Insensible aux pressions de l’opposition, le président guinéen maintient sa volonté de modifier la constitution par référendum et annonce que sa durée au pouvoir dépend désormais de Dieu.
Quelques jours après les gigantesques manifestations du 17 octobre dernier dont la répression a fait 9 morts, Alpha Condé sort enfin du bois. Dans le cadre d’une visite à Boffa, sa ville natale, pour faire des dons de pirogues aux pêcheurs, le président guinéen s’explique sur la situation politique.
Après avoir fustigé ses opposants d’être des ex-dirigeants animés d’esprit de revanche et de n’avoir “rien fait” pour le pays, ils les taxe de fauteurs de “pagaille”. Puis, dans des propos qui restent quelque peu flous mais pleins de sens pour tout musulman guinéen, Alpha Condé se montre fataliste quant à son départ du pouvoir.
« Le train de la Guinée a bougé et personne ne peut l’arrêter, nous le dirigerons jusqu’au jour où Dieu le voudra », déclare Alpha Condé. Il a par la suite accusé ses détracteurs de n’être pas démocrates puisqu’ils s’opposent au référendum sur la modification de la constitution. L’ex opposant historique devenu président en 2010 tente de briguer à 81 ans un troisième mandat alors que la constitution en limite le nombre à deux.
« Personne ne peut parler à la place du peuple, la démocratie, c’est le pouvoir du peuple, c’est au peuple qu’on doit demander ce qu’il veut. Comme ils savent que le peuple n’est pas derrière eux, c’est pourquoi ils font la pagaille. Assez d’investisseurs veulent venir en Guinée, mais ils veulent les décourager pour qu’on dise qu’il y a la pagaille dans le pays», a-t-il déclaré. Alpha Condé tente ainsi de montrer par l’absurde que ce sont ces opposants qui refusent le jeu démocratique en rejetant le reférendum, instance notoire pour laisser le peuple s’exprimer librement.
Ethnicisation du débat politique
Alors qu’il est par le passé accusé d’instiller le venin du tribalisme et de l’ethnorégionalisme, le président guinéen se dit populaire, minimise les manifestations en les réduisant à quelques quartiers de Conakry et à la seule ville de Mamou.
«Conakry, il n’y a eu la pagaille qu’à Cosa et Bambeto (….), les images qui passent sur les réseaux sociaux sont celles des manifestations qui ont eu lieu en Haïti et au Mozambique. A part Bambeto et Cosa, il n’y a pas eu de manifestations à Conakry, nulle part d’ailleurs. Ni en Basse-Guinée, ni en Haute-Guinée moins en Guinée-forestière, il n’y a pas eu des manifestations sauf à Mamou où ils ont tué un gendarme », lance le président guinéen.
Cosa et Bambeto sont des quartiers de la banlieue de la capitale Conakry et majoritairement peuplés de Peuhls. Tout comme, l’est Mamou (245kms de Conakry), la principale ville de la Moyenne-Guinée, région peuhle. En citant la Basse-Guinée, la Haute-Guinée et la Guinée-forestière comme des zones où les manifestations sont inexistantes, le numéro un guinéen tente de rendre les Peuhls responsables de la «pagaille». Le principal opposant guinéen est l’ancien premier-ministre Cellou Dalein Diallo, issu de l’ethnie majoritaire peuhle, plus du tiers de la population.
Ce n’est pas la première fois que le président Alpha Condé attise la fibre ethnique en incitant de façon insidieuse les peuhls à la vindicte populaire. Lors de sa première élection en 2010, avec une victoire au second tour le plus long de l’histoire, Condé et son parti ont fait une alliance contre les Peuhls. Depuis la surenchère ethno-régionaliste n’a jamais quitté sa présicence.
Certes, l’histoire de la Guinée depuis les indépendances a été jalonnée par un discours anti-peuhl mais la présidence Condé s’en cache à peine. Les cadres peuhls ont subi une purge en 1960 avec le «complot Diallo Ibrahima», du nom d’un avocat incité à créer un parti politique dans un environnement à tendance monopartite avérée. Puis, en 1961 avec le «complot des enseignants», qui revendiquaient une réforme de l’enseignement et de meilleures conditions. Enfin, en 1976, le plus grand « complot peuhl », qui a vu l’emprisonnement et la disparition des membres de l’élite peule et une forte migration dans leurs rangs.
Histoire émaillée de violences politiques
Les Peuhls guinéens n’ont eu de répit que pendant la présidence Lansana Conté pendant laquelle ce furent plutôt les Malinkés, ethnie d’Alpha Condé, qui furent poursuivis. Cependant, pendant la courte période de la junte militaire conduite par Dadis Camara, une répression sauvage s’est abattue sur les Peuhls. Le 28 septembre 2009, des éléments des forces armées de la junte du capitaine Moussa Dadis Camara prenaient d’assaut le stade de Conakry, où se déroulait une manifestation de l’opposition. Près de 160 personnes furent assassinées dans l’attaque et 1 400 autres blessées tandis que plus d’une centaine de femmes ont également été violées par les soldats. Les Peuhls sont majoritaires parmi les victimes, tout comme les 9 personnes tuées le 17 octobre 2019 sont toutes des Peuhls. Depuis dix ans, les autorités tardent à organiser le procès, renforçant ainsi l’impunité qui caractérise la Guinée depuis les crimes politiques du régime Sékou Touré.
La Guinée a accédé à l’indépendance le 28 septembre 1958 avec un NON retentissant au président français de Gaule, sous la conduite de Sékou Touré. Bien que doté par la nature et disposant d’un sous-sol géologiquement scandaleux, le pays peine à se développer à cause des régimes politiques mortifères, la corruption des élites. Plus 55% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
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