Au Ghana, l’or divise communautés locales et multinationales

Le Ghana a dépassé depuis quelques années l’Afrique du Sud pour s’imposer comme le premier producteur africain d’or. Cette croissance de la production aurifère, portée notamment par les mines industrielles opérées par des multinationales étrangères, dope les recettes publiques, mais s’accompagne de conflits persistants avec les communautés locales. Alors que l’or brille sur les marchés internationaux, avec un pic à plus de 3500 dollars l’once, l’éclat du métal jaune peine à être visible pour certains Ghanéens.

Un rapport de Pure Earth et de l’Autorité ghanéenne de protection de l’environnement alerte cette semaine sur des niveaux de mercure alarmants dans six régions minières, conséquence de l’exploitation artisanale. Mais si le galamsey, nom donné à la pratique illégale de l’orpaillage, nourrit ces derniers mois une vive colère citoyenne pour ses effets durables sur la santé et l’environnement, l’exploitation industrielle fait depuis toujours l’objet de critiques. Les affrontements meurtriers entre habitants et multinationales se multiplient ces derniers mois, révélant une cohabitation devenue de plus en plus intenable.

Les tensions ont atteint un nouveau pic le 9 septembre dernier, quand un élu local a été tué sur le site de la mine d’or Asanko, propriété du canadien Galiano Gold. Le drame est survenu lors d’un affrontement entre de jeunes habitants, qui accusaient la compagnie de ne pas investir suffisamment dans le développement de leur communauté, et des militaires déployés dans le cadre d’une opération de sécurisation coordonnée par la Chambre des mines du Ghana.

Protestations récurrentes et drames humains

À Obuasi, où AngloGold Ashanti exploite l’une des plus grandes mines du pays, les relations avec les habitants ne se portent guère mieux. Les tensions autour du site remontent au moins à 2016, lorsque les incursions répétées de mineurs illégaux avaient contraint l’entreprise à suspendre ses activités, avant une relance en 2019. Mais le phénomène n’a pas disparu et de nouveaux affrontements ont éclaté en juin 2023 après l’invasion de la concession par des orpailleurs clandestins.

Si aucun décès n’a alors été déploré, un nouveau drame est survenu en janvier 2025, quand des heurts ont fait au moins sept morts après l’intervention de soldats contre des mineurs accusés d’avoir envahi le site. Quelques semaines plus tard, des résidents de Binsere, dans la même zone, protestaient encore contre la construction d’un barrage de déchets miniers, dénonçant des pollutions toxiques et réclamant compensation et relogement.

Avant Obuasi, c’est la plus grande mine d’or du pays, Ahafo, qui a longtemps symbolisé cette cohabitation difficile entre multinationales et communautés d’accueil. Opéré par l’américain Newmont, premier producteur mondial d’or, le site a été marqué dès son lancement par de vives tensions. En juin 2006, une manifestation violente à Ntotroso avait failli perturber la cérémonie de fin de construction, les jeunes accusant la compagnie de traitements injustes et retenant des journalistes en otage. Par la suite, les griefs se sont multipliés avec des déplacements massifs de populations, des compensations jugées insuffisantes, la répression de protestations et une fuite de cyanure en 2009, qui a contaminé des rivières et menacé l’accès à l’eau des communautés locales.

Entre impact économique et permis social d’opérer

Au fil des années, des protestations et des drames, un élément cristallise les reproches des communautés aux producteurs d’or : la contribution économique. Cela peut sembler contre-intuitif, puisque ces compagnies sont au cœur de l’économie ghanéenne. Leurs performances ont hissé le pays au rang de premier producteur africain d’or et le métal jaune est devenu le premier produit d’exportation, générant 11,6 milliards de dollars en 2024, soit 57 % des exportations totales.

En 2023, l’or a représenté à lui seul 7,2 % du PIB ghanéen. En 2024, la Chambre des mines a revendiqué une hausse de 51 % de sa contribution en taxes à 17,7 milliards de cedis (1,43 milliard $) et 4,9 milliards en redevances (+76,7 % sur un an). Selon ces données, les compagnies minières, qui sont principalement des producteurs d’or, ont assuré près d’un quart (24,3 %) des impôts directs collectés dans le pays, confortant leur rôle de pilier fiscal.

Face aux attaques récurrentes des habitants contre les sites miniers, l’État s’est donc logiquement presque toujours rangé du côté des compagnies, leur garantissant protection et continuité d’activité, quitte à accentuer le fossé avec les communautés. Mais si les compagnies minières opèrent en conformité avec la réglementation officielle, les protestations révèlent un autre type d’exigence, celui du permis social d’opérer. Contrairement au permis minier, qui relève d’une obligation légale, ce permis social est informel et repose sur l’acceptation continue des communautés riveraines. Comme l’a rappelé en 2014 Nick Holland, alors PDG de Gold Fields (propriétaire de deux mines d’or au Ghana), l’absence de ce permis peut bloquer durablement un projet, peu importe le soutien affiché par l’État central.

En Afrique de l’Ouest, cette question est devenue cruciale, comme l’a souligné récemment Joshua Mortoti, ancien président de la Chambre des mines du Ghana. Selon lui, les standards ESG classiques ne suffisent plus à garantir la légitimité des projets. Il plaide pour une approche renouvelée qui associe davantage les communautés, par la création d’emplois hors du périmètre minier et, à terme, par une participation directe des habitants au capital des sociétés implantées sur leur territoire.

D’autres experts, à l’instar du Dr Ahamadou Mohamed Maïga, insistent sur la responsabilité des États. Selon lui, les compagnies minières remplissent généralement leurs obligations fiscales et sociales, mais les fonds miniers de développement local (FMDL) censés irriguer les territoires souffrent de faiblesses structurelles. L’absence de gouvernance inclusive, le manque de planification, le déficit de redevabilité et des projets mal ciblés nourrissent la perception d’injustice et alimentent la colère des communautés, qui associent alors les compagnies à leur appauvrissement, même lorsqu’elles ont respecté leurs engagements formels.

« Il est impératif que les projets réalisés à partir des FMDL soient conçus en concertation directe avec les populations concernées, à partir d’un diagnostic participatif des besoins locaux. Ces projets doivent s’adosser aux plans de développement économique, social et territorial des collectivités, pour garantir leur cohérence et leur pérennité », recommande-t-il.

Emiliano Tossou, agence Ecofin


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A propos Colombo KPAKPABIA 1390 Articles
Colombo Kpakpabia est Directeur de publication du journal Le Temps. Il capitalise plus de 32 ans d'expérience dans la presse écrite et audiovisuelle. Colombo axe son travail sur la recherche et l'efficacité. Contact Email: [email protected]

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