Pour publication, en manchette, d’un article traitant la secrétaire générale de la Présidence, Mme Sandra Ablamba Johnson, «d’étoile montante des putains de la République», le journaliste Francisco Napo-Koura est «invité» à se présenter au siège de la Haute autorité de l’audiovisuelle et de la communication (Haac), ce lundi à 10H00. Le Togo baigne depuis quelques années dans un environnement répressif de la liberté de presse, avec des journalistes embastillés, contraints à l’exil, et plusieurs journaux suspendus ou trainés devant les tribunaux.
Directeur de la publication du bimensuel Tampa Express, Francisco Napo-Koura et son journal risquent gros : une suspension pour une longue période ainsi qu’un retrait de la carte de presse. Lors de son passage dans une émission de la radio Taxi FM ce vendredi 1er novembre, Francis Napo-Koura évoque des menaces par appels téléphoniques. Tampa Express n’est d’ailleurs pas à sa première suspension.
Officiellement, le journaliste est «invité » à une «rencontre d’échanges» autour d’un article «Dr Sandra Ablamba Johnson, l’étoile montante des putains de la République dans ses œuvres» paru dans le numéro 068 de Tampa Express.
Pour tout journaliste qui a subi les fourches caudines de la Haac, les vocables amènes d’«invité», de «rencontre d’échanges», que contiennent la lettre d’invitation, désignent en réalité une convocation et des discussions souvent houleuses voire humiliantes qui se terminent par de sévères sanctions à l’encontre des acteurs de la corporation.
L’article incriminé, tout en déclinant l’ascension rapide de Mme Sandra Ablamba Johnson, brocarde quelque peu cette trajectoire qui, selon le journaliste, ne serait pas qu’au mérite.
Diplômée en sciences économiques et ancienne fonctionnaire du ministère de l’Economie et des Finances, Mme Johnson exerce dans l’entourage présidentiel depuis 2012. Ainsi, elle était économiste sénior au Secrétariat technique du Conseil présidentiel pour l’investissement au Togo (CPIT), puis coordonnateur adjoint de la cellule Millenium Challenge Account (MCA). Avant sa nomination au secrétariat général de la Présidence, un poste clé, Mme Sandra Ablamba Johnson était ministre déléguée, conseillère du Président de la République en charge de l’amélioration du climat des affaires. Elle est aussi actuellement Gouverneur du Togo auprès du FMI, un poste traditionnellement dédié au ministre de l’Economie et des Finances.
Un clin d’œil à la littérature politique
A en croire le journaliste, son ascension, fulgurante, serait due à l’environnement de promotion des femmes tous azimuts du chef de l’Etat Faure Gnassingbe. Une politique qui fait de ces femmes présentes au gouvernement des femmes puissantes voire des femmes de pouvoir. Des femmes ayant trop de pouvoir ? Le journaliste Francisco Napo-Koura rappelle d’ailleurs, à tort ou à raison, les rumeurs qui font de Mme Sandra Ablamba Johnson, l’instigatrice du blocage du changement du personnel de la Haac, malgré la nomination par le parlement de trois journalistes.
Dans l’esprit du journaliste, ces femmes fidèles pourraient paraître comme des jouets dans les mains du chef de l’Etat Faure Gnassingbe pour régler quelques comptes politiques ou assurer sa pérennité au pouvoir. D’où l’expression les «putains de la République» utilisée par le journaliste ; au vrai, un clin d’œil au livre «La Putain de la République» de Christine Deviers-Joncour.
Cette dernière, ancienne maîtresse du ministre des Affaires étrangères de Roland Dumas, impliquée dans des scandales de corruption au sommet de l’Etat surtout l’affaire Elf, avait été présentée par la justice et les médias comme un protagoniste majeur avant de subir une lourde condamnation. Pour parler de façon triviale, Christine Deviers-Joncour dit qu’elle a été utilisée comme une putain puis jetée quand elle paraissait encombrante, inutile. Son livre montre l’univers machiste et impitoyable des hommes politiques aux affaires…qui instrumentent les femmes.
On peut donc oser penser que la Haac ne se livrera pas à une imagination débordante pour arrêter inutilement les activités de Tampa Express. Malgré les digressions de l’article incriminé, il n’y a pas vraiment de quoi fouetter un chat.
La Haac fait montre d’une grande fébrilité en cas de critiques quelque peu acerbes contre l’establishment et fait preuve d’un manque de vision en ce qui concerne le développement de la presse et des journalistes. La pression inavouée exercée sur la presse crée un environnement d’autocensure, rendant de plus en plus médiocre la corporation plus qu’elle ne l’était déjà. A l’analyse, le Togo régresse inexorablement un moment médiatique d’il y 34, celui de l’ère du parti unique du parti-Etat.
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