Quand l’opposition togolaise perd le Nord

En neutralisant le PNP et les leaders originaires du Nord, la junte militaire porte un coup dur au combat démocratique, une réalité que l’opposition togolaise semble minimiser.

Le 20 avril dernier, les agents de la junte militaro-civile  arrêtent Ouro-Djikpa Tchatikpi, le conseiller politique du président national du PNP, Tikpi Salifou Atchadam. Ce dernier poussé à l’exil forcé au Ghana (ou en Guinée), c’est Ouro-Djikpa Tchatikpi qui détient les rennes du parti et en est le véritable numéro deux malgré la présence d’un secrétaire général en la personne du Docteur Kossi Sama.

Cette arrestation, précédée quelques jours plutôt de celle de deux autres cadres du parti et des sécurocrates de Tikpi Atchadam, achève le processus de décapitation du PNP mis en branle par le régime dès son émergence tonitruante sur le théâtre politique national le 19 août 2017- à travers les marches  populaires synchronisées  dans les villes du Togo et plusieurs villes d’Afrique et d’Europe.

Déjà sérieusement affaibli par l’exil de son leader charismatique, réduit à ses envolées lyriques sur le réseau social Whatsapp, la force de frappe du PNP s’est étiolée progressivement sous le rouleau compresseur du régime depuis le 20 août. Si le très répressif blocus des villes de Sokode,  Bafilo et Mango  pendant plusieurs mois, les harcèlements nocturnes des populations d’Agoè peuvent paraître  comme de vaines  dragonnades pour dissuader les masses de suivre le PNP,  les arrestations des imams conseillers de Tikpi Atchadam ont toutefois sérieusement entamé le cœur du parti sur le court terme.

Ebranlé par l’ampleur du phénomène Tikpi Atchadam et passé les premiers effets de surprise, le pouvoir togolais a, dès le début, montré sa farouche volonté de réserver un traitement sécuritaire voire militaire à ce qu’on peut appeler «la question Tem», c’est-à-dire l’émergence d’un parti auquel s’identifie les populations musulmanes de la partie septentrionale du pays.

Dans une récente ingénieuse tribune au Temps, Radjoul Mouhamadou met en lumière la stratégie de neutralisation du parti mise en place par le pouvoir de Faure Gnassingbe en faisant valoir qu’en réalité le PNP ne peut survivre qu’au sein d’une union de l’opposition, qu’une tentative de ce parti de faire cavalier seul est non seulement voué à l’échec mais également suicidaire.

Il a suffi d’ailleurs que le PNP s’écartât du troupeau pour que la junte militaro-civile, tout comme les fauves dans la savane africaine, prenne en chasse  l’antilope ou le zèbre esseulé.

Un parti étêté

Le samedi 20 avril dernier, la tenue de la réunion hebdomadaire du PNP  par deux tout jeunes militants,  est symbolique de l’émasculation de ce parti. Né en 2014, le PNP est non seulement un parti jeune, mais manque de cadres. Certes, le déficit de cadres  et donc d’une profondeur de ressources humaines pouvant prendre la relève, est caractéristique de la plupart des partis de l’opposition, mais il est plus frappant chez un parti  aussi populaire que le PNP. Exception faite de Tikpi Atchadam et son alter ego, Ouro-Djikpa Tchatikpi, le vide prend place. Le bon docteur Kossi Sama, malgré son titre de secrétaire général, n’a, semble-t-il,  pas l’aura des deux précédents. En tant que médecin, il ne passe d’ailleurs que pour la figure instruite voire intellectuelle d’un parti qui n’en a que très peu- exception faite de ses démembrements dans la diaspora togolaise.

La neutralisation du PNP a un objectif bien  déterminé : le refus de toute opposition forte venant du Nord du pays, fief supposé du pouvoir. L’émergence d’un leadership au nord pouvant damer le pion électoralement au parti Unir-Rpt est une vision d’horreur pour Faure Gnassingbe et la junte. Cette vision sous-tend l’ostracisme d’un François Akila-Esso Boko, qui a le chic d’être même un Kabyè. Et c’est pour cette même raison que Dahuku Péré,Kabyè également, a été rapidement étouffé.

Tout comme son père Eyadema, Faure Gnassingbé se pose en garant de la stabilité d’un pays voué à une opposition entre le Nord et le Sud. Le PNP, à travers son opposition frontale, est arrivé à mettre en échec ce mythe et ruiné le storytelling d’un Faure Gnassingbé comme un pont entre le Sud et le Nord. Tikpi Cette aversion pour l’ouverture d’un front au nord sous-tend l’ostracisme d’un François Boko aujourd’hui, tout comme hier, la rapide extinction de la dissidence de l’ancien ministre Dahuku Péré.

La «géostratégie» à la togolaise est une orientation politique ethno-régionale, et ceci demeure une constante de la politique du clan au pouvoir. Elle est même incontournable dans le maintien du parti au pouvoir. Elle participe de la captation des élites  voire de l’adhésion de certaines couches sociales à la politique du parti au pouvoir. L’excellent livre Pour (vraiment ) conclure la lutte, de Radjoul Mouhamadou, donne une lecture de la cynique exploitation sociopolitique de cette réalité, surtout en période électorale.

L’opposition n’a rien compris au film

Une réalité que l’opposition togolaise  semble allègrement ignorer – c’est l’impression qu’elle en donne-,  en tout cas sa réaction timorée à face à la destruction du PNP suite à l’arrestation de Ouro-Djikpa Tchatikpi,  ou de l’empêchement de François Boko,  illustre sa méconnaissance voire son mépris des réalités sociopolitique du pays.

L’opposition togolaise dans sa large majorité a semblé savourer quelque peu de la décapitation du PNP voire  la mise hors d’état de nuire de François Boko. L’ANC, qui se pense en parti dominant, est restée atone, tandis que les abats de la C14 (ADDI – CDPA – DSA – FDR – LES DÉMOCRATES – PSR – UDS TOGO), n’élèvent que « la plus vive protestation contre ces abus destinés à étouffer la lutte pour l’alternance démocratique », et appelle à une reconstitution d’une coalition jugée indésirable !

Seul le Parti des Togolais, à travers la voix de son numéro deux, Gnimdèwa Atakpama, a demandé le siège du SRI(Service de recherche et d’investigation)- par les principaux leaders de la Coalition. Une initiative qui n’a vraisemblablement pas reçu l’onction des leaders de l’opposition.

En voyant apparemment dans le PNP et François Boko des adversaires potentiels et non des alliés nécessaires, incontournables même,  l’opposition togolaise majoritairement constituée de leaders originaires du Sud, ferait fausse route et ruinerait ainsi les conditions de l’alternance.

Manifestement, face à un pouvoir militaire dont le maintien est basé sur la répression et l’appui d’une pieuvre financière internationale, l’opposition togolaise ne met pas tous les atouts de son côté- ce que voudrait une politique volontariste. Les leaders du Sud manqueraient de stratégie et surtout de vision nationale du pays pour vaincre le pouvoir monolithique en place.

La loi du nombre- plus on est nombreux, massifs et unis, plus on est plus fort- et la voie du nord sont des facteurs à prendre en compte pour renverser la camarilla cinquantenaire.

Ignorer Tikpi Atchadam et François Boko, c’est prendre le risque de laisser le nord pris en otage par le pouvoir.

La voie du Nord

Refuser de tenir compte du facteur ethnique et régional sur lequel joue le pouvoir, c’est prendre des vessies pour des lanternes. Au contraire, l’opposition devrait en jouer favorablement dans une vision de réaliser l’unité d’une nation que le colonisateur français a divisée dès les premières heures des luttes d’indépendance, une division factice exploitée habilement et cyniquement par la junte militaire.

Le Nord, la voie du nord, donc, devrait s’imposer à nous. Donner un peu plus de prépondérance au nord, susciter des leaderships  forts venant de cette partie est une nécessité. Au lieu de décrier un François Boko pour ses ambitions  de destin national, on devrait plutôt l’inciter à aller loin, plus loin qu’un Tikpi Atchadam, par exemple,  dans le rejet du pouvoir par les populations.


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A propos Tony Feda 141 Articles
Journaliste indépendant. Ancien Fellow de l'Akademie Schloss Solitude (Stuttgart, Allemagne), Tony FEDA s’intéresse à la sociologie, la culture- ses domaines de prédilection sont la littérature et les arts de la scène du Togo. A travaillé pour plusieurs journaux dont Le Temps, Notre Librairie. www.culturessud.com. Depuis août 2018, s'inspirant de Robert Park et de Bourdieu, il entame sur son blog www.afrocites.wordpress.com des projets sur des thèmes concernant la ville.

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