Le dialogue togolais devrait théoriquement se terminer demain samedi. En tout cas, les protagonistes sont en train d’éplucher les 3 points à l’ordre du jour restants. 17 heures sonnant, la fumée blanche du facilitateur donnera les conclusions d’un dialogue marathon qui aura duré deux semaines, mais en réalité une, si l’on tient en compte que les débats proprement dits ont commencé avec l’entrée en scène de l’évêque d’Atakpamé.
Mais avant 17 heures, il n’est pas besoin de lire dans le marc du café pour supputer l’avenir ; le dialogue n’aura abouti à rien. Les rumeurs vont bon train de ce que la situation qui prévaut dans l’exiguë salle de Togotélécom n’augure rien de bon. En témoigne la curieuse attitude mutique des délégués de l’UNIR au pouvoir pendant ces négociations.
Si vous avez bien écouté le communiqué lu mercredi à la fin des discussions, vous aurez pu penser que les choses évoluent. Je peux vous dire qu’à ce jour, il ne s’est rien passé dans cette salle, rien du tout, affirme Me Zeus Ajavon, Coordinateur du CST, le 29 mai au cours d’un point de presse.
Sur les neuf points abordés, les représentants de l’UNIR (Union pour la République) n’avaient pas de position. Ils ne font qu’écouter ce que les autres et quand on leur passe la parole, ils disent qu’ils n’ont rien à dire. On ne sait pas ce qu’ils pensent, ajoute encore Me Ajavon.
Et l’universitaire avocat de tout résumer grosso modo : ce qu’il se passe au siège de Togotélécom est un “monologue”. Certes, les députés UNIR ont donné un semblant de dialogue- pour qu’on ne les accuse pas de s’être enfermé dans un mutisme assourdissant :
“Les seuls acquis de ces jours de discussion consistent portent sur le financement des partis politique et le retrait de l’adverbe « exclusivement »dans l’article qui énonce que pour être président de la république, il faut être togolais de naissance. Il s’agit en fait de sujets qui avaient déjà été réglés depuis 2006 par l’APG.
Echec annonciateur
Apparemment, au lieu d’un monologue, il s’agit d’un dialogue de sourds voire de sourds-muets. Le silence a un sens. Il y a une éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire. Cela n’étonne presque pas, sauf qu’on n’imaginait pas que les délégués d’UNIR allaient jouer la comédie jusqu’à sa caricature extrême, comme dans un théâtre d’Eugène Ionesco. L’absurde. On ne saurait mieux représenter le théâtre obscène joué par l’opposition et le pouvoir, avec la complicité du prélat d’Atakpamé, placé idéalement dans un rôle de Ponce Pilate. Il savait pourtant sur quel terrain il s’aventurait, lui qui a déjà initié une espèce de dialogue à la veille des législatives de juillet 2013.
Comment cela pourrait-il en être autrement ? A peine annoncé que l’on a senti que le dialogue est un échec. L’opposition voulait un dialogue avec le pouvoir, ce dernier lui a donné un dialogue avec ces députés, des caciques du RPT, imprégnés des vieilles méthodes du temps d’Eyadema : quand on est en position de force, il ne faut céder sur rien du tout.
Le pouvoir a toujours refusé le dialogue et réitéré sa volonté de faire les réformes par le parlement. Il entendait ainsi appliquer la règle dans toute démocratie digne de ce nom : la majorité gouverne, l’opposition s’oppose. Point barre.
Il va sans dire qu’on va droit dans le mur, que l’échec du dialogue est inévitable. Le prélat pompier n’y pourra rien du tout. Le pouvoir veut ramener l’opposition à l’Assemblée nationale. On ne voit pas comment l’opposition pourra se soustraire à ce retour au pouvoir législatif. Certes, il y a le CST qui menace de recourir à la rue, mais cette stratégie a fait ses preuves par le passé : les manifestations du CST sont des zéros qui multiplient pour le simple fait qu’elles sont gigantesques. Vaines manifestations, quelquefois suivies d’inutiles décès et de blessés traumatisés à vie. Faut-il encore courir le risque ?
Les réformes demandées, le régime politique, la nomination et les prérogatives du premier ministre, les conditions d’éligibilité du PR, la durée et la limitation du mandat présidentiel, l’institution du sénat, la réforme de la cour constitutionnelle, le mode de scrutin de toutes les élections, l’amélioration du cadre électoral, devraient pourtant mettre tout le monde d’accord. Même le mandat présidentiel devrait susciter l’unanimité, à part l’aspect sur sa rétroactivité ou non. Tout est dans l’intérêt du pays. Une Constitution impartiale et impersonnelle en sortirait, au lieu de l’actuelle taillée sur mesure pour Faure Gnassingbé & co.
Certes, les délégués de l’ADDI et de l’ANC veulent empêcher Faure Gnassingbé d’effectuer un troisième mandat, mais la Coalition Arc-en-ciel assez pragmatique et l’UFC ne sont pas de cet avis. Et l’UFC l’a dit haut et fort, on ne voit pas comment on pourrait empêcher d’aller à la présidentielle de 2015. Ce n’est pas réaliste.
Régime fort à l’image de Singapour
Si malgré cette situation, il y a échec du dialogue, c’est que manifestement, il y a la mauvaise volonté de la part du parti UNIR qui entend manifester conserver le pouvoir.
C’est ici que l’on atteint le clou du problème togolais. UNIR héritier du RPT, un parti usurpateur, arrivé par effraction sur la scène politique, par l’assassinat de Sylvanus Olympio et la complicité de la France, et qui depuis n’entend pas du tout abandonner le pouvoir, quoi qu’il arrive !
L’idée que le pouvoir appartienne aux Gnassingbé, voir au clan de Pya, est une idée essentielle. L’opposition peut s’opposer ; avec le soutien de l’armée, on peut l’endiguer, et si possible on peut débaucher certains de ses membres. Il y a plus grave, on peut démonter toute l’opposition en débauchant la plupart de ses membres. Epuisée par plus de deux décennies de lutte, l’opposition en est réduite même à mendier. A dessein, on vient de lui tailler une loi de financement des partis pour qu’elle puisse bénéficier des miettes ! Certains petits partis sont allés aux élections, juste dans le but de bénéficier de ces restes de table qu’on jette à la meute.
La stratégie de Faure Gnassingbé repose également sur le soutien de la communauté internationale. Il a formidablement réussi en écartant Kpatcha Gnassingbé, à avoir l’appui des Américains et des Français. Les Allemands sont réticents, mais la coopération germanique s’accroît de jour en jour. Les Chinois lui sont acquis. Aujourd’hui, il peut même se passer de certains financements à taux concessionnels mais conditionnels de la Banque mondiale et du FMI, pour voler dans les bras des Chinois. En tout cas, ce n’est pas avec les menaces terroristes en tous genres et la destabilisation qui plane sur la sous-région, que les puissances occidentales vont vouloir lâcher un pouvoir devenu un maillon indispensable à la sûreté dans la région.
Faure Gnassingbé se sent assez fort pour conserver son pouvoir. Avec une croissance à 5 voire 6% pour certaines prévisions, il se croit autorisé au point de rêver d’un Togo émergent à l’horizon 2030. Les lourds investissements au Port de Lomé, dans les infrastructures, et les prévisions dans le domaine agricole faites par la prospective Vision Togo 2030, lui font croire qu’il garde la main pour longtemps. Il a donc toute la latitude d’installer un système fort à la manière de Singapour ou de Chine.
Cependant,la politique n’est pas une science exacte, et il n’est pas évident que les prévisions économiques soient au rendez-vous, d’autant plus qu’avec les infrastructures, il faut craindre un surendettement du pays qui risque fort d’obérer les améliorations souhaitées. Avec 1000 milliards CFA de dépenses en cinq ans, rien que dans les routes, le Togo a dépensé exactement autant que la dette extérieure avant son annulation. Le pays risque de se retrouver au bout de quelques années, avec un niveau d’endettement élevé, si les recettes fiscales attendues ne rentrent pas.
Il y a pire:Singapour dont le système charme le successeur d’Eyadema, se prévaut notamment de sa prospérité économique et de la répartition équitable de sa richesse. Faure Gnassingbé a montré depuis 2005, que c’est là son talon d’Achille, s’étant entourés de vautours et de requins qui n’ont cesse de siphonner les ressources, le pays risque fort de ressembler à ce qu’il était dans les années 1970-1980. Les mouvements sociaux ne vont pas manquer et s’amplifier comme ils se font déjà ressentir depuis 2 ans. Et c’est justement sur ce plan que l’opposition pourrait avoir raison de lui.
Last but not the least, Faure Gnassingbé oublie une chose: son régime est un non-sens. Entré par effraction dans l’histoire, il est toujours considéré comme un usurpateur quoi qu’il fasse, étant perçu comme le fils d’Eyadema. Difficile de changer ce tropisme dans le regard des Togolais. Ce qui est juste dure éternellement, mais ce qui n’est pas juste dure très peu. Et les Togolais finiront par avoir raison d’une présence immorale à la tête de l’Etat. C’est en ce sens que Faure Gnassingbé a peut-être intérêt à préparer sa succession en entreprenant les réformes constitutionnelles et institutionnelles dans l’intérêt supérieur de la nation. Il n’est pas normal que le Togo reste indéfiniment une exception dans la sous-région.
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