C’est une histoire de rails et de minerais, de cuivre et de cobalt. Une histoire qui bégaie. Hier, les colons belges et portugais saignaient le continent vers l’Atlantique ; aujourd’hui, les mêmes voies attirent de nouveaux appétits. À Luanda, où Ursula von der Leyen et Antonio Costa participent au sommet marquant les cinquante ans de relations entre l’Europe et l’Afrique, les discours officiels s’effacent vite derrière les négociations.
L’Europe promet de tourner la page du pillage, de « réparer » et de bâtir des chaînes de valeur locales dans le cadre de Global Gateway en se présentant comme un « partenaire éthique » de la transition verte. Mais elle court après la Chine, déjà dominante sur les minerais critiques, et rivalise avec l’unilatéralisme américain.
Et derrière les promesses de « valeur ajoutée locale », l’ombre du passé extractiviste demeure. Emmanuel Umpula Nkumba, directeur de l’ONG congolaise Afrewatch, reste lucide : « Je ne suis pas naïf, ils viennent pour faire de l’argent, pas pour nous aider. »
Lobito : l’issue de secours atlantique
C’est au nord, entre l’Angola, la Zambie et la RDC, que l’Occident mise sa carte maîtresse. Le commissaire européen Jozef Sikela vient d’annoncer 116 millions d’euros d’investissements pour le corridor de Lobito, une ligne ferroviaire stratégique de plus de 1 700 km qui traverse la Copperbelt depuis Kolwezi jusqu’au port atlantique de Lobito.
Ce rail, véritable artère minérale, doit acheminer cuivre et cobalt nécessaires aux batteries, éoliennes et smartphones, directement vers les cargos reliant l’Europe et les États-Unis. L’objectif est clair : desserrer l’étau chinois. Pékin contrôle les principaux ports de l’Est africain et domine déjà l’essentiel du raffinage mondial. Avec Lobito, l’Occident se dote enfin d’une voie d’évacuation atlantique, capable d’éviter les routes saturées de l’océan Indien et de sécuriser les métaux critiques de la transition verte.
En toile de fond, une course contre la montre : ne pas répéter avec le cobalt ou le lithium l’erreur de la dépendance au gaz russe. Et pour la RDC, où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, la modernisation du corridor est aussi une promesse (encore théorique) de retombées locales et de désenclavement économique.
La riposte de l’Est : la résurrection du Tazara
Mais Pékin accélère. Pendant que l’UE investit à Luanda, la Chine relance le corridor Tazara (Tanzania-Zambia Railway Authority), 1 860 km entre la ceinture cuprifère zambienne et le port de Dar-es-Salaam. Historiquement surnommé le « chemin de fer de la liberté », construit par la Chine dans les années 1970 pour aider la Zambie enclavée à contourner la Rhodésie et l’Afrique du Sud sous apartheid, le Tazara était devenu un symbole rouillé de la solidarité maoïste. Il va être réhabilité grâce à plus d’un milliard de dollars. Objectif : faire passer le fret de moins de 500 000 tonnes à 2 millions par an. Face au corridor de Lobito tourné vers l’Atlantique, le Tazara ouvre la voie vers l’océan Indien. Deux corridors, un même enjeu : la Copperbelt.
La mécanique des milliards sud-africains
Plus au sud du continent, en Afrique du Sud, l’Union européenne a annoncé le 20 novembre un paquet de 750 millions d’euros, destiné non pas à l’aide classique mais à la relance industrielle. Au centre du dispositif : Transnet, l’entreprise publique de logistique, paralysée par des infrastructures dégradées. La BEI injecte 350 millions d’euros pour moderniser rails, ports et pipelines, indispensables à l’exportation du charbon et des minerais.
Un second volet de 330 millions d’euros cible les filières d’avenir (hydrogène vert, batteries, métaux critiques) avec l’appui technique de la KfW et de la GIZ. Pretoria exige désormais que la transformation se fasse sur place. L’accord prévoit donc des projets conjoints de raffinage, de recyclage et de fabrication locale de batteries pour véhicules électriques.
Le malentendu autour de la notion de la « valeur ajoutée »
Derrière les promesses, un malentendu persiste. Tout le monde parle de « valeur ajoutée », mais pas dans le même sens. Pour les industriels africains, cela signifie une véritable montée en gamme : transformer les minerais sur place, fabriquer batteries et véhicules électriques, créer des usines et des emplois locaux.
À Bruxelles, l’ambition est plus limitée : encourager le raffinage en Afrique, mais maintenir la production finale en Europe. L’essentiel de la richesse resterait donc au nord. Ce décalage, technique autant que politique, est aujourd’hui le principal obstacle à un partenariat réellement équilibré.
Pour l’UE, devenir un partenaire « propre »
Derrière les mémorandums, la réalité rattrape Bruxelles. L’UE peine à effacer son image d’acteur volatil : partie quand les temps étaient durs, elle revient aujourd’hui dans un terrain occupé. Même le corridor de Lobito, pourtant doté de 116 millions d’euros européens, est sous pression : risques pour les forêts tropicales, déplacements de communautés, bénéfices incertains pour les populations locales.
L’Europe mise sur ses normes ESG pour se poser en partenaire « propre ». Mais la Chine, elle aussi, adapte désormais ses pratiques. Reste une question de fond : l’UE peut-elle réellement rompre avec son vieux réflexe extractif ? Le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a déjà tranché : « L’ère de la dépendance de l’Afrique est révolue. »
Le Point, de notre correspondant à Kigali (Rwanda), Vivien Latour
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