Une frénésie langagière s’est emparée de l’opposition togolaise depuis quelques jours. La stratégie de conquête du pouvoir politique a généré des concepts troublants, les uns nimbés d’une orgie de proverbes africains, les autres perdus dans des expressions inconnues jusqu’à présent de la science politique. Grosso modo, il s’agit, religieusement, pour le PNP, d’une « révolution populaire», tandis que l’ANC, du haut de son assurance de parti dominant, laisse choir une «révolution électorale».
Ces saillies étalées au lendemain de l’échec d’un conclave de la Coalition des 14 partis de l’opposition, interviennent dans un contexte politique marqué par beaucoup d’anxiétude pour le futur du pays. Le risque de voir la perpétuation du règne cinquantenaire et monarchique des Gnassigbe-Eyadema au-delà de 2020 reste plutôt dans le domaine du probable.
Tout d’abord, le 20 décembre dernier, les législatives boycottées par l’opposition renvoie le pays à l’ère du parti unique avec un parlement intégralement acquis à UNIR, le parti militaro-civil au pouvoir. Et comble de la mascarade du théâtre politique, le régime a réussi à créer sa propre opposition reléguant à la périphérie l’opposition légitime et populaire. Qui, du reste, reste indécise voire dubitative quant à sa participation aux élections locales de cette année, les premières depuis 33 ans ; qui, du reste, est surtout totalement en perte de repères quant à la stratégie idoine à adopter à l’approche de la présidentielle qui aura lieu dans presque 12 mois. Au même moment, sur le terrain, le pouvoir met les bouchées doubles pour prendre de vitesse son opposition par une communication des plus agressives avec la tenue itinérante de conseils de gouvernement dans les différentes villes et chefs-lieux de préfecture- un tourisme gouvernemental interurbain qui laisse l’impression que le développement local serait en action. Et last but not the least, le lancement d’un programme national de développement (PND) dont le matraquage publicitaire a pour objectif inavoué de laisser accroire aux populations que le grand chantier du développement est définitivement lancé. Allô la société de spectacle ?!
Face à un tel adversaire monolithique et redoutable, adossé de surcroît à des puissances occultes ordonnatrices de la politique africaine, les divisions de l’opposition sonnent déjà le glas d’une défaite en rase campagne. Elles portent le signe d’une certaine fébrilité, un manque évident d’assurance, de psychologie, une autoflagellation, une absence de recul devant les événements, et surtout une absence d’analyse et de projection dans le futur.
Polémiques stériles
Les derniers soubresauts au sein de la C14 restent cependant pour le moins surprenants. Certes, le fonctionnement sous forme d’un attelage hétéroclite tiré à hue et à dia par une coordinatrice cooptée pour des raisons liées au genre- première arrivée dans un concours de circonstance, dirait Coluche- laissait présager une implosion. Une inquiétude vite dissipée par le boycott des élections législatives du 20 dernier. Le refus collectif d’une telle mascarade électorale, son approbation par les populations qui ont répondu par un boycott massif, suscitait l’espoir d’une opposition plus forte et ragaillardie malgré l’abandon traitre de la CEDEAO et de la communauté internationale.
On ne demandait qu’à y croire. Car, contrairement au passé où l’opposition se fracassait sur le mur des égos des grandes figures, le déclin de ces dernières, faisant le vide de fortes personnalités, constitue un limon fertile à la coopération entre les partis dominants et les petits partis en vue d’une union sacrée pour rendre la lutte efficace et efficiente.
Les zizanies actuelles sont donc totalement incompréhensibles. Mais cela peut s’expliquer par l’appréciation faite par les différents acteurs du bilan de ces derniers mois, chacun voyant midi à sa porte. Pour le PNP, le parti à l’origine du regain des manifestations populaires depuis août 2017, il s’agit manifestement d’un échec dont la correction exige une reprise de la mobilisation à la base. Même son de cloche chez Togo Autrement, le minuscule parti conduit par Fulbert Attisso, qui sonne le tocsin de la mobilisation générale en vue d’une révolution populaire. Le CAR, pourtant militant tout au début d’une restructuration de la C14, met également en cause l’échec de la Coalition, et regrette à mots couverts la non-participation aux législatives. Le très minuscule MCD s’inscrit également dans le registre du CAR, même s’il n’a jamais remporté aucune élection et que ses chances
pour en gagner un jour sont infinitésimales .
A contrario, l’ANC, la CDPA, le Parti des Togolais, l’UDS-Togo, l’ADDI, pensent que la bouteille est à moitié vide et que l’action politique peut être améliorée par une coopération renforcée des partis de la coalition et la mise sur pied d’une stratégie gagnante en vue de la présidentielle 2020. C’est ce que l’ANC appelle abusivement « une révolution électorale ».
En réalité, la polémique entre les tenants de la révolution populaire et les partisans d’une participation à une élection n’a pas lieu d’être ; une analyse de la situation infirme les deux positions de la «révolution populaire» et de la «révolution électorale ». L’histoire du combat démocratique depuis le 05 octobre 1990 prouve à suffisance les limites des deux stratégies rendues ridicules et vaines face à un adversaire redoutable utilisant à la fois la ruse et la barbarie, le tout avec des moyens colossaux de l’Etat, tout en ayant le soutien de la pieuvre financière internationale.
L’échec de la mobilisation, en dépit des énormes sacrifices consentis (coûts humain, financier et politique), auraient dû ouvrir les yeux aux responsables du PNP et de Togo Autrement sur le caractère hasardeux des stratégies. Il en est de même pour les partisans de la révolution électorale qui devraient savoir tout de même que la Bérézina de la présidentielle d’avril 2005 reste tout de même le symbole de ce chimérique concept, sans oublier 2010 et 2015 où Jean-Pierre Fabre a fait la preuve de son incapacité à défendre le vote populaire.
Sumotori
Un Togolais de France ayant participé à la mobilisation de la diaspora en 2005 raconte ses impressions en ce qui concerne la lutte : « En 2005, je voyais les sacrifices énormes que faisaient les compatriotes de la diaspora pour cette mobilisation sans précédent. Je mesurais qu’au coût des sacrifices, ils ne tiendraient pas longtemps et qu’inexorablement, la mobilisation et donc la lutte s’étiolerait avec le temps. J’avais conscience que les sacrifices des Togolais au Togo étaient plus énormes encore !!! J’ai alors réalisé qu’aucune bagarre dans la durée n’était gagnable contre ce régime, et que le seul modèle de bagarre dans lequel nous aurions une chance, c’est le Sumo. »
Le Sumo est un art martial où les combats réels se jouent sur des très courtes durées (quelques secondes). Quelques secondes au cours desquelles il s’agit de jeter dans la bagarre, toute sa force. Laquelle force les Sumotori passent des années à accumuler dans leur jeune âge à travers des régimes alimentaires spéciaux destinés à leur faire prendre du poids, sans perdre en masse musculaire. Un combat de sumo, c’est des masses de chair et de graisse et de muscles qu’on voit jouer en quelques secondes l’issue d’une bataille ultime préparée sur des années.
A la différence de l’optimisme des leaders politiques ou des activistes, les Togolais n’ont pas la possibilité d’une longue et patiente préparation en quoi consiste une grande partie de la vie d’un Sumotori.
Ce qui paraît le plus pertinent, c’est la nécessité de jeter toutes les forces dans des bagarres imaginées nécessairement courtes, idéalement.
Il reste alors aux oppositions togolaises de relever le défi de transformer la lutte pour la démocratie en un combat de sumo.
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