Pour la présidence de la Commission de l’Union Africaine, la diplomatie togolaise joue contre le Sénégal pour des raisons de politique intérieure.
De quoi faire retourner les concepteurs de la Françafrique dans leur tombe ! En principe, une règle non-écrite voudrait que les pays du pré carré francophone se soutiennent en Afrique et appuient la France à l’Onu. Fin du mesquin jeu francophones contre anglophones ?
Autre temps, autre mœurs ! Faure Gnassingbé vient de se désengager de cette coutume en appuyant officiellement la candidature de la ministre des Affaires étrangères du Kenya à la tête de la Commission de l’Union Africaine contre le candidat du Sénégal, le très chevronné diplomate et vieux militant de la cause panafricaine, Abdoulaye Bathily.
Un safari diplomatique
L’inopinée visite de Faure Gnassingbé au Kenya, un pays aux confins de l’Est de l’Afrique, soi-disant pour profiter de ses expériences dans la téléphonie mobile ne serait que de la poudre aux yeux.
Même si le Kenya est à la pointe dans ce domaine, les autorités togolaises n’avaient pas besoin d’aller si loin pour comprendre que leur manque de vision constituait les freins au développement du numérique sur le plan national, avec les tarifs de téléphone parmi les plus chers au monde et une connexion Internet trop faible pour apporter les innovations de pointe.
A part le safari, le voyage de Nairobi s’inscrit dans une réelle stratégie de politique étrangère, mais assez étrange puisque le destin inavoué en est la conservation du pouvoir monarchique des Gnassingbé.
En s’opposant à la candidature d’Abdoulaye Bathily, Faure Gnassingbé affiche clairement son mécontentement de l’entrain démocratique du Sénégal sur la scène ouest-africaine.
Pourquoi le Togo joue contre le Sénégal
Tout d’abord, le pays de Senghor, où l’on s’offusque de la médiocrité et réputé pour la qualité de sa classe politique et de ses intellectuels, est en effet l’un des pays réputés pour son système démocratique avec une régularité de l’alternance au pouvoir, une société civile forte dont certains éléments étaient prêts à exporter leurs expériences de soulèvement populaires au Togo.
Ensuite, le Sénégal est l’un des fourriers de l’introduction du sacro-saint principe de la limitation du nombre des mandats présidentiels à deux dans la CEDEAO, on l’a encore trop vu avec la dernière volonté du président Macky Sall d’en découdre militairement avec le régime de Yahya Jammeh dans le néo-conflit post-électoral en Gambie.
La Gambie reste d’ailleurs avec le Togo les deux seuls pays opposés à la limitation des mandats, qui ont d’ailleurs fait capoter le vote de la CEDEAO sur le sujet.
Enfin, laisser Abdoulaye Bathily, homme politique doublé d’un intellectuel, diriger la présidence de la Commission de l’Union Africaine, c’est prendre le risque d’ouvrir la boîte de Pandore de l’immixtion dans les affaires intérieures des Etats, un principe sur lesquels plusieurs Etats membres restent très chatouilleux.
Un précédent dangereux pour Faure à l’Union Africaine
Le cas du premier président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré, reste encore vivace dans la mémoire de l’entourage de Faure Gnassingbé. L’ex-président malien s’était violemment opposé à l’arrivée de Faure Gnassingbé au pouvoir suite au coup d’Etat organisé par le quarteron d’officier à la mort du général Eyadema.
N’eussent été le soutien de Jacques Chirac au fils de son « ami » et la couardise du général Obasanjo qui s’est finalement aligné sur la position française, Alpha Oumar eût réussi son coup d’une Commission de l’Union Africaine plus hardie en ce qui concerne la gestion des conflits liés à l’alternance dans les Etats membres.
Par conséquent, en apportant son soutien à la ministre des Affaires étrangères d’Uhuru Kenyatta, un chef d’Etat dont les casseroles génocidaires bruissent toujours en dépit de l’abandon des charges par la CPI, Faure Gnassingbé cherche un compagnon de misère qui pourra lui renvoyer l’ascenseur à tout moment.
La diplomatie togolaise a-t-elle les moyens ?
Mais la diplomatie togolaise a-t-elle vraiment les moyens de s’opposer au Sénégal, pays ayant un réseau puissant dans les organisations internationales ? Fort possible. Le coup est jouable pour Faure Gnassingbé. Edem Kodjo, son âme damnée en matière de politique étrangère a mis à sa disposition son puissant réseau.
Ce qui explique la visite éclair de Faure Gnassingbé à Brazzavile sur son chemin retour de Nairobi. Il peut avoir également Libreville et Kinshasa dans la poche, profitant de l’alliance tacite et honteuse entre héritiers monarchiques dans des Républiques.
La position de la Côte d’Ivoire n’est pas encore connue, même si Alassane Ouattara et Faure Gnassingbé ne se bécoteraient pas farouchement, l’Ivoirien n’a pas la mémoire courte : une unité des Forces armées togolaises s’est battue sous pavillon de l’Onu contre Laurent Gbagbo.
De passage à Lomé pendant la crise électorale, Alassane Ouattara n’a –t-il pas rudoyé Jean-Pierre Fabre, le candidat du CAP 2015 d’accepter les résultats de la présidentielle 2015 ? Ce dernier n’était-il pas allé incognito à Abidjan avant la présidentielle et y aurait reçu des suggestions de ramollir sa position en vue de jouer de son statut de chef de l’opposition ?
Et vieux jeu de puissance entre Houphouët et Senghor, la Côte d’Ivoire ayant retrouvé sa puissance économique d’antan dans l’espace CEDEAO pourrait fort bien faire un coup de menton au Sénégal.
Le jeu est-il gagné ?
Rien n’est donc joué, où tout serait en train de jouer, puisque si les rangs francophones se disloquent, les Anglophones pencheraient bien du côté kényan. Le nom du Secrétaire général sera donné au sommet de l’UA en janvier. Abdoulaye Bathily pourrait bien perdre.
Reste que ce n’est pas une bonne nouvelle pour les Togolais. Faure Gnassingbé tient à son trône comme à la prunelle de ses yeux. Il est prêt à faire des infidélités aux pays de l’UEMOA juste pour conserver son pouvoir.
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