CDPA-BT: Le temps de la réflexion

Une autre politique d’opposition est encore possible. La CDPA-BT est toujours disponible pour examiner, avec tous ceux qui refusent les mascarades électorales, les voies et moyens pouvant nous permettre de définir ensemble cette autre politique, et de conférer à l’opposition une organisation appropriée pour la conduire avec la probité et la rigueur intellectuelle nécessaires.

 

La mascarade est derrière nous

La mascarade électorale est à présent terminée. Les résultats proclamés ne devraient surprendre personne. Les chefs des partis du courant majoritaire de l’opposition ont accepté d’aller aux élections dans les conditions que l’on sait. Ils savaient bien que, dans ces conditions-là, les élections ne pouvaient pas donner autre chose que ce qui vient d’être proclamé par le régime. Ils ont certainement obtenu ce qu’ils comptaient tirer de leur participation au scrutin. Mais pas la masse des opposants.

La masse des opposants s’est faite flouer une fois de plus : l’alternance au pouvoir n’est pas réalisée ; Faure Gnassingbe est toujours là ; il entame un troisième mandat contre la volonté populaire ; rien ne permet de dire que les « réformes » ne tomberont pas toutes seules du ciel, comme le laissent croire certains ; l’opposition est plus que jamais affaiblie…

Comme nous n’avons cessé de le dire à la CDPA-BT, ceux qui ont ainsi accepté de participer aux élections dans ces conditions inacceptables ont, une fois de plus, rendu service au régime. Comme toujours, leur participation a permis à tous ceux qui ont intérêt à voir le régime perdurer, de proclamer en chœur que les élections sont libres, transparentes, pacifiques… et donc démocratiques. Ceux-là ont beau jeu de travestir ainsi la réalité, puisque des partis du courant majoritaire de l’opposition ont accepté de participer au scrutin pour des raisons sans aucun rapport avec les aspirations du peuple.

C’est pour éviter cette déformation facile de la réalité que la CDPA-BT avait appelé au boycott. Il faut, en effet, que l’opposition cesse de prendre part à des mascarades électorales organisées pour maintenir le régime en place, contre la volonté populaire.

Aucune marge de manœuvre

J-P Fabre est classé en première position par rapport aux trois autres candidats de la mouvance de l’opposition. C’est, de toute évidence, le but réel visé par la participation de l’ANC au scrutin. Dans la réalité, tout le bruit monté autour de CAP 2015 n’est qu’une question d’affichage.

C’est ce but inavoué qui explique le revirement brutal de ce parti par rapport au discours sur « le combat pour les réformes », et le curieux « nous allons gagner sans les réformes ». Tout le monde savait bien que dans les conditions où le scrutin allait se tenir, l’alternance était illusoire ; et à plus forte raison toute forme d’alternative politique.

On ne sort pas en réalité du principe absurde de la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir. Pour les dirigeants de l’ANC, le but véritable de la participation au scrutin dans ces conditions inacceptables pour l’opposition, n’est rien d’autre que la confirmation de Fabre dans ce rôle de « chef de file de l’opposition » institué par le régime en 2011 pour museler l’opposition et préparer l’entrée du pays dans « la démocratie apaisée ».

C’est en cela que le « nous allons gagner sans les réformes » est une contrevérité, une manière de flouer encore la masse des opposants. L’approche passionnelle du combat pour la démocratie n’a pas permis aux partisans inconditionnels de l’ANC d’aller au-delà des apparences trompeuses, pour saisir les réalités. Que va faire à présent J-P Fabre ? Le silence dans lequel il a entretenu l’opinion depuis la proclamation des résultats, jusqu’à la veille de ce meeting du 9 mai 2015, à dérouté nombre de ses partisans inconditionnels.

J-P Fabre donne l’impression de ne pas savoir quoi faire. « …ils ne faut pas laisser les gens se décourager… on ne va pas commencer des choses qui vont échoueril ne faut pas faire des choses qui n’ont pas été bien réfléchies…» Venant du chef d’un grand parti qui vient de briguer la magistrature suprême, et qui était si convaincu que l’ANC et son CAP 2015 vont prendre le pouvoir « sans les réformes », la déclaration parait peut-être sage ; elle n’en est pas moins surprenante. Dans tous les cas, elle montre que l’ANC n’a pas beaucoup de marge de manœuvre. Beaucoup, c’est d’ailleurs trop dire.

Une seule possibilité : accompagner le régime d’une manière ou d’une autre

A la veille des élections, Fabre avait rassuré ses troupes, en leur proclamant que l’opposition gagnera les élections « sans les réformes », et qu’il suffit, pour cela, qu’elles aillent massivement aux urnes voter pour lui. Comme la grande masse des opposants, beaucoup de ses propres partisans n’ont pas cru au discours. J-P Fabre le sait. En conséquence, il ne peut pas se mettre maintenant à appeler la population à venir « défendre sa victoire ».

Et il le peut d’autant moins qu’il avait, lui aussi, signé avec une facilité déconcertante ce « consensus-piège », où il a accepté d’aller aux urnes sur la base d’un fichier électoral fabriqué pour permettre au régime de se maintenir au pouvoir, et où il s’est engagé de s’abstenir de toute manifestation susceptible de détruire l’image illusoire « d’élections pacifiques » dont on veut enrober le scrutin, et l’image non moins illusoire de « démocratie apaisée » que le régime tient à donner au troisième mandat de Faure. Fabre a les mains liées. Il peut dénoncer les résultats proclamés. Mais il ne peut aller au-delà. Il sait d’ailleurs que le gros de ses troupes n’est plus prêt à aller battre le pavé pour lui comme en 2010.

Fabre et ses amis n’ont plus désormais le choix qu’entre deux alternatives possibles : Cultiver à fond une posture « d’opposant historique » et de « chef de file de l’opposition » pour tenter d’amener Faure Gnassingbe à lui octroyer les prérogatives et les avantages prévus par l’inacceptable nouveau « statut de l’opposition » ; ou alors, adopter un profil suffisamment bas, pour mettre Faure en position de lui offrir une occasion de négocier un nouveau partage du pouvoir, cette fois-ci au profit de l’ANC : quelques postes ministériels assortis de privilèges liés à l’exercice du pouvoir d’État, comme ce fut le cas pour Gilchrist Olympio et ses AGO en 2010. J-P Fabre n’avait-il pas dit d’ailleurs le 2 juin 2009, quand il était encore Secrétaire général de l’UFC, que « le pouvoir, ça se négocie aussi … [et] qu’il ne faut pas jouer aux Ayatollah » ? Les temps ont changé depuis bien sûr ; et Fabre est devenu Président de l’ANC. Mais les mentalités et la vision qu’on a du pouvoir et de la lutte d’opposition pour le conquérir ont-ils changé pour autant ?

Le temps de la réflexion

Ce scrutin de 2015 est catastrophique. Mais il a au moins le mérite de remettre sur le tapis des interrogations auxquelles chaque Togolais aspirant au changement démocratique doit apporter cette fois ci des réponses claires.

Qu’est-ce qui avait poussé les togolais dans la rue en 1990 ? Le Togo est-il devenu un pays démocratique depuis ce temps-là ? Peut-il le devenir par le biais d’élections montées pour prolonger la vie du régime antidémocratique ? Est-il normal que dans la situation politique spécifique du Togo, des partis d’opposition acceptent de participer à des élections sur la base d’un fichier électoral “imparfait” ? Fallait-il aller à ces élections de 2015, sans des changements constitutionnels et institutionnels profonds, destinées à rendre les scrutins réguliers et démocratiques dans le pays ? Le discours suivant lequel « …nous allons battre Faure Gnassingbe sans les réformes » est-il juste ? Est-il vrai ? Pourquoi les partis d’opposition ne parviennent-ils pas à se mettre ensemble sur la base d’un programme politique minimum, cohérent, pour rendre l’opposition plus forte, plus crédible, et par conséquent plus efficace ? Après ces élections de 2015, qui peut encore continuer de soutenir le principe de la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir comme stratégie pour réaliser le changement ?

Dans ces conditions inacceptables d’organisation et de déroulement des élections, appeler au boycott est-il « ouvrir un boulevard devant Faure Gnassingbe » comme l’ont soutenu les candidats du courant majoritaire de l’opposition et leurs partisans ? En allant à ce scrutin présidentiel de 2015 dans ces conditions inacceptables, l’opposition a-t-elle gagné quelque chose pour faire avancer la lutte en cours pour la démocratie ? Est-il concevable d’appeler la masse des opposants à aller aux urnes voter contre les intérêts de l’opposition ? Le courant majoritaire va-t-il vraiment dans la bonne direction ?…

Pour une autre politique d’opposition

Les interrogations ci-dessus formulées, et bien d’autres encore s’imposent une fois de plus à l’opposition, mais avec encore plus de force après ce scrutin de 2015. Elles appellent des réponses claires et justes de la part de tous ceux qui refusent de continuer de patauger dans la logique de la participation aux mascarades électorales destinées à maintenir le régime en place. Elles traduisent le fait que la politique d’opposition conduite jusqu’à présent par le courant majoritaire, ne peut pas conduire à l’alternance politique. Et qu’elle ne peut, à plus forte raison, pas déboucher sur une alternative politique susceptible de faire progresser les conditions de vie de la grande masse.

La CDPA-BT a donc adopté une position sans ambigüités sur le scrutin. Elle a appelé au boycott, parce que les conditions d’organisation du scrutin et de participation de l’opposition ne vont pas dans le sens des intérêts de la grande masse des opposants. Elle réaffirme que participer aux élections dans ces conditions n’est qu’une manière d’accompagner le régime. Le rôle des partis d’opposition n’est pas d’accompagner le régime, en lui permettant ainsi de se maintenir indéfiniment au pouvoir.

La CDPA-BT a constaté avec satisfaction qu’une proportion relativement importante de la population désavoue cette fois-ci la participation à tout prix à des élections dont l’opposition n’a rien à tirer. Ce désaveu signifie qu’une proportion de plus en plus importante de la population veut désormais une autre politique d’opposition, et une meilleure organisation de l’opposition.

La CDPA-BT est toujours disponible pour examiner avec tous ceux qui le souhaitent, les voies et moyens pouvant nous permettre de définir cette autre politique, et de conférer à l’opposition cette meilleure organisation. Une autre politique d’opposition est toujours possible.

Lomé, le 13 mai 2015

Pour la CDPA-BT,

Le Premier Secrétaire

E.GU-KONU


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