Agbéyomé Kodjo : «L’opposition, Fabre, ma détention, la diaspora, DMK, la suite du combat et moi»

Le 22 février dernier, il a été élu président du Togo. Une victoire reconnue par une partie de l’opposition ainsi qu’ambassades et chancelleries qui le désignent de fait comme « un président en salle d’attente ». Mais il peine à accéder au pouvoir. Faure Gnassingbé, président sortant s’est fait proclamer vainqueur. Avec 70% des voix. « Une inversion des résultats » dénonce Régis Marzin, l’un des meilleurs spécialistes des élections en Afrique. Un score pléthorique dans un pays miné par les scandales financiers et où, ayant hérité du pouvoir de son père, le président togolais jouit de peu d’estime au sein de la population. Dans la discrétion, Agbéyomé Kodjo continue lui de remuer ciel et terre. D’ailleurs, pour la première fois au Togo, un véritable bras de fer a lieu après une présidentielle plongeant le président sortant dans une insomnie. Si les Américains se sont fait discrets sur le sujet, dans les coulisses, ils maintiennent la pression. Faure Gnassingbé n’a pas été aperçu en public depuis plusieurs mois, alimentant ainsi les rumeurs les plus alarmants. Dans l’ombre, les pressions continuent. 4 mois après le scrutin, pour la première fois, Kodjo parle de tout. L’opposition, la présidentielle, sa détention, la Dynamique qui l’a porté à la victoire et surtout, la suite du combat promettant arriver, par tous les moyens légaux, à la jouissance du pouvoir. Interview fleuve où l’ancien Premier ministre togolais raconte tout. Entretien!

Vous êtes le président élu du Togo, 4 mois après, vous n’êtes pas au pouvoir. Vous lassez-vous finalement ?

Monsieur, vous m’offrez l’opportunité de revenir sur une situation que je déplore à l’instar d’un nombre considérable de mes compatriotes. Les remontées documentées issues des bureaux de vote ainsi que les indicateurs chiffrés qui les sous-tendent attestent de ce que nous sommes sortis largement vainqueurs du scrutin présidentiel du 22 février 2020, et ce, dès le premier tour. De nombreuses embûches furent érigées sur le chemin conduisant d’une part, à la proclamation de la vérité des suffrages exprimés dans les urnes en notre faveur par la majorité des électrices et des électeurs ; et d’autre part, à l’avènement d’une transition politique effective et pacifique au Togo.

Néanmoins, en dépit des entraves qui nous furent anormalement opposées nous restons debout, et réclamons vérité des urnes. Notre gain électoral fut et demeure tant et si bien éclatant et à tous égards. Aucun esprit sérieux au rang de la classe politique nationale ne fait grief à nos intérêts légitimes à revendiquer notre indéniable victoire électorale qui ne souffre de strictement nulle équivoque. La vérité des urnes dans sa simplicité toute nue mérite d’être dite, reconnaissent des membres de la formation politique à laquelle appartient Monsieur Faure Gnassingbé.

Pour autant, ils subissent des injonctions comminatoires qui les contraignent à ne pas être en capacité de s’exprimer librement et publiquement. Vous comprendrez qu’en l’état, il m’est difficile de me lasser de quoique ce soit car les attentes de la population en termes d’aboutissement à un processus électoral porté par le vif désir d’alternance de la gouvernance politique au plus Haut niveau de la Charge de la République, sont fortes. Aussi, nous restons convaincus de ce que nous triompherons de toutes les turpitudes qui visent à maintenir le statu quo.

Malgré vos sollicitations, l’opposition n’a pas fait bloc derrière vous, comment expliquez-vous cette désolidarisation ?

Le peuple reste soudé derrière la Dynamique et revendique sa victoire. Les populations issues de toutes les régions du Togo ainsi que de la diaspora n’ont de cesse de m’exhorter à œuvrer pour donner un visage à cette victoire le plus rapidement possible. Mes Collègues d’une frange de l’opposition sont les seuls à connaître les raisons qui motivent leur inertie. En tout état de cause, ils ne demeurent pas moins convaincus quant à la victoire de la Dynamique. C’est pourquoi, je suis enclin à penser que la classe politique togolaise issue de toute l’opposition, devra se soustraire à la ritualisation qu’elle pratique tous les cinq (5) ans, de la chronique de sa défaite annoncée.

Car, point n’est besoin d’être grand Clerc pour dresser le constat de la regrettable cristallisation négative et intrinsèquement inféconde des petites chapelles politiques relativement à un candidat unique de toute l’opposition pour le scrutin présidentiel.

J’en suis même venu à me poser la question de savoir si l’opposition togolaise est apte à sortir de la trappe àinertie dans laquelle elle s’est enfermée depuis 1991 !

Le socle commun d’objectifs à atteindre et qui devra lier l’ensemble des formations politiques issues de l’opposition togolaise n’est-il pas l’alternance politique, sans finasserie, ni jérémiades ni ego démesuré ?

Au-delà de la classe politique issue de l’opposition togolaise, c’est toute la classe politique nationale qui n’ignore pas que Faure Gnassingbé n’a pas gagné le scrutin présidentiel du 22 février 2020. D’aucuns affirment que personne n’a gagné cette compétition électorale majeure.

Factuellement un constat s’impose : UNIR reconnait mezza voce la victoire de la Dynamique tandis que d’autres formations politiques le confessent.

Parlons de votre brève interpellation en avril. Que s’est-il passé à la gendarmerie ? En contrepartie de quoi avez-vous été libéré ?

Pareille agitation tumultueuse procéda d’une rodomontade tendant à montrer les muscles. Il s’est agi en l’espèce, de méthodes peu valorisantes. Je pense que tout le vacarme orchestré ainsi que les brutalités commises, relèvent de la caporalisation de nos institutions. Il nous faut au Togo, des institutions indépendantes et crédibles pour la protection des droits humains. Il devient impérieux d’éviter que prospère la raison du plus fort au Togo. Que me reproche-t-on ? Pendant la campagne électorale, je suis allé à la rencontre des différentes catégories sociales du Togo. Ne pouvant pas me rendre physiquement dans les différentes garnisons de notre pays, je me suis adressé par médias aux forces de défense et de sécurité. C’est en la circonstance que j’ai décliné ce que je compte entreprendre pour la revalorisation de leur institution si je suis élu. Aussi, ai-je annoncé les mesures d’accompagnement que je mettrai en œuvre aux fins de contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail des hommes et des femmes en uniforme qui constituent de l’épine dorsale du pays ? Y a-t-il une loi au Togo qui interdit à un candidat à l’élection présidentielle de présenter le contenu de son programme à ceux qui forment l’épine dorsale du pays ? Par ailleurs l’archevêque émérite de Lomé avant l’ouverture de la campagne électorale organisa une messe d’investiture en un lieu de culte (une Église) de la Capitale.Au cours de ce service religieux, il implora les bénédictions du Ciel sur ma candidature,me remit le drapeau togolais et implora la grâce du Seigneur pour qu’il nous ouvre la voie de la victoire à l’instar d’une pratique usuelle qui a cours s’agissant des sportifsqui prennent part à une compétition de haut niveau. En l’espèce, il s’est agi d’une pratique citoyenne qui n’est attentatoire à strictement rien,mais ce ne fut pas du goût d’un candidat en lice. Y a-t-il au Togo une loi qui interdit cette pratique ? En outre, il m’est fait grief d’avoir repris une dénonciation calomnieuse du Prélat relativement aux incendies des marchés de Lomé et de Kara. Or, ce propos fut cité, sous toutes réserves de droit.

L’énumération succincte qui précède nous a valu dès l’ouverture de la campagne électorale la foudre du pouvoir allant jusqu’au blocage des fonds de campagne attribué par l’Etat à chaque candidat. S’agissant de la levée de mon immunité parlementaire à l’Assemblée nationale, le principe du contradictoire ne fut pas respecté par la commission ayant statué ; entachant dès lors, la procédure de levée de l’immunité parlementaire de vice de forme et de vice de fond, en raison de ce qu’il fut anormalement fait communication par le Parquet, à Madame la Présidente de l’Assemblée Nationale, d’un élément dûment manœuvré, sans respect pour le principe du contradictoire qui exige que les parties échangent leurs pièces et échangent la preuve des faits imputés.

Sachant que le respect du contradictoire constitue un principe fondamental de la procédure civile, de la procédure pénale et de la procédure administrative en ce que le principe du contradictoire garantit à chaque partie le droit de prendre connaissance des arguments de fait, de droit et de preuve sur le fondement desquels elle sera jugée.

Le non-respect du principe du contradictoire est d’ailleurs sévèrement sanctionné. En effet, le juge écarte des débats judiciaires, les éléments non communiqués à la partie défenderesse, ou communiqués tardivement ou communiqués partiellement à la partie contre laquelle sont imputés des faits et/ou agissements répréhensibles.

C’est sur ces entrefaites que nous avons après notre interpellation bananière, été placés sous le régime de la garde à vue,dont la durée ne fut en conformité avec le délai légal de deux (2) jours,la matière dont s’agit.Il nous fut en violation des prescriptions prévues au code de procédure pénale, imposé une prolongation de 48h de la durée de la garde à vue, qui s’étala illégalement durant quatre (4) jours, délai rallongé.Nous avons par suite été déférés au Parquet où nous avons été inculpés et remis en liberté le 25 avril 2020, sous conditions de contrôle judiciaire. Notamment la condition de ne plus revendiquer notre victoire électorale, car il fallait à marche forcée, baliser la voieà Faure Gnassingbé qui s’apprêtait à prêter serment le 3 mai 2020.

Vous avez promis ramener la victoire à midi, une manière de parler bien sûr. Vous savez bien que Faure Gnassingbé incarne la fraude, il a utilisé contre vous les mêmes méthodes qu’auparavant. Pourquoi vous n’avez pas pu ramener la victoire aux Togolais?

Puisque vous me reconnaissez le statut et la qualité de président démocratiquement élu, eh bien, vous avez la réponse à votre question monsieur ! Le mot d’ordre lancé aux électrices et aux électeurs pendant la campagne électorale fut largement suivi d’effets : à midi la victoire est fut établie, l’après-midi les électrices et les électeurs ont renforcé les suffrages exprimés en notre faveur et pour reprendre le propos du responsable d’une formation politique de l’opposition, je le cite mot pour mot (sic) « Gabriel n’a pas seulement gagné,il nous a tous écrasés et s’est couché sur nous. »

Qu’ainsi, gagner à près de 3 électeurs sur 4, c’est un plébiscite qui a bousculé l’agenda officiel de la CENI qui avait prévu de publier les résultats le 24 février 2020 à 20 heures. Réalisant la déferlante d’une victoire réelle et sérieuse, la CENI s’est précipitée dans un hâtif exercice de tripatouillage confus et d’inversion des résultats en violant manifestement les termes de la loi électorale qui requiert la possession matérielle de tous les procès-verbaux issus de tous les bureaux de vote, et collectés sur toute l’étendue du territoire national avant toute proclamation de résultats provisoires par la CENI.

Personne n’avait envisagé que mon domicile ferait l’objet de siège permanent par les forces de l’ordre et de sécurité ainsi que de voies de fait exercées avec brutalité sur des personnes se trouvant au sein de mon domicile.

Quoiqu’on dise, votre élection a fait bouger les lignes, rien n’a été comme en 2005, 2010 ou 2015. Que feriez-vous pour la suite ? Un gouvernement complet est-il envisageable ?

Récupérer par tous moyens légaux la victoire de la Dynamique pour exercer la plus Haute Charge de la gouvernance politique de la République du Togo, au bénéfice de la population togolaise prise dans ses différentes composantes. La suite va de soi, une fois que nous serons rétablis dans nos droits.

Il y a eu des pressions sur le Togo sans que cela ne change rien. Pensez-vous pouvoir encore jouir de votre victoire, un jour ?

La communauté internationale fait son travail, le peuple est également engagé.Nous sommes confiants quant au dénouement heureux de cette pantalonnade électorale.

Deux raisons ont justifié le vote massif des Togolais pour vous. Votre carnet d’adresse et des contacts dans l’armée. Alors qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Le peuple s’est mobilisé derrière ma candidature pour deux autres raisons majeures. D’une part, l’appel du Prélat ; et d’autre part, sa présence à mes côtés pendant toute la campagne électorale en dépit de son grand âge.

Aussi, je rappelle que le caractère structuré de notre projet de société porté par une offre politique solide, sérieuse, précise, exigeante, étayée, financée et guidée par le souci de la vérité, de l’efficacité, de la compétence, de l’intérêt général, de la volonté d’atteindre toutes les préconisations et tous les objectifs de notre programme.

Quel lien faites-vous avec la mort du Colonel Madjoulba et votre élection ?

Permettez-moi de m’abstenir de tout commentaire sur une affaire extrêmement sensible. Une enquête est en cours d’instruction. Je renouvelle mes condoléances à la famille et aux proches du défunt.

Vous avez nommé un Premier ministre, un ministre des affaires étrangères. Le regrettez-vous ? Et A quoi servent-ils aujourd’hui ?

Ils ont permis de nourrir la résistance aux cotés de la coordination internationale de la DMK et plaidé auprès des puissances étrangères et de l’opinion internationale la pertinence de nos revendications et de notre attachement à la démocratie et à la vérité des urnes.

Vous avez gagné les élections contre Faure Gnassingbé sans accéder encore au pouvoir. En 1998, vous faites partir de ceux qui ont aidé son père à se maintenir au pouvoir alors que Gilchrist Olympio semblait avoir remporté la présidentielle. Certains disent que vos actes vous rattrapent…

Le monde en toute matière n’est pas statique, le monde a beaucoup changé depuis plus de deux décennies. Ce qui hier était possible et/ou envisageable ne peut plus l’être, ni être toléré en 2020. En vérité, l’élection présidentielle du 22 février 2020 s’est transformée en un référendum contre un quatrième mandat de Faure Gnassingbé dont la famille confisque la plus Haute Charge de gouvernance politique de la République du Togo depuis plus demi-siècle et régente à marche forcée le destin de la Nation togolaise. À force de vouloir ruser, le peuple l’a sèchement rappelé à l’ordre, à ses dépens.C’est aussi cela le jeu de la démocratie et le droit des peuples à librement choisir des dirigeants dignes de conduire les destinées d’un État.

A l’heure actuelle, qui sont encore derrière vous ? Quels pays ? Quels chefs d’Etat ? Qui exactement ?

Ils sont nombreux. Souffrez d’apprendre que je ne puisse les exposer pour l’heure.

La diaspora vous a soutenu de toute sa force. Comment pouvez-vous exploiter cette potentialité et cette force ?

Je lui rends hommage pour le travail réalisé ainsi que pour sa mobilisation qu’elle poursuit d’ailleurs avec intelligence, créativité et détermination. Je réaffirme qu’elle a sa place pleine et entière dans le dispositif envisagé pour l’émergence d’un Togo nouveau où l’éthique et la compétence seront au cœur de la nouvelle République.

Un présumé chargé de la compilation des résultats pour vous a multiplié des sorties fracassantes. De quoi s’agit-il exactement ?

Lorsque des individus sans foi ni loi incendièrent les marchés de Lomé et de Kara, une descente musclée des forces de sécurité intervint à mon domicile. Je fus abusivement et illicitement enlevé. Sur les médias nationaux, des individus du même acabit que le personnage dont vous évoquez le nom, prirent d’assaut tous les plateaux de radios et de télévisions pour convaincre l’opinion nationale de ce que j’étais le cerveau de cette tragédie incendiaire. Il s’ensuivit quarante (40) jours de détention pour établir mon innocence. Mettre en scène un personnage sulfureux que mes collaborateurs n’ont pas eu la vigilance de détecter tôt, me paraît dépourvu de tout intérêt. Pour la Dynamique c’est un non-événement.

Quelle relation entretenez-vous avec Jean Pierre Fabre aujourd’hui ?

Je ne l’ai pas revu depuis le 08 Janvier 2020 date de notre dernière rencontre chez lui à son domicile. Je sais qu’il sait que j’ai remporté l’élection présidentielle. Je le salue pour le courage qu’il a eu en rendant public un communiqué de presse à 21 heures, le soir du scrutin présidentiel, aux termes duquel il indiqua en toute clarté que nous (la Dynamique) sommes en tête de peloton de tous les candidats en lice. Du reste, à ce jour, il ne s’est pas prononcé sur les résultats définitifs.

Dans les prochaines semaines, prochains mois, à quoi les Togolais doivent-ils s’attendre ?

Je leur souhaite le bonheur de vivre l’alternance politique à la plus Haute Charge politique de la République du Togo, objectif pour lequel ils se sont sacrifiés. Je leur souhaite de vivre dans la nouvelle société togolaise de justice et partage qu’ils désirent ardemment.

Propos recueillis par MAX-SAVI Carmel


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