Débat: Des Togolais dressent sur X un bilan désastreux des 64 ans d’indépendance du Togo

Sylvanus Olympio, président et père de l'indépendance du Togo,

Dans la soirée du 27 avril, fête de l’indépendance, des Togolais, jeunes et vieux, des intellectuels, cadres,  politiques, internautes,  se sont retrouvés autour d’un space sur X (anciennement Twitter) pour jeter un regard dans le rétroviseur sur les 64 années d’indépendances. L’heure du bilan.

Le débat est organisé par Dany Komla Ayida, représentant du National Democratic Institute (NDI) en Afrique Centrale,  expert en démocratie. Les échanges auront duré 2H30 avec la participation de 729 personnes,  mais depuis plus de 900 personnes ont réécouté l’enregistrement.

Les ténors de ce space ont été Monsieur Baldet Naboureima, militant de l’ANC, l’historien Michel Goe-Akué, l’enseignant-chercheur Raymond Kokou Awokou, et d’autres Togolais de la diaspora et de l’intérieur.

Après un survol  de la situation togolaise, M. Dany Ayida a donné la parole à M. Raymond Awokou. Pour l’universitaire, après 64 années d’indépendance, il a le sentiment d’un énorme gâchis « sur les plans humain, économique et infrastructurel ». «Visiblement, il y a beaucoup de travail à faire », ajoute-t-il, comme si tout était à recommencer.  

Le cours d’histoire de M. Naboureima Baldet

A l’évocation des problèmes politiques et surtout la volonté du pouvoir en place de s’opposer systématiquement à tout changement voire de pervertir les réformes visant à apaiser le pays, l’universitaire a donné l’exemple des rapports de la CVJR dont les recommandations n’ont jamais été appliquées.

 Pour l’intervenant, le Togo est une bombe à retardement. Il suffit de jeter un coup d’œil aux  travaux de la Commission Justice Vérité et Réconciliation (CVJR), « rien que le problème du foncier va détruire le Togo un jour», dit-il.

Le second intervenant, Théophile Folly, expert du NDI, a aussi parcouru l’actualité et a conclu au délitement social et économique du pays. Il donne l’exemple de l’effondrement de l’école qui risque de pousser à la perte de la nation, avec des enfants désespérés face à la lecture et la non maîtrise de la langue, “alors que par le passé, des élèves du cours élémentaire étaient d’une grande qualité“.

Le clou de ce space aura été l’intervention de M. Baldet Naboureima qui a déroulé, à travers un véritable cours d’histoire, la vision des pères de l’indépendance, leur volonté de construire un pays prospère et souverain, les divisions au sein de la classe politique après l’assassinat du père de l’indépendance, et surtout l’ascension rapide d’Eyadema pour atteindre le sommet du pouvoir.

L’ancien enseignant a également mis en exergue la volonté de Sylvanus Olympio d’émanciper rapidement le pays de l’ancienne puissance tutélaire (la France). D’où le refus d’adhésion du Togo de Sylvanus Olympio à une organisation sous-régionale comme le Conseil de l’entente créée en 1959 par la France, et la décision de frapper une monnaie togolaise…Laquelle décision lui aura été fatale en janvier 1963 avec son assassinat par un soudard de l’armée coloniale.

M. Naboureima a plutôt une vision pessimiste de l’avenir. Pour lui, il y a très peu d’issue pour le Togo. Ce qui l’inquiète, c’est surtout le passif des droits de l’homme et sa violation systématique par le régime Eyadema et fils.

Les divisions des oppositions

« Toute politique est bâtie sur l’humain. La nôtre semble être construite sur la destruction de l’être humain. Quand on voit le nombre de personnes tuées par le régime [depuis 1967], il en a tué plus que les deux colonisateurs [Allemagne et France, Ndlr] », dit-il. Il a évoqué le bradage des ressources, des entreprises publiques, par le régime actuel, dont la politique économique est qualifiée d’être une navigation à vue.   

Revenant sur le passage d’un autre intervenant sur la division de l’opposition qui profite au régime militaro-civil, il lui a été demandé de se prononcer sur la division des partis dans les années 1960. Et il a évoqué l’ascension fulgurante d’Eyadema, qui a tiré profit de la zizanie entre les partis du même bord que sont le PTP de Nicolas Grunitzky, président du Togo et l’UCPN  d’Antoine Meatchi, vice-président.

Ce dernier, comptant dix députés pendant le référendum d’avril 1958, s’estimait avoir plus de poids pour être président à la place de Grunitzky, crédité de trois députés. En plus, originaire du Nord, M. A. Meatchi espérait le soutien tacite des militaires à l’origine de l’assassinat du père de l’indépendance.

Alors, Eyadema qui était au Gabon pour des obsèques de Léon Mba, instrumentalisé par une main étrangère, est  rentré à Lomé pour faire un putsch et se faire nommer général et clore ainsi le chapitre de la dyarchie. Eyadema n’a dû son ascension que grâce à la Françafrique. Avec lui et Grunitzky, le Togo était retourné dans le giron de la France.

Une autre intervention intéressante est celle de l’historien Goeh-Akué qui a égratigné quelque peu les divisions inopportunes des partis de l’opposition traditionnelle. Lesquelles divisions profitent au pouvoir en place. Selon lui, la participation en rangs dispersés des partis de l’opposition auxx législatives, au lieu d’une liste commune leur sera préjudiciable. «Le mode de scrutin et le découpage inique nécessitaient une union de l’opposition », a-t-il ajouté.

Un sombre avenir pour le Togo malgré les législatives

Grosso modo, tous les intervenants ont exprimé leurs déceptions et de fortes inquiétudes quant à l’avenir du pays. Pour certains, divisions ethniques oblitèrent la cohésion nationale et constituent un blocage à la construction de la nationale, tandis que pour d’autres, le pouvoir actuel n’aura jamais les moyens et la vision pour sortir le Togo de l’effondrement. Ils évoquent par ailleurs l’haïtisation du pays, en référence à Haïti, première république noire dont le destin est pris dans les rets de dirigeants mafieux et de brigands depuis le passage des Duvalier.

Les législatives qui vont se dérouler ce lundi ne suggèrent aucun espoir. Beaucoup considèrent l’avenir du Togo sombre avec le régime actuel d’autant plus que M. Faure Gnassingbe vient d’opérer un changement constitutionnel pour rester au pouvoir à vie. Le débat des 64 ans d’indépendance, c’est le bilan du régime des Gnassingbe, au pouvoir depuis 1967, mais, en principe, vu le pacrous fulgurant d’Eyadema, certainement depuis 1963.

Le « space » est un espace de débats créé sur le réseau social X. Il permet d’avoir des conversations audio en direct . Tout le monde peut rejoindre un space, écouter la conversation et prendre la parole sur X pour iOS et Android. Pour le moment, il est possible d’écouter la conversation dans un Espace sur le Web.


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A propos Komi Dovlovi 1105 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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