, si on n’y prend garde et si des conseils communaux sont élus dans les conditions actuelles, l’Etat va outrepasser son devoir de subsidiarité et soumettre les administrations décentralisées à ses caprices, faisant de ces entités de petits monstres de gouvernements locaux abyssaux.

Lire aussi: Décentralisation au Togo: vers un échec garanti du processus

L’Etat tel que le régime l’a conçu et mené pendant le dernier demi-siècle fait des localités du pays une sorte de “colonies d’exploitation”. Il suffit de jeter un coup d’œil aux quelques centres urbains qui existent dans le pays pour constater: l’absence d’infrastructures de base devant permettre la prise en main rapide des affaires publiques locales. Là aussi il faut remercier la coopération internationale grâce à laquelle quelques collectivités ont pu se doter de nouveaux bâtiments pour abriter leurs services.

Ne pas miner la gouvernance locale

Les domaines dans lesquels on devra apprécier l’efficacité de la politique de décentralisation que le rgime UNIR met en place ne sont pas illimités. Dans la confusion politique ambiante, on semble ne pas y prêter attention. Mais l’exercice de la décentralisation, dans la commune de Korbongou à celle d’Agoe-Nyivé vont se mesurer à l’aune de critères de gouvernance locale que ce régime ne peut inventer.

On appréciera l’approche de développement local de la commune, au regard du processus qui aurait conduit à l’adoption par les acteurs locaux de plan de développement axé sur les priorités locales, incluant toutes les composantes socio-économiques. On devra aussi s’intéresser à la manière dont les gestionnaires locaux élaborent et adoptent le budget de la commune. A ce niveau, la capacité contributive des populations que l’Etat gratifie de collectivités locales sera à questionner. L’autre aspect qui ne laisserait personne indifférent concerne la fourniture des services: on verra comment à Adéta, à Tohoun ou à Tandjouare, les autorités locales gèrent les services d’eau, de santé, de salubrité, d’éducation, etc…

Ceci suppose aussi qu’en matière de passation des marché, ces nouvelles entités soient en mesure non seulement de suivre les procédures mais de contracter avec des prestataires privés et assurer la maîtrise d’ouvrage sans désemparer. Il est vrai que ces choses peuvent s’apprendre en faisant, mais la préparation qu’on y fait ne laisse pas penser que des mesures sont prises pour viabiliser la gestion publique, en adéquation avec la stratégie nationale de développement et de croissance. (Ce dernier point mérite qu’on y revienne prochainement).

Je ne peut que me référer aux conclusions des consultations organisées par la commission dirigée par Mme Awa Nana en 2017 à travers le pays, pour présager des prochains conflits à la gestion desquels ni l’administration publique centrale, ni la justice ne semblent être outillées pour le moment.

L’affaire est avant tout politicienne

On se connait tous au Togo. Si Faure et son groupe se pressent pour aller aux locales, ce n’est certainement pas pour mieux gérer le pays. C’est pour renforcer leur emprise sur l’Etat et contrôler les collectivités territoriales à leur aise. L’observateur consciencieux doit se demander: mais, a-t-on attendu 33 ans pour procéder ainsi?

Même si l’on dispose sur papier les mécanismes pour réguler le fonctionnement des communes taillées sur mesure, l’organisation des élections locales dans les conditions actuelles souffre des mêmes avatars que ce qui se passe au sommet de l’Etat concernant les autres institutions.

Le gouvernement est-il capable aujourd’hui d’organiser des élections transparentes puis transférer des compétences et des ressources aux élus locaux? J’en ai des doutes certains. Bien sûr les partis politiques vont se précipiter pour aligner des candidats, cependant rien ne garantit que ce pouvoir dont les capacités de nuisance sont connues ne soit pas en train de créer des coquilles vides.

Le contexte politique ne se prête pas à des consultations populaires en vue de la mise en place des conseils communaux et des maires en 2019. Si cela se fait dans la précipitation, au bout de quelques mois, ce même gouvernement ferait fort de démettre des maires, dissoudre des assemblées locales élues et nommer des délégations spéciales. Et là où il ne le ferait pas, il serait déjà assuré, que les commis locaux vont travailler dans le sens de la conservation du pouvoir, en 2020. L’idéal serait dès lors de coupler les locales avec la présidentielle. On aurait le temps d’achever le dispositifs physiques et administratifs avec une sensibilisation suffisante des acteurs concernés.

Dany K. Ayida, Spécialiste en gouvernance et démocratie: ancien expert en gouvernance locale pour la Banque Mondiale. Dany Ayida est notamment intervenu dans les initiatives de la Banque Mondiale concernant “Local governance and accountability in Africa” et la Compétitions pour l’excellence dans la gouvernance locale, dans le cadre du cabinet Africa Label Group dont il est l’Administrateur Général. En 2008-2009, il a coordonné pour la Banque Mondiale l’étude pour la préparation des décrets, arrêtés et documents sur la décentralisation administrative en RDC. Il a aussi travaillé au Burundi sur le relèvement des collectivités locales après la guerre civile qui a déchiré ce pays.


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