Silence, l’armée togolaise réprime à Sokode !

Le Togo entre dans une période électorale, le chef de l’Etat sortant parcourt le pays profond en faisant valoir son intérêt pour l’agriculture, les dirigeants de l’opposition chicanent, et dans la région centrale, se comportant comme en zone ennemie, notre armée se livre depuis des mois à une répression brutale des populations Tems accusées de sympathie pour le PNP, et ce, au su,  au vu des partenaires au développement, et dans l’indifférence générale de l’opinion nationale.

En  début janvier, le Temps a enquêté sur le terrain, à Sokodé et dans quelques cantons pour comprendre quelque peu la situation, et informer l’opinion nationale de comment le gouvernement de Faure Gnassingbe essaie d’anéantir le PNP, un parti politique ouvertement pacifique, par des moyens militaires. C’est dans la peur que nous avons réalisé le reportage, la peur surtout d’être arrêté en faisant une photographie des forces de l’ordre en action, en discutant avec certaines personnes blacklistées, nos interlocuteurs faisant preuve de méfiance et d’inquiétude. Avant d’en venir aux reportages, il est importe de situer le contexte des opérations militaires dans le Nord.

Depuis le 19 août 2017, trois villes du Nord, Mango, Sokodé et Bafilo, et leurs périphéries vivent une situation singulière  de violence d’Etat, suite à l’émergence spectaculaire du Parti national panafricain (PNP) sur le théâtre politique national et les soubresauts démocratiques qui l’accompagnent.

Une situation singulière parce que, par tradition, la violence  militaire  est une donnée quasi existentielle dans le septentrion du Togo, considéré comme le fief du pouvoir d’Eyadema,  donc sous contrôle.  Toute forme d’opposition ouverte y est impensée sinon étouffée voire vite réprimée. Le dispositif sécuritaire, de répression en réalité, n’est jamais loin. Il est dans un rayon de 50 kms, et prêt à intervenir à tout moment, en tout cas dans 40 à 50 minutes en cas de jacquerie. Le camp militaire général Ameyi  dans la ville de Kara  (seconde région militaire) et le camp Nioukprouma pour la région de la Savane constituent l’essentiel du dispositif d’ordre.  La gendarmerie ou la police, les cadres du parti RPT (aujourd’hui UNIR) et quelques autorités traditionnelles ou religieuses font le reste.  Jusqu’à présent, les populations ont réussi à composer avec cette épée de Damoclès.

Ce qui a changé, c’est la systématisation de  la répression, devenue quotidienne, disons permanente. Un déploiement des contingents  militaires sème la terreur dans les villes de Sokodé, de Bafilo, les villages de Kparatao, de Kandambara, de Soudou, et autres périphéries,  et laissent dans son sillage des blessés, des mutilés, parfois des morts, des exilés voire des disparus. Et des populations terrifiées.

Un discours de rupture

C’est la réponse du pouvoir à l’émergence du PNP de Tikpi Atchadam. Comment comprendre cela ? Le PNP  n’est pas le premier parti d’opposition dirigé par un dirigeant du Nord, mais c’est le premier à  tenir un discours de rupture avec l’ordre établi. A en croire Tikpi Atchadam, le verrouillage des institutions de la République par le pouvoir  et l’armée ne laisse point  de place à des réformes devant permettre l’alternance et l’avènement de la démocratie.

Et dans ce cas, la collaboration avec les institutions, jugées équivoques,  comme, par exemple, la participation à toute élection ne sert en dernier ressort qu’à légitimer  et renforcer le pouvoir militaro-civil. Par conséquent, Tikpi Atchadam écarte toute participation à des élections et prône la destitution du pouvoir par la lutte populaire et pacifique. A ce discours s’ajoute un travail de mobilisation d’une rare efficacité, qui permet au PNP de susciter l’adhésion massive de la communauté Tem à la fois dans la région centrale et sa diaspora à Lomé et dans les autres villes de l’intérieur (Kpalimé, Anié).

Il est sans conteste que la communauté Tem ainsi qu’une forte partie non négligeable du Nord  (la préfecture de Tchamba, la ville de Mango) adhèrent au discours du PNP et à sa volonté manifeste de résoudre la crise politique par la rue. La stratégie de la rue est même obsessionnelle voire compulsive chez le PNP, de telle sorte que les militants et sympathisants sont « prêts à manifester chaque jour jusqu’à la chute du régime« . Tel que nous avions eu à le constater, la popularité de Tikpi Atchadam ne se dément pas sur le terrain, et le travail en réseau du parti entretient son fonctionnement malgré la décapitation du bureau politique et l’exil forcé ou volontaire de son leader.

L’émergence du PNP non seulement contrecarre et fait voler en éclats  la stratégie ethno-régionaliste traditionnelle du pouvoir, basée  sur  un antagonisme Nord-Sud, mais aussi sur le storytelling d’un Faure Gnassingbe qui se veut par sa parenté biologique,  le pont entre ses deux entités. 

L’option militaire à tout prix

Face à cette nouvelle donne, la réaction du pouvoir a été dès les premiers moments, la répression brutale. Ainsi les 19 et 20 août, les manifestations du PNP ont été sauvagement réprimées sur l’ensemble du territoire. Depuis,  la stratégie du gouvernement est demeurée la  même : la répression à tout prix, qui se situe à trois niveaux.  

Tout d’abord, le premier niveau est le musellement des cadres  Tems d’UNIR qui gardent un silence coupable devant le malheur qui s’abat sur leurs propres parents. Il nous a été rapporté, par exemple, que l’un des  ex-gardes du corps du général  Seyi Mémène, un vieillard de près de 80 ans a été arrêté dans le cadre de l’affaire Taïga, celle dite de la filière djihadiste proche du PNP. Le général s’est emmuré dans un silence sépulcral. Aujourd’hui plus de 300 personnes sont arrêtées, mais il nous a été rapporté que des arrestations continuent, surtout après le 23 novembre 2019. 20 militaires à la retraite seraient dans les mailles des services de renseignement.

En tout cas, le régime a réussi à imposer l’omerta. Le pouvoir est aux aguets contre toute tentative de dénonciation de la part des cadres d’UNIR ressortissants de la zone, nous confie un fonctionnaire à Sokode. « D’après les aînés, le système est très frileux contre toute initiative d’unicité d’action des tems. Tous les leaders depuis les années universitaires qui ont défendu cette cause ont payé de leur cursus ou de leur carrière», ajoute un autre cadre de la région.

Ensuite, le second volet est d’ordre économique: il s’agit d’assécher les sources de revenus supposées du PNP.  Ainsi, les producteurs de la noix de cajou de la région centrale (principale zone de production) en bavent depuis deux ans avec la chute vertigineuse des prix. En 2017, le prix du kilo d’anacarde était de 900 à 950 F. Depuis 2018, le gouvernement se serait substitué aux acheteurs turcs et libanais, le kilo est passé alors en 2019 à 250 F, portant ainsi un sévère coup aux  producteurs.

Enfin, le dernier volet reste l’option militaire à laquelle le gouvernement ou les responsables de l’Etat-major de l’armée vouent un attachement apparemment sans limite.  Car, à propos  de la situation dans la région centrale, il est difficile de savoir qui des politiques ou des militaires mènent la politique de répression. Vu le déploiement militaire sur le terrain et les moyens mis en œuvre,  il est clair que Faure Gnassingbe ne cherche plus à apporter  au problème du PNP une réponse politique mais bien militaire.  

Et comme chaque répression redouble la détermination des populations, de plus en plus  ragaillardies dans leur prévention contre le pouvoir, l’escalade sur le terrain est à redouter. L’armée togolaise, cette armée post-coloniale, une armée toute française, dirait un conseiller de l’ambassade des Etats-Unis, entre ouvertement dans une guerre contre-révolutionnaire contre son propre peuple. Contre des populations qui manifestent les mains nues.

La répression se divise en trois parties. Une première remonte d’août 2017 à octobre 2017, elle correspond aux premières manifestations du PNP et à la constitution de la Coalition des 14. La seconde partie coïncide avec l’arrestation de l’imam Alfa de Sokodé et son homologue de Bafilo, le sac de la gendarmerie, de l’UTB et de Togotélécom, l’affaire de la décapitation des gardes du corps du général Ouro-Koura Agadazi. La troisième partie remonte à l’affaire Taïga, dite de la filière djihadiste proche du PNP, où la répression est passée à une étape supérieure.

A suivre.


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A propos Komi Dovlovi 1148 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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