Togo 2020: Pourquoi Faure Gnassingbé redoute tant François Boko?

Faure Gnassingbé empêche le retour de François Boko pour s'assurer un quatrième mandat

Le 28 mars, à Paris, l’avocat et homme politique togolais François Boko n’a pas été autorisé à embarquer sur le vol d’Air France pour regagner son pays, après 14 années d’exil, comme il prévoyait de le faire. Il est maintenant établi que le pouvoir de Lomé a tout mis en oeuvre pour torpiller ce retour, avec l’aide de quelques officiels français. Du côté de l’ancien Ministre de l’intérieur, on indique que cette péripétie n’entame en rien le souhait de l’homme politique de se lancer dans la compétition pour la présidentielle de l’année prochaine.

Et pourtant tout avait été mis en oeuvre pour que le come-back de Me François Boko se fasse sans anicroche. Depuis plusieurs mois en effet, des émissaires de part et d’autre se sont activés sur le dossier. C’est d’abord l’ancien ministre qui a pris l’initiative “d’accepter la main tendue du chef de l’Etat” qui, quelque temps auparavant avait demandé à Boko de rentrer au pays. Une invitation dont les contours n’ont guère été éclairés, mais qui pour l’avocat au barreau de Paris était devenue une aubaine. Il a eu l’occasion d’en parler à des diplomates français qui n’ont pas trouvé à redire. Le Quai d’Orsay tout comme l’Elysée ont été impliqués. Les consultations se sont élargies aux Allemands et aux Américains.

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Tout compte fait, c’est le rôle clair-obscur joué par Paris dans le dossier qui étonne. La France après avoir protégé l’ancien officier et ancien ministre togolais a manqué de doigté dans la gestion du dossier de son retour.

L’accord de principe de Faure Gnassingbé

Le chef de l’Etat a donné son “accord de principe”, confirmé par voie diplomatique via l’Elysée pour le retour de Boko, en n’y mettant qu’une condition: que ce retour ne se fasse pas avant le 20 décembre 2018. Contrairement à certains commentaires que certains détracteurs de Boko déversent sur les réseaux sociaux, les discussions entre lui et Faure par émissaires interposés n’avaient pas de fondement politique. Il était question que le dirigeant togolais s’engage à garantir le retour de l’intéressé dans la sécurité; et que sa citoyenneté soit rétablie en lui délivrant les papiers d’identité togolaise qu’il n’avait plus. Manifestement, c’est la moindre des choses qu’il pouvait demandé, à voir les conditions dans lesquelles il a quitté le pays en 2005.

Non seulement Faure Gnassingbé n’a pas honoré sa parole, mais il a joué sur les leviers politiques et diplomatiques en France pour faire échouer le projet de retour. Cette attitude ne peut avoir qu’une seule justification: le président en poste au Togo veut empêcher que l’ancien ministre ne foule le sol togolais. Et quand on sait dans quelles circonstances politiques cet événement intervient, on comprend aisément ce qui se joue.

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Les ambitions politiques de Boko

Visiblement, les appels du pied que Faure Gnassingbé faisait à l’ancien collaborateur du général Eyadema visait à tenter de le ramener dans la maison RPT-UNIR. C’est une manœuvre dont l’objectif inavoué était de couper l’arbre sous le pied à un personnage dont la popularité dans différents milieux au Togo était connue. En tendant la main à Boko, Faure qui connaissait ses prises de position et sa proximité avec l’opposition voulait faire sauter les liens entre l’homme et les principaux adversaires à son régime. Il savait le soutien que Boko apportait au regroupement FRAC en 2010 et au Collectif Sauvons le Togo en 2014-2015, ainsi que sa participation à de nombreuses réunions de la diaspora visant à faire bouger les choses au pays, sur le plan de la démocratie.

Certains parlent aussi du rôle qui joua au premières heures de la formation de la Coalition des 14 partis de l’opposition…

Non seulement François Boko avait activement travaillé avec des opposants pour rendre le changement politique possible au Togo, dans un cadre républicain et de manière pacifique, mais il s’est impliqué dans des initiative visant à amener le pouvoir et l’opposition à une paix des braves. C’est à cet effet qu’il a été consulté au début des négociations pouvoir-opposition par le président Nana Akufo-Addo du Ghana.

Ce qui a poussé François Boko à manifester depuis quelques mois une certaine ambition politique, c’est l’impasse politique dans laquelle la classe politique s’est retrouvée. Ce qu’il appelle “enlisement” et dont l’absence de solution fait apparaître dans le ciel du pays de menaçants nuages noirs, au regard des enjeux de la prochaine élection présidentielle. Le retour prévu en fin mars visait donc à se préparer à participer à cette échéance électorale en tant que candidat. Un candidat, si on y voit clair qui va se poser en alternative entre les deux camps radicalement opposés.

Boko, la bête de noir de Faure

Boko qui s’inscrit en alternative pour réaliser l’alternance politique a des atouts pour séduire et attirer au sein des couches dans lesquelles le parti UNIR puise largement son électorat. Faure en empêchant le retour de Boko veut ainsi éliminer de la candidature la seule personne qui a les atouts, non seulement pour le battre mais prendre en main les affaires de l’Etat.

Des notes diplomatiques et des enquêtes des services de renseignement qui ont fuité quelques mois auparavant ont fait état de ce que François Boko est la personne que beaucoup de Togolais souhaiteraient voir conduire une sorte de “transition” vers la démocratie. Dans certains milieux du pouvoir, surtout au sein de l’élite kabyè (civile comme militaire) Boko revient souvent dans les débats comme celui qui peut mettre fin à la crise et “réconcilier” les Togolais.

Or Faure Gnassingbé convoite un quatrième mandat et ne veut visiblement pas céder le fauteuil à un homme qu’il ne peut contrôler. En envoyant son fidèle Bawara à Paris la semaine dernière pour sceller “un deal” avec les Français, c’est la prolongation de son régime que Faure tente d’assurer.

Interdit de voyage retour et privé de ses papiers d’identité, François Boko est bloqué à Paris. Mais dans ses récents entretiens avec la presse, il ne semble pas pour autant décontenancé. L’ancien ministre tient à rentrer au pays et déclare sans ambages: “personne n’a le droit de me priver de ma citoyenneté”.

Faure Gnassingbé a envoyé un signal aux Togolais et à la communauté internationale concernant la personne de Boko: il certifié que l’ancien ministre est son adversaire redouté qu’il veut empêcher de participer à une compétition politique régulière. Tout porte à croire que l’incident à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle le 28 mars n’est que le coup d’envoi d’un feuilleton, dont les rebondissements ne sont pas encore connus.

K. AGBOGLATI


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