Le dialogue intertogolais censé aboutir à des réformes constitutionnelles et institutionnelles consensuelles, donnant au pays une constitution impartiale et des institutions fortes, vient de connaître un échec. Un échec pas vraiment retentissant, seuls peut-être les partis de l’opposition (ANC, ADDI, Coalition Arc-en-ciel) et leurs sympathisants y croyaient, peut-être sans y croire ? 26 dialogues à somme nulle, ce qu’il fait dire à nombre de Togolais qu’il faut changer de stratégie. Notre rédaction vous propose une intervention de l’universitaire et écrivain-dramaturge, Togoata Apedo-Amah
Lors de son passage à l’émission 12-13 de Nana FM, dimanche 1er juin, l’universitaire Togoata Apedo-Amah n’a pas manqué de souligner l’inanité des dialogues pouvoir-opposition et a demandé l’ouverture d’une « seconde conférence nationale » comme règlement de la crise politique. Il propose de négocier l’alternance directement avec l’armée, fondement du régime actuel.
Togoata Apedo-Amah est plutôt connu pour ces imprécations et un langage acerbe, mais il a le double avantage d’être un intellectuel, d’avoir un passé de militant politique, d’activiste des droits de l’homme. Sa langue caustique et corrosive a égratigné sans ménagement plus d’un, que l’on soit laïc, adepte du goupillon ou du sabre.
En tant qu’universitaire, il était membre du groupe d’intellectuels à la pensée subversive, fondateurs de la revue Propos scientifiques, soubassement spirituel des soubresauts étudiants du 05 octobre. Il a par la suite accompagné le processus démocratique, comme Secrétaire général-adjoint du Comité d’action pour le renouveau (CAR), un parti aujourd’hui relégué quelque peu à la périphérie, mais dont les principaux dirigeants avaient su récupérer ou prendre en compte l’effervescence populaire contre la dictature du général Eyadema.
Apedo-Amah Togoata démissionna du CAR au début des années 2000, quand il comprit les chemins tortueux, celui de l’abandon du levier populaire, pris par son parti. Déçu des politiques, il retourna à l’activisme associatif en prenant le Secrétariat-général de la Ligue togolaise des droits de l’homme (LTDH). Poste qu’il occupait au moment de l’arrivée de Faure Gnassingbé au pouvoir, avec les violences avant, pendant, après la présidentielle d’avril 2005. Il quitta la LTDH quand celle-ci elle-même fut entrée dans la tourmente, avec certains de ces dirigeants qui n’ont pas hésité à répondre favorablement à l’entrisme dans un gouvernement de Faure Gnassingbé, pourtant tenu responsable moral, sinon instigateur, en tout cas celui à qui profite les violences de 2005.
Fort de ces expériences associative et politique, l’analyse qu’il fait de la situation politique mérite d’être écoutée, car éloignée des préoccupations partisanes et de toute démagogie. Selon lui, l’alternance est pour l’instant impossible compte tenu de la démobilisation des masses, une émasculation de la force populaire dont sont responsables les grandes formations politiques de l’opposition. Venu tard à l’écriture, il a d’ailleurs écrit une pièce de théâtre, Un continent à la mer (Editions Awoudy), qui mérite d’être lue et d’être mise en scène.
Pour Togoata Apedo-Amah, il faut retourner à la conférence nationale. Quand on connait la tournure chaotique de la Conférence nationale souveraine (juillet-août 1991), on pourrait s’étonner d’une telle proposition. Mais il s’est passé quelque chose de fondamental : les forces armées ont claqué la porte de la CNS, et ont tout fait pour une restauration de l’ordre militaire.
L’écrivain et intellectuel demande tout simplement de reprendre la lutte par le début en dialoguant avec l’armée. On se rappelle qu’en 1991, avant que les accords du 12 juin n’engagent que les signataires et que la rencontre ne se transforme en Conférence nationale souveraine (CNS), lesdits signataires ne voulaient qu’un « Forum de dialogue ». Mais certains politiciens venus des bords de la Seine, ont voulu reproduire la révolution française. En coupant la tête du roi. Un roi, hélas pas de la trempe et de la finesse de Louis XVI, mais un soudard de la coloniale, blessé dans son amour-propre, dont la rancune tenace et la revanche ont perdu le processus démocratique, mais également placé dangereusement le pays au bord du précipice.
Notre rédaction ne prend pas parti pour Apedo-Amah, dont l’analyse, au cours d’une émission radio consacrée par ailleurs au 1er, Journée de l’arbre, n’est que partielle et pas totalement aboutie. Mais il dit tout haut ce que beaucoup de Togolais quelque peu instruits disent tout bas, à savoir que les stratégies que produisent les formations politiques de l’opposition, le Collectif Sauvons Le Togo et l’ANC, en tête, ne sont pas de nature à provoquer l’alternance. On ne peut pas continuellement reproduire mécaniquement des schémas de lutte… Nous vous proposons de le lire plutôt dans le texte. Les interventions de l’universitaire sont en exergue.
De vains dialogues
Tout ce qui concerne le devenir de notre pays nous préoccupe. Mais il ne faut pas faire semblant de travailler [de dialoguer, ndlr]. On a déjà compté près d’une vingtaine de dialogues pouvoir-opposition dans ce pays, et aucun de ces accords n’a rien donné. La stratégie de la dictature est de gagner du temps. On prend même des facilitateurs à l’étranger, parfois dans l’Union Européenne ou en Afrique, et puis on gagne du temps. On fait un gouvernement d’union nationale comprenant quelques opposants, parfois on leur donne la primature. Puis, on attend des mois, deux ans, et il ne se passe rien. Même l’APG (Accord politique global, ndlr), le dernier accord, impossible de mettre les conclusions en application.
Puis il enchaîne sur les discussions qui se tenaient au siège de Togotélécom.
Voyez-vous ça, c’est de la supercherie politique. Il y a un président de la République qui se prétend démocrate. Et si vous êtes démocrate, faire ceci, faire cela pour la démocratie, on le fait spontanément. Ça doit être un projet de votre gouvernement. Or, il se fait que tout est foulé aux pieds, la Constitution par exemple. A partir de ce moment-là, les opposants, après plus de 20 signatures d’accord- et tous ceux qui sont présents actuellement à Togotélécom y ont tous participé, tombent encore dans quelque chose où on va les tourner en bourrique ?! La réalité c’est que Faure Gnassingbé ne peut accepter les réformes recommandées [par l’APG, ndrl], ce serait scier sur la branche sur laquelle il est assis.
Dialoguer directement avec l’armée
Moi, je l’ai toujours dit, il faut que l’opposition trouve un moyen de discuter avec les vrais possesseurs du pouvoir, l’armée togolaise, pour la convaincre de quitter le pouvoir dans l’intérêt du pays, parce que c’est un échec total sur tous les plans, moral, économique, social. L’éducation par exemple est par terre. Dans la Région de la savane, 9/10 de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Il faut qu’ils tiennent compte de tous ses éléments-là pour que notre pays puisse changer dans l’intérêt de tout le monde.
L’opposition dépossédée de l’appui populaire
Ici, il intervient à propos d’une question du journaliste Pierrot Kossi Attiogbé, en ce qui concerne quelques peu progrès de la démocratie au Togo.
Ces acquis [liberté de presse et d’expression, ndlr] sont des conquêtes du peuple. Si ces gens [l’opposition] n’ont plus de force vis-à-vis du pouvoir, c’est parce qu’ils ont démobilisé la population avec leurs querelles intestines, leurs participations au pouvoir, tout est flou maintenant. Les acquis ne sont pas un cadeau d’Eyadema. Aujourd’hui, comme la rue n’a plus la force qu’elle avait, le pouvoir se croit tout permis. »
Les élections sont inutiles
Les gens ont cru pendant longtemps que les élections allaient être LA solution [c’est la rédaction qui souligne] à la crise togolaise. Depuis 1993, nous devons à peu près une dizaine d’élections. Et la crise est encore plus dure que jamais. Donc, nous devons comprendre que le problème togolais, ce n’est pas une affaire d’élection puisque ceux qui gagnent les élections [l’opposition], on les connaît mais ils ne vont jamais au pouvoir. On a vu les militaires prendre les urnes et courir comme Usain Bolt dans ce pays. On a vu les milices du régime casser des urnes, etc… Quand vous êtes sûrs de gagner, vous ne faites pas ça, vous n’organisez pas la fraude.
Régime militaire.
Nous sommes dans une dictature militaire 100%. Ce n’est pas parce qu’on a mis un civil devant qu’on n’est pas dans une dictature militaire. Le RPT et l’UNIR ne sont que le cache-sexe de l’armée. L’armée se cache derrière ces partis pour nous faire croire que nous sommes dans un régime civil. Souvenez-vous en 2005, qui nous a montré Faure Gnassingbé ? Ce sont les kakis alors que nous ne leur avons rien demandé du tout. Par rapport à ça, il est évident que nous sommes dans une dictature militaire.
Mai beaucoup font semblant de croire que nous ne sommes plus dans une dictature militaire et ils vont aux élections. Le bulletin de vote n’est pas plus puissant que le fusil. Ça permet à certains d’aller à la soupe, mais fondamentalement, ça ne règle rien par rapport aux revendications du peuple togolais.
Le mandat de Faure Gnassingbé
En principe, on ne limite pas le mandat d’un dictateur. Il est là, pour toujours, comme les rois. Mais il se faut se détromper [c’est nous qui soulignons] : tant qu’on n’aura pas changé de régime, il ne faut pas espérer l’avènement de la démocratie. Même s’ils acceptent l’alternance, la dictature est capable de changer de tête de file, et ça se voit dans plusieurs pays. Tenez, la Chine par exemple !
Une seconde conférence nationale
Le véritable problème, ce qu’il faudrait pour ce pays, c’est une nouvelle conférence nationale pour qu’on se dise quel type de régime nous voulons. Car, les réformes institutionnelles et constitutionnelles ne suffisent pas pour changer les choses. Ce sont les hommes qui tiennent ces institutions, et tant que ces institutions ne sont pas fortes, rien ne peut changer. Voyez la Haac (Haute autorité de l’audiovisuelle et de la communication, la Céni (Commission électorale nationale indépendante), la Cour Constitutionnelle, l’Assemblée nationale, elles sont aux mains d’hommes à la solde du pouvoir. Tant que nous ne nous assiérons pas pour discuter au Togo [conférence nationale, ndlr], nous serons toujours dans l’impasse. Il faut faire comprendre au clan, à la clique, qui dirige ce pays que ça suffit, qu’il y a trop de misère.
Car, pourquoi gère-t-on un pays ? Les populations veulent se nourrir, s’éduquer, préparer l’avenir de leurs enfants, leurs retraites, la sécurité sociale. Est-ce que le pouvoir satisfait tout cela ? Que faut-il faire pour satisfaire tout cela demain ? C’est pour cela qu’il faut discuter [Conférence nationale].
Gouverner, c’est prévoir, appliquer un programme
Quand je vois le programme de certains partis politiques, je rigole. Ils disent « je veux faire ceci, je veux faire tant », mais n’ont rien prévu pour financer leurs programmes. Qu’est-ce qu’ils ont prévu pour créer des richesses ? Que faudra-t-il faire pour satisfaire tout cela ? Quelles sont les prospectives ?
Il n’y a pas ça dans leur programme ! Et quand ils arrivent au pouvoir, ils se retrouvent nus et sautent dans les avions pour aller mendier. La mendicité n’est pas un projet politique. Or, qu’est-ce qu’ils font aujourd’hui ?
Quand Eyadema était là, dès que l’argent du phosphate est fini, on est passé au PAS [Programme d’ajustement structurel, ndlr]. Pour acheter la moindre craie, le moindre crayon, il fallait la signature du représentant de la Banque mondiale au Togo.
Ensuite, le fils est venu et on a le PPTE (Pays pauvre très endetté). C’est la honte. Et ils ont fait la fête pour ça. On est parmi les pays mendiants, les pays sinistrés et les gens sont au pouvoir et disent, moi, j’ai un fusil, je suis là, je ne bouge pas.
L’intervention d’Apedo-Amah n’est pas exhaustive, mais elle a le mérite de poser autrement. Jusqu’à présent, on est plutôt habitué à des discussions byzantines de savoir quel est le meilleur opposant ou qui peut détenir le monopole de l’opposition. Apedo-Amah balaie tout cela d’un revers de la maison. Il n’est même plus question de savoir s’il faut marcher ou non, on l’aura vu marcher pour marcher, est aussi vain que de lancer des jeunes aux mains nues contres les kalachnikov. Toute l’opposition a failli, que ce soit ceux qui ont été dans les gouvernements d’union ou ceux qui jouent aux radicaux en mettant les foules dans les rues, une démarche électoraliste, que fustige le professeur.
La solution serait de revenir à une conférence des forces vives. Mais cela est-il possible dans la situation actuelle, où l’opposition est inexistante, et le mouvement syndicat affaibli ? Pour qu’il y ait une nouvelle conférence nationale, il faut qu’il y ait crise et que le pouvoir se sente réellement menacé, mais à l’heure actuelle les rapports de force sont en défaveur de l’opposition. Il va falloir attendre une autre exacerbation de la crise sociale.
Dans ce cas, le seul atout de l’opposition reste Faure Gnassingbé lui-même, incapable de régler les difficultés économiques, qui s’accroissent. On l’a vu dans quel gouffre financier a conduit le scandale de Contour Global, dont les responsables ne sont même pas punis. Même Kako Nubukpo, le très intelligent ministre de la Prospective et de l’Evaluation des Politiques Publiques, tout comme d’ailleurs les 100.000 programmes de réduction de la pauvreté, du ministère du Développement à la base, ne pourront pas le sauver.
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