L’Eglise catholique apostolique romaine du Togo a apparemment renoncé à jouer un rôle majeur dans la crise sociopolitique.
Le 21 novembre dernier, dans une adresse pleine d’amertume et d’inquiétude, la Conférence des évêques du Togo statue sur la situation politico-sociale à l’approche de la présidentielle. Comme par le passé, les alarmes du clergé catholique portent sur l’absence de réforme du cadre électoral et partant la réédition d’un scrutin controversé débouchant possiblement sur la violence et les sauvages répressions des manifestations. Les prélats sonnent naturellement le tocsin pour les acteurs politiques leur demandant un surpassement de soi pour préserver l’intérêt national et la paix, et vers la communauté internationale pour qu’elle contribue à l’amélioration du climat politique au Togo.
Un message mi-figue mi-raisin voire insipide, tout diplomatique tout de même, qui se démarque néanmoins des dernières sorties du clergé par une moindre charge contre le pouvoir léviathanique de Faure Gnassingbe et surtout par la sulfateuse contre l’opposition accusée d’être incapable d’unité et d’absence de vision.
C’est la première fois que le clergé catholique égratigne vigoureusement et publiquement l’opposition. Que l’opposition togolaise soit désunie et médiocre n’est pas en soi une nouveauté. C’est d’ailleurs sa plus brillante marque de fabrique. Mais qu’on la rende responsable, ne serait-ce qu’en partie, de la morbidité de la situation politique relève une fois encore de l’hypocrisie du renard de la fable.
En réalité, le contexte de la sortie des ecclésiastiques – la nomination le même jour du prélat d’Atakpame, Monseigneur Nicodème Barrigah, un diplomate- est le signe que ce message marque un changement d’attitude de l’Eglise vis-à-vis du pouvoir militaro-civil. Oui, l’Eglise a viré sa cuti.
Jusqu’à présent et ce depuis quelques mois, les rapports entre l’Eglise et le pouvoir sont pour le moins heurtés voire frontaux, parfois brutaux même. Les actions du mouvement Espérance pour le Togo du révérend-père Pierre Marie-Chanel Affognon et son alliance avec le Front Togo Debout dans une lutte à orientation populaire avérée suscitent de fortes inquiétudes et des réactions d’urticaire de la part du régime. L’exclusion de l’Eglise catholique de l’observation des élections locales est par voie de conséquence l’un des avatars de cette confrontation avec le pouvoir.
Mais les soubresauts maladroits de l’archevêque Monseigneur Fanoko Kpodzro hurlant comme un roquet et sa volonté manifeste d’en découdre avec le pouvoir marquent le point d’orgue de cet affrontement à fleuret moucheté, donnant l’impression d’une sortie de l’Eglise du champ de neutralité politique dans laquelle elle s’est volontairement confinée pour entrer de plain-pied dans l’arène. A l’évidence, la nomination de Barrigah entre dans le cadre d’un apaisement. Les compétences de diplomate ayant traîné sa bosse dans des zones de crise (Israël, Rwanda, Nicaragua) et son passage à la tête de la Commission Vérité Justice Réconciliation, son silence quant au sort fait aux travaux, plaident pour le nouvel archevêque. Contrairement aux deux anciens archevêques émérites, victimes du pouvoir militaire, et donc en totale prévention contre Faure Gnassingbe, Monseigneur Barrigah a plutôt un rapport sans histoire.
Et dans une Eglise catholique composée de prélats pas toujours à l’aise avec le politique, l’arrivée d’un homme expérimenté dans le domaine pourrait effectivement changer la donne. Et ça tombe bien pour le pouvoir, le mandat de Mgr Benoit Alowonou, évêque de Kpalimé en tant que président de la Conférence des évêques du Togo s’achève. Le nouvel archevêque prendra probablement les rênes de la CET. Alors, est-ce la fin de la récréation ?
On pourrait le penser, le redouter même. Car le message de la CET, avec cette accusation portée à l’encontre de l’opposition, est aussi une façon de racheter la paix avec le pouvoir.
D’où le malaise que produit l’attitude de l’Eglise, un sentiment de trahison, d’abandon. Cette accusation de manque de vision dont elle affuble l’opposition, cette exhortation aux populations à se bouger, sont en réalité une façon de se dédouaner. L’Eglise en la circonstance paraît plus habile à voir la paille dans l’œil de l’opposition que la poutre qui est dans le sien. Le pharisaïsme des clergés monothéistes a la vie dure, et tout comme hier le clergé Juif a sacrifié Jésus pour éviter une réforme de l’ordre existant, le clergé catholique et son maître vaticane préfère renoncer au peuple togolais et s’acheter la paix à peu de frais avec la mafio-junte cinquantenaire.
Sinon comment comprendre que le corps social le mieux structuré, le mieux organisé après l’armée, ayant à sa botte toute une armée d’intellectuels, impliqué d’une manière ou d’une autre dans la vie politique, sollicité même parfois, n’ait pas lui-même une vision de la crise et table aveuglément et trivialement, comme le velgum pecus, sur la voie électorale comme LA solution ?
La déception est grande. Après avoir vendangé la CVJR, gardé un silence sépulcral sur l’inaction de Faure Gnassingbe quant aux auteurs et commanditaires des violences de 2005, et après son indifférence sur les actions du HCCRUN, Monseigneur Barrigah fait avaler à son peuple une autre couleuvre. Et sans contrepartie. Si dans le désarroi et devant une opposition en totale débandade, le seul saint auquel les Togolais peuvent se vouer capitule en rase campagne et renonce si facilement à sa mission, alors…
Et pourtant, l’Eglise le reconnaît elle-même, les Togolais sont las de vivre sous les Gnassingbe, un régime mortifère avec lequel la nation semble damnée ad perpetuam. Peut-être serait-ce à cause de son impuissance devant le désastre que l’Eglise opte prêcher uniquement le royaume des cieux aux damnés de la terre ?
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