Religion : Les prêtres du diocèse de Kpalimé souhaitent la nomination d’un évêque ressortissant de leur région

Une vue aérienne de l'évêché de Kpalimé (Image prise sur la page Facebook du diocèse)

Alors que l’Eglise catholique vit une crise de la vocation avec non seulement l’hémorragie migratoire des séminaristes et des prêtres vers l’Europe, la perte des fidèles en faveur des églises pentecôtistes, la nomination du prochain évêque diocésain de Kpalimé suscite des inquiétudes dans la région.

Le 28 octobre 2024, le pape François nomme Mgr Rubén Darío Ruiz Mainardi nonce apostolique au Bénin et au Togo, l’élevant ainsi à la dignité d’archevêque. Le prélat, 60 ans, entamera bientôt son voyage à Lomé pour la remise de ses lettres de créances. Il rencontrera alors le clergé  togolais et fera l’état des lieux, trois mois après le décès de l’archevêque métropolitain Mgr Nicodème Barrigah-Bénissan.

Le nonce apostolique aura pour mission d’écouter le clergé local quant à la désignation du prochain archevêque métropolitain du Togo ainsi que la nomination de l’évêque du diocèse de Kpalimé.

Mgr Benoît Alowonou, actuellement à Rome pour une réunion, est admis à la retraite depuis le 5 février 2024 où il avait envoyé sa lettre de démission. Cependant, il ne partira qu’après désignation de son successeur. Selon le droit canon, c’est d’ailleurs lui qui devra lire  la lettre apostolique du Pape, nommant le futur évêque.

Si, secret de polichinelle, le prochain archevêque métropolitain du Togo  serait probablement l’actuel administrateur apostolique de l’archevêché de Lomé, Mgr Isaac Gaglo, le  nom du prochain évêque de Kpalime demeure un mystère.

Et pourtant, pour les fidèles du diocèse de Kpalimé, ce nom importe beaucoup, après les 23 années de présence de Mgr Benoît Alowonou. Arrivé à Kpalimé en 2001, à la mort de Mgr Pierre Koffi Seshie, le ministère de Mgr Benoît Alowonou n’a pas été un long fleuve tranquille. Après 23 années, bien de fidèles laïcs du diocèse chérissent très peu son bilan.

Pour des raisons de sécurité et éviter des embrouilles entre fidèles d’une même église, la rédaction a préféré respecter l’anonymat des témoins.

En 2018, le diocèse a défrayé la chronique avec le scandale de trois prêtres frondeurs qui ont refusé de renouveler leurs promesses sacerdotales le 28 mars, lors de la messe chrismale, montrant une division dans la communauté des prêtres.

Si la Congrégation pour l’évangélisation des peuples du Vatican a confirmé la suspension des trois prêtres prise par l’évêque diocésain, la crise a laissé des traces. Les causes profondes de cette fronde demeurent encore vivaces, et l’actuel président de la Conférence des évêques du Togo n’a pas su les corriger.

Les causes relèvent surtout de la pauvreté matérielle des religieux du diocèse et de l’incapacité de l’évêque à apporter une solution viable. Par exemple, les prêtres dont beaucoup sont statutairement payés à 45.000CFA par mois, croupissent dans la misère. Leur nourriture serait non seulement d’une frugalité mais aussi d’une grande pauvreté, «contrairement au luxe dans lequel [vivraient] les chefs de l’Eglise ». Même si le diocèse leur apporte une contribution pour la nourriture d’un montant égal de 45.000F, les prêtres vivent dans leur majorité dans une pauvreté. En cas de maladie, ils peuvent se heurter à l’indifférence de l’évêque, qui se plaint de n’avoir pas assez de ressources. L’église leur assure police assurance-maladie, mais apparemment elle semble insuffisante.

Les prêtres et des laïcs que le Temps a rencontrés pointent du doigt le bilan…peu enviable de Mgr Alowonou. «En 22 ans d’exercice, il n’a pas réussi à développer le diocèse et le laisse dans un état de pauvreté malgré un potentiel énorme», nous confie un prêtre de  la ville de Kpalimé.

Le diocèse est en effet situé dans une zone réputée pour ses potentialités agricoles et surtout touristiques. Kpalimé, la plus grande ville du diocèse est une adresse touristique des plus prisées du Togo, aux auberges surbookées, bon an mal an.

«Malgré une dotation annuelle de l’étranger d’environ 200.000 Euros» pour les œuvres sociales (écoles, hôpitaux), le diocèse n’a pas su créer les initiatives pour satisfaire les charges du diocèse et les ambitions qu’il peut avoir dans une région en proie à la perte des fidèles.

Les prédécesseurs de l’évêque ont pourtant laissé des ressources inexploitées… qui se perdent. Dans la préfecture d’Agou, dans trois ou quatre villages, on compte plusieurs dizaines d’hectares de terres agricoles inexploitées. Dans cette préfecture, les paysans empiètent sur les terres ou reprennent certaines parties à l’insu du diocèse. A Kati par exemple, la Mairie a repris une terre, au grand dam du diocèse. Idem à Danyi où des terres sont inexploitées ou en partie reprises. «Dans certaines zones du grand Kloto, les populations empiètent en masse sur les terres », relève un prêtre d’une paroisse de Kpalimé.

« Nous voulons un évêque de chez nous », dit un prêtre

Pour certains responsables laïcs que nous avons rencontrés, il ne s’agit pas que d’un défaut de vision de la part de l’évêque. Il accuse une indifférence à «la géographie et aux hommes d’ici malgré ses 23 années à la tête de diocèse ». «Il est surtout allergique à la terre et regarde de haut les gens d’ici attachés à la glèbe», ajoute ce responsable.  «Serait-ce parce qu’il n’est pas d’ici qu’il ne s’implique pas dans le développement des œuvres de la région ?», s’interroge un autre prêtre qui a préféré garder l’anonymat.

Originaire du sud-est maritime, Mgr Benoît Alowonou ne ferait pas confiance en l’agriculture comme facteur de développement et de richesse. Selon une anecdote, un moine togolais d’ethnie Guin résident au monastère de Dzogbegan, lui aurait suggéré que l’adage selon lequel «la terre ne trompe jamais» n’est pas vrai.

Les prêtres accusent l’archevêché de Lomé d’être responsable de l’état de déliquescence de leur diocèse par la nomination de cet «étranger» insensible à la vie de leur région.

Les deux prédécesseurs de Mgr Benoit Alowonou étaient des Ewés du coin. Mgr Nyuiadzi était d’Agou et Mgr Seshie venait d’Assahoun, une localité  rurale à quelques encablures de la ville de Kpalimé. Et ils ont su acheter des terres pendant leurs ministères…des terres quasi oubliées.

La nomination d’évêques non ressortissants de leurs diocèses est souvent source de conflits. Cette situation a miné pendant longtemps la vie du diocèse d’Atakpamé avant que Mgr Barrigah n’y apporte une solution par la nomination d’un évêque originaire de la région.

«Nous ne voulons plus d’un autre évêque non ressortissant du Grand-Kloto à Kpalimé», ajoute ce prêtre sur un ton de frustration. Pour ce prêtre, les ressources humaines ne feraient pas présentement défaut pour constituer un obstacle à une telle nomination. «Actuellement, en ressources intellectuelles et compétences dans de nombreux domaines, la région regorge de fils qui peuvent valablement prétendre diriger le diocèse de Kpalimé».

La vision de ces prêtres paraîtrait presque tribale. Un autre laïc approché  par Le Temps a reconnu que la situation est complexe et qu’il ne s’agit pas d’une question d’origine. Néanmoins l’église devrait revoir sa stratégie dans cette région.

Crise de vocation, fuite des étudiants séminaristes à l’étranger, pauvreté des diocèses, soupçons de compromission avec le pouvoir politique, manque de proximité entre les curés et les fidèles, perte des fidèles,  l’église catholique du Togo vit des heures difficiles à l’heure du choix de ses prochains dirigeants. Il faudrait beaucoup de doigté pour relever la barque qui en train de sombrer.


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A propos Tony Feda 151 Articles
Journaliste indépendant. Ancien Fellow de l'Akademie Schloss Solitude (Stuttgart, Allemagne), Tony FEDA s’intéresse à la sociologie, la culture- ses domaines de prédilection sont la littérature et les arts de la scène du Togo. A travaillé pour plusieurs journaux dont Le Temps, Notre Librairie. www.culturessud.com. Depuis août 2018, s'inspirant de Robert Park et de Bourdieu, il entame sur son blog www.afrocites.wordpress.com des projets sur des thèmes concernant la ville.

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