La crise estompée, l’opinion a oublié que, pour assécher les manifestations populaires, Faure Gnassingbé a recouru à des moyens militaires énormes pour éteindre les foyers de contestations situés au nord du pays. Un blocus militaire sans nom a été imposé aux villes de Mango, Sokodé, et Bafilo, entraînant le déplacement de centaines de personnes à l’intérieur du pays, ou leur fuite au Ghana et au Bénin. Quelle est la situation véritable de ces personnes déplacées, ou en situation de réfuge aux frontières du pays, alors que Faure Gnassingbé, grâce à l’armée et aux soutiens extérieurs, semble consolider son pouvoir. Le Temps a mené des investigations sur ces laissés-pour-compte du combat pour la démocratie.
Entre septembre et octobre 2017, près de 600 demandeurs d’asile togolais, fuyant nuitamment, en pirogue ou à pieds, les atteintes aux droits humains dans la région de Mango, dans le nord du Togo, ont trouvé refuge dans des régions mitoyennes du nord-ouest du Ghana, notamment Chereponi, Zabzugu et Bunkprugu. Une trentaine prit alors la direction du nord du Bénin. La violente crise politique qui secoua le Togo du 19 août 2017 au 20 décembre 2018 était à son zénith. Pour éteindre la révolte qui faisait rage dans sa chasse-gardée du nord du pays, l’armée togolaise, à l’instigation de Faure Gnassingbé, multiplie les expéditions punitives et place les villes de Mango, Bafilo et Sokodé en état de siège.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la Commission ghanéenne sur le statut des réfugiés et l’Organisation nationale de gestion des catastrophes (NADMO) se précipitèrent au secours des demandeurs d’asile togolais, hébergés d’urgence au sein de familles et de communautés locales ou dans des centres communautaires. Le gouvernement ghanéen, avec les autorités locales et les communautés d’accueil, fournirent aux réfugiés une aide humanitaire d’urgence, notamment de la nourriture et des articles non alimentaires. Les activistes de l’opposition et les défenseurs des droits humains accourent, les médias nationaux et internationaux s’y bousculent.
Aussitôt l’attention médiatique retombée, les réfugiés de Mango sombrent dans l’oubli, contraints par navettes de s’éparpiller à l’intérieur du Ghana et au-delà. Quelques semaines plus tard, le président ghanéen Nana Akufo-Addo fut désigné co-médiateur pour la sortie de crise au Togo. Avec son homologue guinéen, Alpha Condé, le chef de l’Etat ghanéen a été l’artisan de la feuille de route de la Cédéao – qui a passé sous silence la question des réfugiés- ayant mené à la décrispation du climat politique au Togo. Retour sur l’histoire secrète de la démission morale de la communauté internationale et sur l’omission volontaire de l’opposition togolaise face au sort de ces togolais orphelins d’une révolution avortée.
Mouhamadou Nouridine, président préfectoral de l’ANC dans l’Oti, a suivi de très près l’évolution de la situation des réfugiés togolais depuis le nord-est du Ghana où il vit encore caché. Il a dû fuir sa maison, sa famille et son pays au soir du 23 septembre 2017 pour trouver refuge à Chereponi. « Face au déchainement de la violence, je n’avais le choix qu’entre fuir ou mourir sous les bottes des militaires », se souvient-il. Avec ses derniers compagnons d’infortunes, pas question de rentrer au pays sans un compromis politique, impliquant le HCR et les deux pays – Togo et Ghana-, qui écarte toutes représailles politiques.
En effet, les autorités togolaises tiennent les principaux organisateurs de la marche du 23 septembre 2017 à Mango, qui a déclenché la vague de répression ayant conduit à l’assassinat à bout portant d’un jeune garçon de neuf ans, pour les responsables de cette bavure militaire. Après presque deux ans d’un asile inconfortable, c’est un homme amer et déçu par l’attitude des autorités ghanéennes et du HCR qui s’est confié sur le traitement réservé aux réfugiés oubliés de Mango. Il parle des retours involontaires et de la peur des représailles, du déni de statut de réfugié dont ont été victimes ces demandeurs d’asile contraints, pour certains, de s’humilier pour obtenir l’absolution des autorités locales – ainsi que les restrictions de libertés qu’elle en coûte aux revenants. Extraits de l’entretien qu’il a accordé à la rédaction du www.letempstg.com
L’impossible retour
« Comme beaucoup des 600 réfugiés de Mango, j’ai dû déserter Chereponi pour des raisons évidentes de sécurité. Nous avions peur de rester à Chereponi, par crainte des incursions voire des enlèvements nocturnes. Aujourd’hui, par peur pour leurs vies, certains d’entre nous se sont éparpillés entre le Ghana, le Burkina Faso, le Bénin et la Côte d’ivoire ; même si beaucoup sont retournés à Mango. Nous sommes actuellement six, moi-même inclu, à ne pas pouvoir rentrer au bercail, car nous ne savons pas le sort qui nous sera réservé. Entre temps, nos signalements ont même été diffusés à tous les postes de frontières… De mémoire, il s’agit du compatriote du nom de Daoudou, seul encore dans la région de Chereponi, accusé de détenir l’arme à feu qui aurait servi à abattre le garçon de neuf ans. Un autre réfugié du nom d’Issa ayant trouvé refuge en pays Dagomba est également accusé d’être impliqué dans cette affaire. Aboubou se cache probablement à Accra. Un autre jeune réfugié surnommé «Rasta » [prénommé Bawa, ndlr ] serait actuellement caché à Kumasi. Le responsable de la CDPA à Mango, M. N’Dabiesso, également en fuite pour avoir organisé ladite marche, vit caché au Bénin. Amadou Issifou, premier vice-président préfectoral de l’ANC, est également au Bénin. Depuis septembre 2018, ce dernier a tenté plusieurs retours infructueux. Entre temps, il est rentré clandestinement au pays, mais a dû s’en fuir à nouveau pour échapper à une tentative d’arrestation. »
La « liste noire » des cadres UNIR de l’Oti
« Nous sommes sur une liste noire des cadres UNIR de la préfecture. D’ailleurs, nous avons eu vent d’une réunion secrète tenue à Lomé par les principaux cadres UNIR au cours de laquelle ceux-ci ont décidé de bannir les responsables de l’ANC de la ville de Mango. Ils se sont servis de cette situation pour décapiter toute l’opposition locale. L’éventualité de notre retour a été conditionnée à une reddition et à un ralliement au parti présidentiel. Nous, les responsables de l’ANC, avons été placés en tête de cette liste noire des hommes à abattre. Ce qui est un déni de pluralisme démocratique. Ils voudraient que je renie mon affiliation partisane pour me transformer en Gilchrist Olympio de la préfecture. Ce à quoi je m’oppose catégoriquement »
Le double déni de statut de réfugié
« Nous avons l’impression étrange que le Gouvernement togolais a convaincu les autorités ghanéennes de ne pas nous accorder le statut de réfugié ni les protections afférentes. J’en veux pour preuve le fait que le gouvernement ghanéen n’ait pas donné suite à nos demandes d’asile. Nous priver du statut de réfugié fait de nous, c’est cruel à dire, de quasi clandestins au Ghana, au regard des règles de résidence de la Cédéao. Aujourd’hui, rien n’interdit au gouvernement de nous détenir et de nous expulser sans aucun ménagement. Et pourtant, nous ne sommes pas venus en villégiature au Ghana, nous avons fui le Togo pour sauver nos vies ou pour préserver nos libertés. […] En octobre 2017, une mission conjointe du HCR et de la Commission ghanéenne sur le statut des réfugiés [Ghana Refugee Board, ndlr] est venue collecter témoignages et photos des 600 réfugiés – à l’époque-, réunis à Chereponi. À notre grande surprise, le HCR et le gouvernement ghanéen se sont arrangés pour ne pas donner suite à nos demandes. Nous avons également été approchés par une responsable de la Croix-Rouge au Ghana. Sans aucune suite. […] Aujourd’hui, nous sommes abandonnés à nous-mêmes. Tout se passe comme si le gouvernement ghanéen essayait de faire le vide autour de nous, pour nous contraindre à des retours forcés. Sans statut, sans assistance et sans emploi, la plupart des jeunes gens ont dû regagner en désespoir de cause la ville de Mango où ils vivent clandestinement ou sous surveillance ».
Le fichage des réfugiés revenants et des déplacés de l’intérieur
« La violence des tensions foncières entre Tchokossi et Konkomba [survenues en juin 2018 et ayant causé des dizaines de morts et des afflux de réfugiés au Togo, ndlr] a contraint la plupart des réfugiés mangolais [de la ville de Mango] de Chereponi, soit de s’enfoncer dans le Ghana, soit de trouver asile en Côte d’ivoire ou au Burkina Faso, soit de négocier un retour au pays. […] Mais la situation n’est absolument pas rose pour ceux qui rentrent au bercail. Selon ce qui m’a été rapporté, la plupart des réfugies revenants ont été fichés par la gendarmerie de Mango sur une liste, moyennant un engagement à ne plus participer à des activités politiques. Ce qui est une violation d’un droit politique élémentaire. D’ailleurs, certains réfugiés ont dû s’humilier en demandant pardon, par personnes interposées, aux cadres UNIR de la préfecture -notamment Fambaré Natchaba- et aux autorités – parfois au Général Yark lui-même- pour avoir le droit de regagner leurs domiciles dans la quiétude. L’objectif d’une telle manœuvre est de museler l’opposition au niveau de la préfecture. Personnellement, ma maison à Mango a été placée sous surveillance pendant plus de six mois. […] À la date d’aujourd’hui, les conditions d’un retour ne me semblent pas garanties, à cause du déni de statut de réfugié dont nous avons été les victimes. Ce que nous demandons, c’est simplement la reconnaissance de notre statut pour jouir d’un droit de retour sans concession et sans compromission »
Des soutiens politiques sporadiques
« Face au refus catégorique d’Accra et du HCR de nous accorder le statut de réfugié et les protections qui vont avec, nous avons, avec le concours de Mme Fousséna Djagba, entrepris une action de plaidoyer en direction de la classe politique ghanéenne. Un responsable [Bernard Mornah, leader du People’s national convention (PNC), ndlr], en particulier, s’est montré attentif à notre cause, en participant à des meetings de soutiens aux Togolais à Accra, sans pouvoir retourner la situation à notre avantage. […] En ce qui concerne la coalition des quatorze, elle nous a assistés à hauteur de deux millions, pour parer à l’urgence. Le président Jean-Pierre Fabre, venu nous rendre visite personnellement, a été refoulé par les services frontaliers togolais. Il nous a également apporté un soutien moral et financier. […] Quant au gouvernement togolais, il n’a jamais accordé le moindre support ni essayé de négocier notre retour au pays. Il est tout de même sidérant que dans le contexte de menaces djihadistes, des gouvernements [Togo, Ghana et dans une certaine mesure le Bénin, ndlr] se permettent ainsi de laisser près de 700 jeunes s’évanouir dans la nature. Pour garder le pouvoir, le régime togolais est prêt à sacrifier toute sa jeunesse. C’est une attitude totalement irresponsable. Si ces jeunes venaient à se faire infiltrer par des mouvements djihadistes ? L’abandon des réfugiés togolais est un facteur de risques sécuritaires pour toute la sous-région. Le Ghana doit montrer l’exemple, il ne doit pas faire le jeu du gouvernement togolais.»
À l’instar de Mouhamadou Nouridine, combien de Togolais, requérants d’asile, ont-ils été oubliés dans le règlement politico-diplomatique de la crise qui couve encore. Le Ghana de Nana Akufo-Addo a-t-il été à la hauteur dans sa gestion du volet humanitaire de la crise ? Pourquoi toutes les organisations internationales présentes au Ghana ont-elles abandonné à leur sort ces centaines de demandeurs d’asile ? Près du tiers des réfugiés mangolais de 2017, niés dans leurs droits, attendent encore de pouvoir rentrer chez eux. Les retours involontaires et conditionnés actuels se font dans l’arbitraire ou la clandestinité. Seule une médiation politique impliquant le HCR, le Togo et les différents pays d’accueil pourrait faciliter des retours sécurisés et définitifs des 700 oubliés de Mango.
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