La C14 (Coalition de 14 partis de l’opposition) – devenue C9- a explosé entièrement la semaine dernière avec le retrait du Parti des Togolais et de l’ANC, les seuls partis à avoir déclaré prendre « la décision de mettre fin à leur qualité de membre » tandis que les premiers à être partis l’ont fait sur la pointe des pieds sans qu’on sache s’il s’agit d’une mesure de suspension ou d’un retrait définitif.
Après rencontre avec quelques acteurs des différents partis, Le Temps revient sur le déroulé des événements qui ont conduit certains partis à mettre fin à leur collaboration à une coalition en plein délitement.
Par précaution, et pour donner encore la chance à une opposition de se reconstituer d’une meilleure façon, nous respectons la volonté des témoins de garder l’anonymat. Les témoignages ont été recoupés avec des mémos.
Retour d’abord sur les deux événements majeurs – l’affaire des 30 millions et la rencontre avec Faure Gnassingbe-, la goutte d’eau de trop qui a fait déborder le vase. Certains leaders qui ont longtemps contenu leurs colères face aux bourdes politiques de la coordinatrice Brigitte Kafui Adjamagbo, ont décidé de quitter le navire ivre.
Par choix journalistique, nous n’allons pas respecter l’ordre chronologique des événements qui ont abouti à l’explosion de la Coalition. Mais nous partiront des deux derniers actes avant de décliner le chapelet de ratés, d’erreurs voire de fautes politiques incroyables dont la stratification sur plusieurs mois étaient devenus insupportables pour nombre de membres.
«La Coordination (Mme Brigitte Kafui Adjamagbo, NDLR) a l’habitude de nous mettre devant le fait accompli. Et quand c’est gâté, elle demande qu’on soit solidaire. On ne peut pas être solidaire jusqu’à la mort », nous confie un cadre d’un parti influent de la Coalition, excédé par tant «de légèretés insoutenables » de la part de la coordinatrice de la C14, principale mise en cause dans le mélodrame. Elle est surtout accusée de dissimulation d’informations, de manque de concertation, d’incompétence, et surtout de jouer le jeu de l’ANC et du PNP.
Avant-dernier acte du mélodrame : L’affaire du don de 30 millions CFA d’Alassane Ouattara à la Coalition
.
Lomé, lundi 30 juillet 2018. Veille du sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO, la cinquante-troisième session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. La crise togolaise dure depuis quasiment un an.
Sonné les premiers moments, le chef de l’Etat togolais contesté, Faure Gnassingbe, a repris du poil de la bête grâce à la médiation de la CEDEAO, qui a demandé la suspension des manifestations, et surtout grâce au blocus militaire des villes de Sokodé, Bafilo et Mango.
L’opposition togolaise et les masses populaires ont la foi de charbonnier. C’est le sommet de la dernière chance, la CEDEAO pourrait imposer son diktat à Lomé quant aux réformes normatives de la constitution et des institutions revendiquées par l’opposition. La C14 y croit un peu, même si un récent voyage à Conakry chez le facilitateur guinéen Alpha Condé, sème quelque peu le doute.
Les Togolais ont les yeux rivés sur le sommet de la CEDEAO, le sommet aura lieu le 31 juillet. Justement, la veille, le président Alassane Ouattara arrive à Lomé. Il demande à rencontrer les responsables de la Coalition. Comme à l’accoutumée, c’est Brigitte Kafui Adjamagbo, la coordinatrice, informée, qui convoque les siens. « Comme d’habitude », elle n’informe pas tout le monde. Voici « son » casting de la délégation devant rendre rencontrer Ouattara : Mme Brigitte Kafui Adjamagbo, Jean-Pierre Fabre (ANC), Dr Kossi Sama (PNP), Pr Aimé Gogué (Addi), Dodji Apevon (FDR), Antoine Folly (UDS-Togo), Pr Komi Wolou (PSR).
Alassane Ouattara à la C14: Faure est encore tout jeune, il faut le laisser faire un quatrième mandat !
La délégation se retrouve chez Alassane Ouattara à 20 heures, à l’Hôtel du 2 février. La rencontre n’est pas cordiale. Elle fut même quelque peu glaciale. Le président ivoirien prend de haut la C14 et entend leur dicter « sa » solution à la crise togolaise. Il exige de l’opposition l’abandon de ses revendications et leur demande de « prendre tout ce que le pouvoir UNIR » leur « donne ». «Même si on vous donne deux délégués à la CENI, prenez, ce n’est pas bien grave !», dit le président ivoirien. Et « il faut laisser Faure postuler pour un quatrième mandat », ajoute-t-il.
Dodji Apevon, le président des FDR qui n’entrave que couic à la situation, proteste, et demande au tombeur de Laurent Gbagbo pourquoi lui a renoncé à un troisième mandat.
Réponse du numéro 1 ivoirien : « Moi, je suis vieux ; par contre, Faure Gnassingbe est encore tout jeune ».
Alassane Ouattara: Apportez le cadeau de 30 millions CFA à mes amis !
L’affaire tourne au vinaigre pour la C14. Sur ces entrefaites, la délégation demande à prendre congé. Alors qu’ils tournaient les talons, le président ivoirien les hèle : «tenez, apportez le cadeau que j’ai pour mes amis !». Le porteur de valise de Ouattara leur tient un sac rempli de 30 millions CFA.
On tend le sac à Jean-Pierre Fabre. Qui refuse et dit de le donner à Brigitte Kafui Adjamagbo, la coordinatrice. Qui à son tour refuse. Situation théâtrale. Gros dilemme. Le docteur Kossi Sama, numéro deux du PNP, perplexe, se découvre des envies imminentes d’aller au petit coin. Il fuit se réfugier dans les toilettes.
Finalement, la coordinatrice, très à cheval sur les droits d’aînesse, dit de filer la patate chaude au plus jeune de la délégation : Le professeur agrégé de droit, Komi Wolou. Qui accepte, malgré lui.
Dehors, le Proffesseur Wolou, arrivé sans son véhicule repart dans celui de Dodji Apevon. Mais en le quittant, il «oublie» l’argent de Ouattara dans le véhicule. Le président des FDR, stupéfait, découvre le sac contenant les 30 millions le lendemain matin et demande d’urgence une réunion pour régler «l’affaire des 30 millions d’Alassane Ouattara».
Vous êtes des présidentiables et n’avez rien à envier à Ouattara
A la plénière de la C14, les absents chez Ouattara désapprouvent le comportement de la délégation. « Qu’avez-vous fait ? Vous n’auriez pas dû accepter cet argent », avance un leader. D’autant plus que, fait notable, quelques minutes avant la réception de la délégation, le même Alassane Ouattara avait reçu le ministre Gilbert Bawara, poids lourd du gouvernement. N’est-ce pas lui qui aurait déposé cette somme ridicule chez Ouattara en vue de compromettre la C14, s’interrogent certains au cours de la plénière.
Brigitte Adjamagbo plaide : «on ne peut pas refuser l’argent donné par un chef d’Etat, surtout quelqu’un d’aussi influent que Alassane Ouattara».
Un responsable du Parti des Togolais répond sèchement : « Mais pourquoi donc ? Au contraire, vous auriez dû. Vous êtes des leaders de vos partis et donc des présidentiables. Qu’avez-vous à envier à Ouattara » ?
Les discussions sont animées voire envenimées. Jean-Pierre Fabre, qui a été accusé –vérité ou affabulation – d’avoir reçu 500 millions CFA de Ouattara en 2015, déclare que c’est à cause de cette prévention qu’il a refusé de «prendre », cette fois [ndlr].
A la fin, un responsable propose de faire une déclaration publique et d’annoncer que l’argent servira à l’aide aux prisonniers politiques- les manifestants interpellés et détenus.
Conscient de la gravité de la situation, beaucoup refusent de rendre l’affaire publique. Par peur. Mme Brigitte Kafui Adjamagbo demande l’omerta à propos de l’affaire. « Si on ne peut plus se faire confiance, quel est l’intérêt de combattre en groupe », avance-t-elle comme argumentaire. On lui retorque « de rester avec ses illusions » voire sa naïveté. Et un responsable d’un parti ayant eu maille à partir avec le régime dit : « Je vais vous dire une chose en tant que spécialiste en communication politique : si cette affaire sort un jour, niez ! Niez encore et encore, car nous avons ici une bombe qui pourrait ébranler la Coalition ».
Finalement, l’argent fut donc reversé à la trésorerie de la Coalition.
Fulbert Attisso, celui par qui le scandale arriva
Cependant, quelques mois plus tard, l’affaire éclata. Par Fulbert Attisso, le président de Togo Autrement, pourtant absent de la réunion et qui ne l’a su que par le compte-rendu de son numéro deux. Pourquoi Fulbert Attisso parle-t-il sciemment d’une telle affaire pouvant déstabiliser la C14 ?
« Fulbert Attisso est un frustré, un aigri, une grande gueule, et un politicien naïf qui pense qu’il suffit de créer un parti politique radical en théorie pour avoir des financements de la diaspora», dit notre contact. Il se revanche de la Coalition pour n’avoir fait pas partie de la première délégation qui a rencontré le président ghanéen Nana Akuffo-Addo à Accra en
2017. Le maoïste, en théorie, penserait à tort avoir été ostracisé par la Coordination alors qu’il s’agit d’un choix opéré par le service des affaires politiques de l’ambassade du Ghana, selon nos contacts.
En dépit de la sortie de Fulbert Attisso, ce dernier n’est pas vraiment pris au sérieux. Mais les médias et les réseaux se sont emparés de l’affaire. « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose », écrivait Francis Bacon. La rumeur devient clameur. Les accusations s’amplifient.
Fabre nie, mais Gogué commet la bourde
Interrogé au cours d’une interview, Jean-Pierre Fabre nie en bloc. Pourtant, le lendemain, lors d’une conférence de la C14, au sortir du conclave, le professeur Aimé Gogué désavoue la discipline de groupe et décline la vérité.
«Les gens crient qu’il y a un Chef d’Etat qui nous a donné 30 millions. Bien sûr, on a reçu. Nous sommes 14 partis politiques et 30 millions divisés par 14 ne donne même pas 3 millions. Ça fait 2,5 millions par parti » avoue Aimé Gogue, de l’Addi, le 15 mars sur radio Métropolys FM.
Croyant être dans le bon chemin, il ajoute naïvement : « Si moi Togolais je pense qu’on a acheté l’un de mes leaders politiques avec 2 millions, j’aurai honte de moi-même. Ça veut dire que les Togolais sont très pauvres et que même leur leader peut être acheté à 2 millions, ce qui est très ridicule. On n’a pas eu à partager ; cela a servi aux manifestations ».
Après sa sortie, certains au sein de ce qui reste de la C14 se demandent si continuer avec le groupe est encore utile et sérieux.
Pourquoi la délégation n’a-t-elle pas pu refuser l’argent ? Comment a-t-elle agi pour que cette affaire éclabousse la Coalition et jette le doute sur l’intégrité de ses membres ?
En fait, il n’y a pas d’actes de corruption même si Alassane Ouattara a tenté de les compromettre. 30 millions CFA, c’est rien. Mais un rien qui éclabousse. Il s’agit d’une bêtise. Visiblement, le Togo n’a pas de chance. On est en face d’une classe d’hommes et de femmes politiques qui manquent de burnes, d’aplomb, de psychologie. De caractère.
Jean-Pierre Fabre, qui parait être le plus expérimenté de la délégation reçue par le président ivoirien, devrait pourtant estimer la dangerosité d’une telle offre. Chat échaudé craint l’eau froide, dit l’adage ; et un proverbe Ewé-mina dit : «qui est mordu par un serpent craint un ver de terre ». Par expérience, le président de l’ANC connaît le caractère un peu fourbe du président ivoirien, ce qu’il lui a fait faire en 2015, au lendemain de la crise à la CENI lors la proclamation des résultats de la présidentielle.
Les images de la télévision ne trompent pas et sont plutôt révélatrices. Les présidents John Mahama et Alassane Ouattara appelés à Lomé pour une médiation dans la crise de la présidentielle convoquent Jean-Pierre Fabre, le candidat du CAP 2015 dont les représentants à la CENI dénoncent la fraude massive – le bourrage des urnes dans le nord.
JPF est vautré dans le fauteuil, abandonné, les mains entre les jambes, écoutant religieusement comme un enfant coupable les remontrances d’Alassane Ouattara. Une expression corporelle frappante. Comment n’a-t-il pu opposer la moindre résistance alors qu’il est quasiment leur égal- c’est lui que le peuple togolais, selon ses dires, aurait pourtant élu, non ?
Manque de caractère, incompétence
Quatre ans plus tard, JPF vit quasiment la même situation, lui l’expérimenté n’a pas eu le courage de mettre le holà à une rencontre avec Ouattara qui n’aurait même pas dû continuer. Lui l’expérimenté accusé d’avoir été stipendié de 500 millions CFA, et sachant que quelques minutes avant leur arrivée, Gilbert Bawara était passé par là. Lui l’expérimenté qui sait très bien que Alassane Ouattara n’est pas son ami, ni l’ami du peuple togolais, comment a-t-il pu laisser faire ?
Manque de caractère. Mais aussi manque de compétence.
Au prime abord, le fameux « cadeau » de Ouattara est une insulte à l’opposition. S’il voulait apporter un appui sincère à la Coalition, ce ne serait pas avec cette broutille. Et si on ose accepter un tel don, le mieux serait de le déclarer publiquement.
On ne peut pas dire qu’ils ne savaient pas la létalité d’une telle aide, qu’ils n’avaient pas cette vision infernale du vice qui soutient le régime togolais. Ils savaient, ils savent, mais ils n’osent pas faire ce qui se doit. Par peur, ou par ignorance. Et pourtant, dans les rangs de la Coalition, ce n’était pas la qualité intellectuelle qui fit défaut : il y avait le Professeur Aimé Gogué (plus de 30 ans d’opposition au régime), Komi Wolou, Professeur agrégé de droit, Doyen de la Faculté de droit de Lomé, Brigitte Adjamagbo, plus jeune ministre de la Transition et plus de 30 ans d’opposition aux cotés du Professeur Messan Gnininvi, premier ancien Secrétaire de la CDPA, et le Docteur Kossi Sama, numéro deux du PNP, parti pourtant loué pour sa radicalité. Quelle radicalité ?
Ce manque d’aplomb, d’assurance, de vision, est l’une des raisons qui expliquent l’abandon de la CEDEAO. Personne ne croit en nos leaders.
Tony FEDA, journaliste indépendant.
En savoir plus sur Le Temps
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Laisser un commentaire