Campagne électorale: Sokodé, en attendant l’arrivée de Faure Gnassingbé

images d'archives

Faure Gnassingbe tiendra ce jeudi 13 février, un meeting dans une ville que ses troupes martyrisent depuis août 2017, faisant plus de 10 morts, des dizaines de blessés, des dizaines de détenus, sans compter les personnes déplacées de l’intérieur, et les réfugiées au Bénin, au Ghana et ailleurs en Afrique.

Les jeeps de l’armée togolaise circulent toujours en permanence sur les principales artères de Sokode. Les chars et un camp informel à Komah 1 en plus des 2 camps de la gendarmerie à Kedia, restent fortement sur place. Mais à la faveur de la campagne présidentielle, la soldatesque se retient quelque peu de manger du Tem ou du musulman du coin, une espèce identifiée comme militant ou sympathisant du PNP. Les quartiers de Didaouré, Kossobio, Kpalo Kpalo, Barrière, Kpangalam, Kedia, Tchawanda, Akamadè, Bamabodolo, Salindè,  Kouloundè, Komah, sont quelque peu calmes. Les habitants de la ville ont le courage de sortir les soirs, de profiter des bars, et de faire des causeries autour du thé. Les abords du marché de Didaouré, qui étaient depuis des mois déserts à partir de 17 heures, sont un peu plus animés. La ville est animée à cause de la présence des représentants des partis politiques en lice à la présidentielle et particulièrement celle des cadres du parti au pouvoir, qui sont  rentrés avec femmes, maîtresses, enfants, employés et courtisans pour la campagne, renseigne un témoin.

Pourtant, il y a quelques semaines, le cœur de la ville cessait de vibrer les soirs à partir de 18 heures.  Ceux qui se risquaient dehors  le faisaient à leurs risques et périls, le risque d’être battus ou arrêtés, voire de disparaître, selon un témoin. Et les gens se méfiaient beaucoup des réunions conviviales autour du thé. «Un frère gendarme m’a appelé de Lomé et m’a instruit de me méfier des rassemblements conviviaux, de ne surtout pas parler politique,  car les Renseignements généraux auraient placé des espions parmi nous », nous dit un cadre de la ville.

Pour l’instant, Sokodé joue à la réconciliation. Et pour cause, Faure Gnassingbe tiendra un meeting ce 13 février. Les directeurs d’école ont libéré les écoliers  pour réserver un accueil immense à Faure Gnassingbe. La consigne est de se mettre en tenues bigarrées en vue d’être confondus à la foule. Il s’agit des mêmes élèves que l’armée bastonnait et dont on a battu à mort un enseignant,  Akondoh Moutaka. Il s’agit des mêmes élèves dont on a obligé les parents à s’exiler dans les champs lointains, les mêmes élèves dont on a incendié ou saccagé les habitations… Les mêmes élèves qui ont vu un de leurs camarades tué par la soldatesque.

Les barons UNIR à la manœuvre

Les barons UNIR de la région sont à la manœuvre. Conscients que le pouvoir s’est aliéné à jamais les Tems, ils essaient de travailler les populations au corps, en allant de maison en maison.

 «Les cadres d’UNIR font du porte à porte et nous parlent de réconciliation », ajoute un autre cadre de la ville. « C’est tout de même bizarre : on ne sait pas qui va se réconcilier avec qui ou qui réconcilie qui, c’est quand même le pouvoir et son armée, nos bourreaux », s’indigne un fonctionnaire que nous avons revu à Lomé. «Je voulais passer des moments avec eux, mais ils m’ont fortement déconseillé de rester dans la ville », ajoute-t-il.

Il faut noter que les cadres Tems membres d’UNIR jouent le jeu du pouvoir- un jeu trouble-, surtout ceux du milieu de l’armée. En premier lieu, le plus grand et plus ancien en termes de grade,  et le plus influent, le général Seyi Mémène. Ancien directeur de la Sûreté d’Etat, donc du renseignement, il a occupé de hautes fonctions comme ancien ministre de l’Intérieur puis de la Justice.  Originaire de Kparatao, cousin  de Tikpi Atchadam, Seyi Mémène a eu maille à partir avec les autorités en 2017, au tout début des manifestations du PNP. Soupçonné d’être de connivence avec le président du PNP et de lui apporter assistance financière, le général Mémène aurait été arrêté pendant quelques moments et ne fut libéré que grâce à la pression de la France. Ses domiciles à Lomé et Sokodé ont été profanés; des individus y ont lâché des têtes de porc. Et pourtant…

Pas rancunier du tout, le général bat campagne pour Faure Gnassingbe. Pire, il considère le fils d’Eyadema comme le meilleur garant de la paix au Togo (sic). « Je pars en campagne pour le compte du candidat Faure parce que sur ma foi d’Officier, j’ai l’intime conviction que la personne qui peut assurer la paix, la sécurité et la stabilité du pays, c’est lui », aurait-il dit.

Une attitude difficile à comprendre, mais peut-être compréhensible dans le contexte togolais où l’élite Tems affiliée au pouvoir semble avoir couché.

Pourtant, les atrocités que subissent les Tems ne sont pas de simples bavures militaires mais des violations massives des droits de l’homme résultat d’une politique bien orchestrée de réduire au silence un peuple par la force.

Les opérations sur le terrain sont menées par les bérets rouges et noirs. Difficile de savoir  de quels régiments armés ils proviennent. Les habitants les soupçonnent de ne pas être des Togolais. Possible.  Cependant, on sait que Dans un communiqué en date du 10 avril 2018, le chef d’Etat-major des armées, le général Abalo Kandanga,  a réquisitionné tous les militaires retraités en 2017 jusqu’au 31 août 2018. Il est précisé que « la pension de retraite des intéressés sera suspendue. Ils percevront la solde qu’ils gagnaient avant leur mise à la retraite sans la retenue des sept pour cent (7%) pour pension. Cette solde sera domiciliée dans l’établissement financier retenu pour la pension de retraite. Ils ne bénéficieront pas d’avancement en échelons. La reprise de la pension de retraite se fera à partir du 1er septembre 2018, sans aucune autre formalité auprès de la Caisse des Retraites du Togo ».

Un commandant militaire mentalement instable aux commandes

Selon une source proche d’une ambassade, après les  présumées attaques contre le commissariat, le domicile du général-ministre Ouro-Koura Agadazi, le saccage de l’agence de Togotélécom et de l’UTB en octobre 2017, l’envoi sur le terrain d’un commandant cachait mal la volonté des autorités ou de l’Etat-major de faire  du mal aux populations. Il se serait agi d’un sous-officier formé aux Etats-Unis et déclaré inapte à la fonction militaire par les Américains à cause de ses troubles psychiques. C’est donc ce soldat fou qui dirigeait les expéditions punitives contre les populations.  Il était tellement instable psychologiquement qu’un jour, il a eu l’avant-bras arraché en ayant mis trop longtemps pour lancer une grenade dégoupillée. C’est lui qui a ordonné les fouilles de tous les domiciles de plusieurs quartiers de la ville pour retrouver les armes saisies sur des gendarmes. Selon plusieurs témoins, des objets comme des flèches, des machettes, des couteaux, des  vêtements aux couleurs du PNP ainsi que d’autres gadgets servant aux cérémonies traditionnelles ont été emportés.

Effectivement, la présence de ce militaire mentalement instable, correspondait à la période des plus violentes atrocités relevées par les rapports de la LTDH et du Raidh. C’est pendant ces périodes que l’on a dénombré de nombreux morts, et des blessés avec de graves  blessures au crâne et au dos. Des bébés furent mêmes battus. Des personnes réfugiées en brousse, des centaines de personnes déplacées, et des milliers refugiées. Des maisons furent également incendiées, comme cette maison modeste sise à Kpangalam- Kouworo. Les militaires étaient venus arrêter le jeune la nuit, et par dépit de ne pas l’avoir trouvé, ils ont mis le feu à la chambre, qui a totalement brûlé. L’incendie a ravagé également les fenêtres d’une maison voisine.

Selon un cadre de la communauté Tem à Lomé, la CNDH s’est autosaisie des graves violations massives des droits de l’homme à Sokode,  mais les tenants du pouvoir ont  formellement interdit aux responsables de mener des investigations sur les atrocités commises par l’armée.

« Nous sommes prêts jusqu’à la victoire finale »

Notre rédaction a contacté ce matin  des militants du PNP sur le terrain pour prendre le pouls de la ville avant l’arrivée de Faure Gnassingbe, ce matin.

Les manifestations se sont quelque peu estompées, découragées par la participation de l’opposition à la présidentielle. Le PNP continue à prôner le boycott actif.

Faisant une analogie entre Faure Gnassingbe et l’épervier, Tikpi Atchadam s’adresse aux Togolais en ces termes : « C’est au moment que l’épervier veut attraper le poussin qu’il faut l’en empêcher, sinon  vos cris seront vains après qu’il  l’aura pris ». Une adresse que les militants et sympathisants prennent au sérieux.

« Pour le moment, nous n’avons reçu aucune consigne, dit un secrétaire d’une section PNP de Sokodé, mais nous manifesterons pacifiquement jusqu’à la victoire finale ». Faure Gnassingbe vient peut-être sur une terre où l’élite compromise semble avoir rendu les armes voire vendu son âme. Mais le cœur du peuple continue à dire non à un quatrième mandat. 


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