Le 6 mai 2024, Faure Gnassingbe promulgue une constitution dite d’une 5ème république opérée par l’Assemblée nationale à son instigation. Selon les dispositions de ce changement constitutionnel, le pays passera en mai 2025 à un régime parlementaire avec, inédit dans l’histoire, un président du conseil non élu mais détenteur de la réalité du pouvoir.
Dans la foulée, les élections législatives d’avril 2024 voient le parti au pouvoir remporter plus de 95% des sièges, consolidant la mainmise du régime sur toutes les institutions du pays et pavant une autoroute du mandat illimité à Faure Gnassingbe. La dernière modification de la IVème république – celle qui est abolie- limitait le nombre de mandats.
Ainsi, en réaction à ce bris conventionnel du vivre-ensemble, dans la diaspora ainsi que sur le plan local, plusieurs initiatives se créent pour faire barrage à la jouissance du forfait. Le TempsTg.com explore aujourd’hui le cas d’un « Nouveau contrat citoyen » (NCC) porté par des universitaires et des acteurs de la société civile.
Les origines de l’idée d’un Nouveau contrat citoyen?
D’où vient l’idée ? «D’un ras-le-bol d’une kakistocratie qui dure depuis 1967», dit un des acteurs au TempsTG.
Depuis plusieurs mois, des universitaires et des acteurs de la société civile œuvrent pour mettre sur pied un «nouveau contrat citoyen» dont l’objectif est de permettre aux Togolais de ne plus être «un peuple qui se laisse gouverner», d’être « les acteurs de leur propre changement », de s’approprier les moyens de la lutte pour la démocratie et surtout de se prononcer sur les questions d’intérêt général, d’avoir voix au chapitre sur comment ils attendent être gouvernés désormais.
Le projet est né donc dans la confusion et le scandale engendrés par l’adoption de la constitution dite d’une Vème république. La procédure, la méthode, la ruse, les tours de passe passe politico-juridiques qui ont abouti à l’adoption et à la promulgation du texte sont inédits. Si, par le passé, le pouvoir s’est plié à l’aspect ludique de la démocratie par la mascarade électorale, cette fois-ci, «il a carrément jugé superfétatoire toute consultation populaire, abolissant ainsi de facto le peuple», a admis un juriste au TempsTG.
Par conséquent, pour les universitaires, à l’instar de Raymond Awokou, enseignant-chercheur des sciences de l’Education et l’historien Adovi Goeh-Akue, c’est «la goutte d’eau qui fait déborder la vase». «En 19 ans de pouvoir, le bilan de Faure Gnassingbe est absolument négatif, le pays est en délitement, la paupérisation s’accroît, le service public est quasi inexistant, le pays ploie sous le poids de la dette publique, et maintenant il propose qu’on lui dresse un lit douillet pour se reposer ad vitam aeternam !», s’inquiète Raymond Awokou, Maître de conférences des Sciences de l’éducation, enseignant-chercheur à l’INSE de l’Université de Lomé .
En effet, le bilan de Faure Gnassingbe en 19 ans de règne loin d’être élogieux. Malgré un effacement de sa dette publique due envers les pays du Club de Paris et l’IDA, la Banque Africaine de Développement (BAD), soit plus de 700 milliards en 2009, le niveau d’endettement du pays frise des records atteignant 68 % du PIB. La dette représente 3 707,8 Milliards FCFA fin 2023.
Dans le détail, les statistiques donnent le tournis quant au niveau d’endettement public. En 2013, la dette était de 1,028.2milliards CFA. Dix ans plus tard, la dette publique a explosé et plus que triplé alors que les retombées semblent invisibles. En dépit des ressources potentielles, le Togo a recours systématiquement à des titres émis sur le plan régional pour faire face aux problèmes budgétaires. Grosso modo, le niveau de la dette illustre la faillite du système qui régente le destin des Togolais depuis 1963. Le régime de Sylvanus Olympio s’est pourtant illustré par une gestion saine de l’Etat et a mis le pays en situation de discuter sans pression avec les bailleurs de fonds. A contrario, le régime actuel a plongé le pays dans une spirale de la dette depuis 58 ans, avec un Etat subissant une assuétude des perfusions financières internationales et qui ne sait comment sortir de ce maelström ni comment maîtriser cette dette, laissant ainsi le sentiment d’un Etat failli. Et M. Raymond Awokou d’ajouter: «le Togo ne peut plus se permettre cette marche collective vers l’abîme, la marche d’un pays où tout le social est éclaté, l’éducation, la santé, tout est en déclin; ça serait un suicide collectif» si on suit de laisser ce pays dans leurs griffes. «Et ça dure depuis 57 ans», soupire-t-il.
Depuis 34 ans, en effet, le pays vit un immobilisme et une espèce de coup d’Etat permanent. Le Togo est le seul pays en Afrique de l’Ouest à ne pas connaître l’alternance politique. Les efforts entrepris pour faire avancer le processus démocratique et l’alternance sont annihilés par le pouvoir. Après la chaotique présidentielle, on a mis sur pied une Commission vérité justice réconciliation (CVJR) dont les recommandations, importantes pour sortir le pays de l’impasse politique, ont été allègrement ignorées par le régime. «Il n’y a plus d’issue avec le énième coup d’Etat constitutionnel, renforcé par un parlement monocolore UNIR-RPT», ajoute M. Raymond Awokou.
Les universitaires ont alors commencé à publier des tribunes, des lettres ouvertes, sonner le tocsin de la mobilisation du monde universitaire contre le projet de changement constitutionnel.
Malgré la promulgation de la constitution par Faure Gnassingbe, trois universitaires, dans la tradition des enseignants intellectuels dissidents de l’Université de Lomé au temps du parti unique, ont décidé ne pas abandonner leurs concitoyens et de faire bouger les lignes. D’autres acteurs de la société civile togolaise à la fois au plan local et dans la diaspora ont rejoint le projet. Une première mouture d’un document portant projet d’un «Cadre de réflexion pour un nouveau contrat citoyen» est rendue publique et mis en ligne.
Les grandes lignes du cadre de réflexion
La vision ? «La capacité du peuple togolais à co-construire un nouveau contrat citoyen», disent les porteurs de l’initiative.
Le document passe dans un premier temps la revue de la situation sociopolitique et économique peu reluisante, constate la volonté crane de confiscation du pouvoir des dirigeants actuels. Les initiateurs invitent les millions de citoyennes et de citoyens à se mobiliser et prendre en charge à leur échelle les transformations vitales que ce gouvernement est incapable d’initier. Ils insistent surtout sur l’engagement citoyen, dans un pays où beaucoup commencent à faire l’impasse sur leurs droits de citoyens, préférant se laisser gouverner.
Mieux : «Face à la démotivation des populations au regard de l’action, il faut aller vers une rupture de paradigme qui met le citoyen au cœur de l’action publique en allant vers un contrat citoyen. Parce que la souveraineté lui appartient, le citoyen doit prendre toute sa place au sein de notre pays sur les questions majeures qui divisent alors qu’elles devraient faire l’objet d’un consensus», souligne le document.
Et dans les préalables, les initiateurs reviennent sur ce paradigme:
«Usons des voies et moyens légitimes appropriés à notre circonstance, pour sortir de la prolongation de l’ignominie, de la déchéance et pour avancer vers le chemin de la victoire. Reconnaissons que l’on est trop souvent passé à côté, face à un système de prédation et de domination. Ce système a gangrené toutes les institutions du pays, par la mal gouvernance et la confiscation du pouvoir par tous les moyens. L’impératif pour nous est de rebondir en connaissance de cause», indique le document.
Rebondir. L’idée est de faire table rase du passé, de réinitialiser la lutte en en posant les fondamentaux du vivre-ensemble possible. Pour eux, au-delà de leurs origines diverses, qu’elles soient ethniques ou de religion, de divergences d’opinion, de la manière de voter, les Togolais peuvent être tous d’accord sur des questions d’intérêt général. L’objectif, c’est d’arriver à un nouveau contrat citoyen construit et décliné dans ces différents pilliers. Que ce soit, entre autres, des thématiques comme l’apaisement du climat politique, la protection des droits de l’Homme et du citoyen, rendre l’armée et les forces de sécurité plus républicaines, la séparation des pouvoirs et la réforme des institutions, l’amélioration de l’accès aux services publics tels que l’éducation et la santé, l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes, la mise en place des mécanismes pour un décollage économique du Togo, il est possible de dégager une manière de voir commune sur ces sujets.
Après publication de cette première mouture, dans un premier temps, des réunions hebdomadaires sont organisées en ligne pour expliquer la vision de la démarche, discuter et échanger avec des citoyens togolais et africains de l’intérieur du continent et de sa diaspora. Les sensibilisations continuent à travers les réseaux sociaux. Dans un deuxième temps des interventions sur le terrain pourrait aller vers le cœur des populations n’ayant pas accès aux nouveaux médias.
La stratégie : en partant des idées, des solutions, comme des mobilisations de terrain, les Togolais devront construire un mouvement ouvert à toutes celles et tous ceux qui partagent les principes de solidarité sociale, de respect du vivant, de renforcement de la démocratie et de promotion des droits humains.
Une initiative d’acteurs apolitiques
Les porteurs du projet viennent tous de la société civile. Et ce n’est pas un hasard. Trente-quatre années de processus démocratique ont consacré la faillite du système partisan au Togo. Rétamés par la trop longue durée de la lutte, les répressions successives, ruinés et incapables de se réformer, les partis politiques de l’opposition sont perçus aussi comme responsables de l’échec du processus par les lignes de fracture créées qui font finalement du combat pour la démocratie et le développement, une question de personnes, de groupe d’intérêt.
Raymond Awokou qui fut d’ailleurs un militant du combat démocratique de la première heure et un ancien pilier de la CDPA, se méfie désormais des démarches partisanes.
«Est-ce que vraiment, fondamentalement, la société a évolué au point où les partis politiques peuvent constituer une alternative crédible. Aujourd’hui, quand on prend l’expérience dans beaucoup de pays, on voit que la compréhension même que l’on a d’un parti politique reste autour d’un enjeu de conquête de pouvoir pour un clan et non pour réaliser une vision de société, une ambition sociale. Donc, à ce niveau, on voit que tant que l’ambition n’est pas de changer la société, que l’ambition reste juste la conquête du pouvoir pour satisfaire un groupe ou un clan, on reste toujours dans une perspective qui n’est pas le bon pour nos pays», explique-t-il.
Les initiateurs ont des parcours et trajectoires différentes. Certains ont milité dans des syndicats, des partis politiques, ou des organisations de la société civile. La majorité a la cinquantaine voire la soixantaine, et ils et elles sont vieux de leurs expériences de lutte des combats contre la dictature togolaise. Parmi eux, on retrouve les primo-initiateurs comme l’historien Adovi Goeh-Akué, l’enseignant-chercheur Raymond Awokou, le professeur David Dosseh, premier président du syndicat des hospitaliers du Togo, et également acteur principal du Front Togo Debout, cheville ouvrière de la mobilisation contre l’installation d’une 5ème république.
Du coté de la société civile, on retrouve des acteurs comme Mme Brigitte Ameganvi de l’association Tournons La Page, Karl Gaba, Elom Ekoué, Dany Ayida, ancien journaliste, et la jeune benjamine Farida Naboureima, la pasionaria du combat contre le clan militaro-civil. Si tous ont un point commun quant à leur aversion du régime en place, ils ont démontré par le passé n’avoir aucune affinité partisane.
Leur objectif c’est d’amener les Togolais à construire ensemble un mouvement citoyen, sans exclusive. Nous ne sommes pas des professionnels de la politique, mais nous avons la volonté, par-delà nos divergences, d’unir nos forces pour remettre les citoyens au cœur de l’action publique, pour reprendre la maîtrise de notre destin, pour renouer avec la promesse républicaine d’égalité si souvent trahie, quelles que soient nos origines, nos croyances ou notre lieu de résidence.
En réalité, le nouveau contrat citoyen n’est pas si inédit que cela dans l’histoire du combat démocratique. Déjà, dans les années 1980, cette méthode s’illustrait dans le combat underground au niveau étudiant, des conférences thématiques étaient organisées dans les centres culturels pour éclairer la lanterne de l’opinion sur certains sujets d’orientation politique. La démarche tient également de Place Publique, ce mouvement citoyen né en France pour débattre des questions d’intérêt national sur lesquels les décideurs politiques hésitent à se prononcer. Elle tient aussi sur un autre plan des Sénégalais du Pastef.
Pour le Nouveau contrat citoyen, la grande question qui se pose est de savoir comment quitter l’orbite des conférences virtuelles pour celles des conférences en présentiel tout en sachant que le pouvoir militaro-civil s’apprête à accentuer la répression de toute activité citoyenne qui ne lui est pas favorable.
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