Le Temps publie une tribune du dramaturge togolais Dzifa Kokouvi Galley sur la disparition tragique de l’afro-américain George Floyd. La mort filmée en live de ce Noir a ravivé la question lancinante et endémique du racisme aux Etats-Unis, depuis la fin de la guerre de sécession en 1865.
Le mythe biblique d’Abel et Caïn dans la Genèse (Livre de l’Ancien Testament voir Genèse, IV, 1-16) est revisité aujourd’hui. Le mythe a trouvé un genou solide, une tête assez froide, un système assez huilé pour le porter à se donner un corps et retrouver son frère pour le tuer. Oui, avec la modernité, il est officier de police, suprématiste, blanc, avec un insigne 1087. Il s’appelle Derek Chauvin Abel dans son film. Un mythe a plusieurs facettes. Il a donc plusieurs doublures ; un autre officier de police Tou Thao Abel, insigne 7162. Cet autre Abel l’est dans la posture. Debout, bien droit, dos tourné et acteur, le visage rond les jambes un peu écartées même si un peu courtaud et rond. Bras croisés, le regard un peu menaçant qui semble dire, c’est la police, rien à voir, circulez ! et deux autres Abel. Abel, un berger, comme devrait l’être un bon policier, protéger tous les citoyens. Dans un monde qui verra le jour peut-être un jour. Voit-il peut-être quelques brebis galeuses ou mal née… ?
Et l’autre personnage du mythique mythe biblique Caïn, le cultivateur. George Floyd. Dans le mythe, il cultive la terre mais dans notre modernité, il est agent de sécurité dans un club, le même, aux côtés de Derek Chauvin. Chauvin, patriotisme excessif. Un nom est souvent un destin. Pas toujours. Une couleur, dans notre monde, aujourd’hui, oui. Qu’on le veuille ou pas, tous citoyens d’une même terre. Terre d’emprunt, terre de déportation, terre-plantation de coton ou terre-geôle. C’est selon.
Abel c’est le deuxième fils de mythique couple : Adam et Eve. Caïn, est l’ainé. Le plus âgé. Même si ici, ce mot (frère) n’a jamais existé entre le noir et le blanc, il existe plutôt une frontière, le nom d’un autre type de meurtre qui est la relation entre maître et esclave. Et Derek, un peu loin de Derrick (l’inspecteur et enquêteur d’une série télévisée) presque a raté son prénom. Tout un antonyme !
(D’ailleurs cette série a été suspendue « à cause du passé Nazi du principal acteur Horst Tappert »). Finalement ces deux noms si ressemblant s’emboitent comme la main de Tou Thao dans son gan ou celle de Derek dans sa poche.
Ce genou-gourdin-clouté de Derek Chauvin, enfoncé dans le cou de George Floyd, la main du policier confortablement dans sa poche, lunette garée en vacancier sur le front, sa posture, celle d’un homme faisant un selfie dans le meilleur des mondes, la tenue de Tou Thao, (un nom qui me remplit la bouche, m’étouffe) comme s’il allait faire un hakka l’instant d’après pour célébrer ce crime, répondent à Dieu quand celui-ci demande au chef du quatuor Caïn et à toute la police de Minneapolis « Où est ton frère Abel George Floyd ? » :
L’Acteur Derek Chauvin : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ?
Et Dieu dit : Qu’as-tu fait ? regarde ton genou ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi.
En tout cas, Caïn refit comme Eric Garner sacrifice à dieu de tout ce qu’il a de plus précieux, son dernier soul : I CAN’T BREATHE. Surtout l’humain qui a l’instant ultime pense à sa mère (ou sa femme) : MAMA. L’Obélisque de sa vie. Je vois tous ces noirs américains couchés, froidement assassinés comme Eric Garner. Je veux les dénombrer : un, deux, cent…mille…je ne sais plus compter. Dans le ciel, des milliers d’étoiles hurlent le nom de leur meurtrier, chaque nuit.
Ce policier est censé être le gardien de la vie des autres. Et voilà sous les caméras, face au monde, il tue. Il refuse d’être ce gardien. S’ils étaient tous deux civils, c’est le Noir qui l’aurait fracassé, mis en pièce détachée étant donné leurs gabarits respectifs.
Aujourd’hui entre l’esclave et l’Etat, c’est l’Etat qui est faible, qui boit du sang comme on boit du pétrole et croque tous les os du cou du citoyen.
Le quatuor d’acteur est licencié. Une véritable promotion. Un baroud d’honneur ! Mieux qu’une médaille de la plus haute distinction. Comme peu, ils diront qu’ils ont franchi le frontière, éprouvé jusqu’à la lie leurs idéaux. Ils sont à la disposition de leurs nombreux fans, les suprématistes blancs. La première du film a eu lieue. Une audience mondiale à guichet fermé. Ils pourront signer des autographes, donner de grandes conférences à prix d’or dans de prestigieuses universités. Dieu est mort depuis la découverte de l’atome. Nous sommes à Hollywood. C’est le charme de l’Amérique. Ici, la haine est une source vitale, la faiblesse une énergie d’un tout autre ordre. La lâcheté plus grande qu’une patrie. Le silence, plus large, plus brillant et plus doré que tous les drapeaux.
Nous sommes dans le monde. Il est vaste. Il est chez soi. Il est ailleurs. Avant de lever la tête, regarder l’horizon, dire un mot, il faut aussi regarder ce qui se trouve à ses pieds. Un vieux proverbe nous apprend ceci : quelle que soit la puissance du jet de ton urine, la dernière goutte tombera toujours entre tes jambes. Valable et pour les hommes et pour les femmes.
La partie la plus gênante et inavouable de cette grande histoire est que loin du pays de l’Oncle Sam, dans nos enclos coloniaux, en Afrique, la terre de Ancêtres de Floyd George (Paix à son âme) et aussi du chauvinisme (je l’ai appris de Lucy, ‘’ une ancienne cousine’’ de l’humanité, un squelette de 3, 2 millions d’années), ou Cheddar Man. Le couple Abel et Caïn porte d’autres noms. D’autres visages. Les mêmes. Surtout avec la même colorimétrie. Vous les trouvez chez nous dans les 54 ‘’découpés’’ de l’Afrique, aussi. Le confinement a été une foisonnante période de résurgence de la même tare : le fratricide.
Kokouvi Dzifa Galley, écrivain
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