Ce 18 et 19 octobre, l’ANC va tenir un congrès ordinaire au cours duquel il sera question de la présidentielle 2020. Et, il est plus que probable que Jean-Pierre Fabre, 67 ans, déjà candidat en 2010 et 2015, mettra un point d’honneur à être le challenger de Faure Gnassingbe. Ce sera alors la troisième participation à une compétition de ce genre, ou il «tente[ra] de jauger [sa] légitimité » comme il le soutient sans ambages au cours d’un entretien hallucinogène accordé à www.republicoftogo.com.
Cette tentative parait quelque peu de trop à un animateur de Radio Victoire FM qui le reçut au cours d’une matinale. Jean-Pierre Fabre brandit alors le parcours politique de Jacques Chirac et ses doubles échecs face à Mitterrand comme d’un modèle hautement inspirant. A en croire le tombeur de Gilchrist Olympio, l’échec ne doit nullement signifier la fin de la vie politique ; qu’à cela ne tienne, tant qu’il faut y aller il faut y aller. Etre candidat à la présidentielle, est «un devoir», dit-il au site officiel du parti au pouvoir. L’évocation de l’impératif du devoir le fait alors passer pour un soldat, le libérateur en puissance du peuple.
Mais le soldat ayant déjà perdu plusieurs guerres a-t-il au moins conscience de la lutte qu’il mène ? On peut en douter. Des péripéties de son parcours et des anecdotes dressent plutôt le portrait d’un opposant arrivé au-devant de la scène par un concours de circonstances et qui, dans un dénuement structurel, dépouillé de toute stratégie, est resté dans la quête de l’opposition pour l’opposition, et n’a pour ainsi aucun plan pour parvenir au pouvoir.
Il faut marcher au lieu d’intellectualiser
Les évènements avant, pendant, et après la présidentielle de 2015 rajoutent au portrait précédent celui d’un homme politique sans repère et surtout sans psychologie. Non seulement, sa participation dans des circonstances obscures au scrutin malgré l’avis défavorable de la mission d’expertise de l’OIF, paraissait étrange, mais son attitude de soumission aux présidents Ouattara et Mahama, montrait qu’il n’était pas du tout à la hauteur de la haute fonction à laquelle il prétendait et qu’il n’était pas préparé à affronter l’adversité. C’est la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.
Le 19 août 2017, coup de tonnerre dans le serein ciel politique togolais. Sous l’impulsion d’un petit parti, le PNP, et de son leader Tikpi Atchadam, le Togo rappelle au monde entier, qui a tendance à l’oublier, la dictature abjecte des Gnassingbe. Une camarilla militaro-civile tient les rênes du pays depuis cinquante ans par la mainmise sur l’Etat et les ressources grâce à la force, la ruse, la fraude, et surtout l’appui non négligeable de la France, l’ancienne puissance colonisatrice dont la présence est à peine visible mais qui, tapie en filigrane derrière les Forces armées togolaises, tire les ficelles.
L’onde de choc tellurique réveille une opposition léthargique depuis sa participation à la présidentielle 2015. Face à la répression sauvage, le PNP, ravagé par un affrontement qui le dépasse, en appelle à Jean-Pierre Fabre et au reste de l’opposition pour régler le problème togolais.
Jean-Pierre Fabre, qui a été de tous les combats ces 29 dernières années, a-t-il compris la nouvelle donne ? Car l’émergence du PNP sur la scène, une éventualité qui n’a pas été prévue par les instances de l’ANC, constitue une brèche profonde dans la stratégie ethno-régionaliste du régime. L’épouvantail voire le mythe d’une guerre civile larvée entre un Sud monolithique et un bloc nordique alibi de la dictature venait de voler en éclats et sans possibilité de rémission sur le court terme. Un tel camouflet au pouvoir réussi, ne resterait à régler que les questions de l’armée et de ses supplétifs civils ainsi que des intérêts étrangers.
Quelle a été alors la réponse de Jean-Pierre Fabre à ces interrogations et quelle a été surtout sa solution à l’émergence du PNP ?
Forfanterie et logique partisane. A la première manifestation de la C14 dont le maître mot est pourtant le nettoyage du cadre électoral, Jean-Pierre Fabre prend tout le monde de court en exigeant la démission sans condition de Faure Gnassingbe. Simple effet d’annonce ou hâblerie de politicien ? Toujours est-il que cette exigence de démission immédiate de Faure brouilla la stratégie de la C14, s’il y en avait une. La sortie de JPF paraît surprenante d’autant plus que l’organisation de la première manifestation le 6 septembre 2017 montre au grand jour les divisions de l’opposition.
Jean-Pierre Fabre : « Je vais prier »
Quelle est la stratégie de Jean-Pierre Fabre pour démissionner Faure Gnassingbe ? Une anecdote rapportée par un membre de la C14 montre le dénuement structurel dans lequel se trouvait le chef de l’opposition face à la nouvelle donne. Quand la question de la stratégie de la rue se posa, et reçue quasiment à l’unanimité, un leader demanda à savoir les solutions envisagées en cas de répression ou d’arrestation des sympathisants. «Ah ! Vous intellectualisez trop ! C’est la marche qui fait la chose», répondit le chef de file de l’opposition.
L’absence de réactivité de l’opposition face à la répression et aux arrestations, l’absence de communication voire la métacommunication des cas flagrants de graves violations des droits de l’homme, témoignent du vide, de l’impréparation de la C14 et surtout du chef de file de l’opposition. La stratégie, grosso modo relève de la rationalité, d’un faisceau d’intérêts bien compris, de mise en œuvre des moyens dont on dispose ou que l’on peut envisager pour parvenir à un objectif précis. Quelle est la stratégie de l’opposition après le 19 août ?
Une anecdote confirme la perte d’orientation du chef de l’opposition. Alors que la mobilisation est à son plus fort, que les chancelleries croient à un vacillement du régime possible, une délégation de la Commission interparlementaire (CIP) de l’UEMOA rencontre les députés de l’opposition le 10 octobre en vue de savoir quel serait le projet du chef de file en cas de départ de Faure Gnassingbe. Le dialogue suivant rapporté par un témoin –fiable- est d’anthologie :
- Que feriez-vous si Faure Gnassingbe s’en va ? demande un député du Niger.
- Je vais commander une messe, répond Fabre.
- Oui, je sais c’est normal en de telles circonstances, avance le député interloqué. Mais concrètement que feriez-vous en cas de démission de Faure.
- Je vais prier.
Dans le rapport entre religion et politique au Togo, le recours au religieux par les politiques de tous bords est certes présent, mais chez Fabre il prend une toute autre dimension. Le président national de l’ANC fait la politique comme il va au culte méthodiste. La lutte pour le changement est remise dans les mains du Dieu des Chrétiens ; d’ailleurs le changement relève d’une prophétie.
« Ce changement est une prophétie dont le temps est déjà fixé, /Elle marche vers son terme, et elle ne mentira/Si elle tarde, attends-la, car elle s’accomplira,/ Elle s’accomplira certainement», lit-on en bandeau sur le site de l’ANC. Le symbole du parti, un art figuratif d’un réalisme tout soviétique montre deux mains liées par une chaîne qui a visiblement sauté à la lumière d’une bougie. C’est donc la foi qui sauve, c’est par elle que le Togo connaîtra la rédemption.
Le jour où la C14 rata le coche
A priori, l’épisode de la rencontre avec la Commission interparlementaire de l’UEMOA montre que Jean-Pierre Fabre n’est pas prêt à prendre le pouvoir ni à le gérer. L’UEMOA est un instrument de la France, et le maître du jeu au Togo voudrait savoir comment lui, Jean-Pierre Fabre, probablement prochain président, entendait résoudre la crise. Parce que cette crise est à la fois complexe et simple et commande donc une solution qui demande beaucoup de hauteur, une solution qui va au-delà de la simple stratégie de la rue ou de la simple « révolution électorale ». Nathaniel Olympio, du Parti des Togolais, dira plus tard au cours d’une interview que l’histoire de l’opposition se résume à une réaction au pouvoir et qu’il serait temps de faire une proposition, celle d’une alternative crédible.
En réalité, la C14 venait de rater un coche ce 10 octobre 2017 toutes chances de faire basculer la situation, et perdra toute crédibilité avec la visite au Quai d’Orsay le 21 novembre 2017. La suite vaine des marches n’aura été le résultat de cette absence de stratégie.
Jean-Pierre Fabre est-il toujours sorti de sa confusion ? Il faut croire que non. Sa déconvenue prévisible aux élections locales, les bisbilles avec le pouvoir quant aux compétences des communes, et son énième appel au dialogue sont les marqueurs de ce pilotage à vue. Le tableau est sombre.
Certes, tout comme Gilchrist Olympio, JPF a souffert des inimitiés au sein de l’opposition, comme par exemple l’attitude contreproductive de Yawovi Agboyibo du CAR, qui a mené campagne contre lui en 2015 dans le pays ouatchi. Mais n’est-ce pas de la responsabilité d’un grand leader de savoir aussi rassembler et de trouver une stratégie gagnante ?
Ce 19 octobre, M. Fabre sera sans coup férir candidat de l’ANC à la présidentielle 2020. Mais a-t-il les moyens de l’emporter ? Peut-il échapper à l’histoire de ces prédécesseurs, l’incroyable lignée des opposants, originaires du Sud du Togo, qui ont tous échoué à apporter le changement ?
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