Perdre le corps, le deuxième opus de la trilogie Avant Accra, après Cotonou, de l’écrivain togolais Théo Ananissoh sera en librairie ce 14 janvier (en France), soit opportunément au lendemain du 58ème anniversaire de l’assassinat de Sylvanus Olympio, père de l’indépendance du Togo. Sylvanus Olympio dont la disparition marque un coup d’arrêt dans l’érection de la jeune nation togolaise. Symbolique de la perte du corps, de la dépossession de l’être ? Avant la parution du roman ce 14 janvier et son arrivée au Togo dans plusieurs semaines (covid-19 oblige), Le Temps a posé trois questions à l’écrivain pour avoir un aperçu. Lisez plutôt.
Perdre le corps, le deuxième volet de votre trilogie intitulée Avant Accra, après Cotonou, paraît ce jeudi 14 janvier en France, aux éditions Gallimard. Delikatessen, le premier roman de la trilogie, porte sur l’oppression du corps de la femme dans nos contrées, car le cadre spatio-temporel de votre fiction reste le Togo. Vous y situez également Perdre le corps. De quoi y est-il question ?
D’amour, d’amitié, de maladie et du Togo comme planète de mon imaginaire. Dans Delikatessen, il y a une sorte de fébrilité et de brutalité chez les personnages quant au corps – qui est un sujet d’extrême importance pour moi. Dans Perdre le corps, c’est l’inverse, je crois. Le point de départ, certes, rappelle volontiers Delikatessen. Un homme d’âge mûr (Jean Adodo) paye largement un jeune voisin (Maxwell Sitti) pour qu’il fasse la cour à une jeune femme (Minna) afin d’en être libéré. Max découvre peu après qu’en réalité Jean et Minna ne se connaissaient pas vraiment. Lui-même chute dans un état d’amoureux qui le fait sans doute idéaliser outre mesure la jeune Minna. Mais la suite du roman est autre par rapport à Delikatessen, si je puis dire. Intense et autre.
Justement, un homme qui a de l’argent, fait donc une proposition indécente à un jeune qui semble bien innocent. Dans quel Togo nous plongez-vous ? Sous l’angle de quelle catégorie percevez-vous le pays ?
Ah ! Le Togo comme toute réalité collective est hétérogène, complexe, multiple. Je n’ai pas une vision unique du pays, non. On écrit justement des romans parce que la réalité, la vie des hommes n’est jamais réductible à quelques catégories ou notions. Perdre le corps est différent de Delikatessen alors que tous deux sont situés dans le même pays. Je voulais développer les sentiments d’amitié et d’amour, mettre en regard, l’une dans le miroir de l’autre et vice-versa, deux phases de la vie humaine : la jeunesse et l’âge mûr ou vieillissant. Perdre le corps est peut-être un roman qu’on écrit quand on a plus de 50 ans. Mon éditeur Jean-Noël Schifano, qui a tout de suite aimé et accepté le manuscrit et à qui je rends hommage au passage, a été touché par cet aspect. Pour répondre précisément à votre question, non, j’explore le Togo plutôt que ne le juge. Enfin, pas trop. Je dirais à mes compatriotes de comprendre possiblement le titre comme ceci : « Perdre le corps… afin de le posséder mieux. »
«Une maison coûte des dizaines de millions de pouemis», dit un des personnages de Perdre le corps. Pouemi comme monnaie africaine est inhabituel. De quoi s’agit-il ?
Vous relevez là un élément qui fait ma joie dans ce roman ! L’argent y tient une grande place. Il y joue un rôle décisif. L’argent comme monnaie et comme grappe de moyens quasi magiques vis-à-vis de l’autre. J’écrivais le roman pendant qu’on agitait dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre la question d’une nouvelle monnaie africaine, etc. A un moment donné, on pouvait croire que la monnaie qui a cours en ce moment dans nos pays changerait de nom quelques mois plus tard. Écrire un roman qui fonctionne avec un nom de monnaie caduc avant même sa parution ? Par ailleurs, je cherchais un moyen d’exprimer un hommage à un Africain exceptionnel : le Camerounais Joseph Tchundjang Pouemi. J’aime beaucoup la mémoire de cet économiste brillant qui a publié un seul ouvrage tout à fait magistral sur l’économie politique contemporaine. De la pensée éthique. Brillante. Libre. Né en 1937, il est mort tragiquement en 1984. La seule photo de lui qui circule sur le Net est un regard qui vous déplore en silence. Son ouvrage Monnaie, servitude et liberté est auto-édité. Une vie sacrifiée. Le bien est courageux ou n’est pas, c’est comme ça. Et hommage doit lui être rendu. C’est quand on ne le fait pas que le sacrifice de l’homme de bien a été vain. Pas sur le moment. Je traite de l’usage de l’argent entre les hommes dans ce roman ; c’était l’occasion plus que jamais de dire ce qui est une évidence pour moi : la monnaie africaine à venir ne peut que s’appeler « pouemi ». Point.
Théo Ananissoh, Perdre le corps, Gallimard, 280 pages, 14 janvier 2021, 20 Euros.
Bio Express
Ecrivain germano-togolais, Théo Ananissoh est en 1962 en Centrafrique, avant de suivre ses parents, qui reviennent au Togo pour fuir le régime de Bokassa.
Après un doctorat en littérature générale et comparée, et après avoir enseigné le français dans des collèges en France, il voyage en Allemagne, où il vit depuis 1994. Il est auteur de plusieurs romans édités par Gallimard dont Lisahohe, Un Reptile par habitant, Ténèbres à Midi, et Delikatessen. Il a publié également Le Soleil sans se brûler (Editions Elyzad) et l’essai A feu nu (Editions Awoudy), un recueil de chroniques sur le Togo.
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