Les faits tels qu’ils sont rapportés sont troublants et font froid dans le dos. Dimanche 29 juillet, le directeur général de la police nationale annonce que le GIGN a abattu deux malfrats à Kangnikope, un quartier de la zone portuaire.
Le lendemain, selon les allégations des proches, les malfrats présumés ont en réalité été arrêtés à leurs domiciles, menottés, et conduits vers une destination inconnue par des individus qui seraient des éléments des forces de l’ordre.
Le 30 juillet, une organisation de la société civile, le Mouvement Martin Luther King (MMLK) après visite auprès des familles dans le village d’Akato-Démè, où les présumés malfrats sont originaires et ont été enlevés, corroborent la déclaration des proches.
Il s’agirait selon toute vraisemblance d’une exécution extrajudiciaire. Les présumés malfrats arrêtés et menottés sont-ils des James Bond pour se défaire de la police et aller opérer la même nuit? Le directeur général de la police nationale, le lieutenant-colonel Yaovi Okpaoul, est-il au courant de ces éléments nouveaux ? Mystère.
Silence sépulcral des oppositions
Dans un pays normal, un tel scandale susciterait un tollé. La presse devrait s’en emparer, l’opposition interpeller le gouvernement, et le ministre de la sécurité s’expliquer devant l’opinion publique.
Et pourtant, assourdissant silence. Ni la presse – à part quelques organes de presse écrite et les réseaux sociaux, ni l’opposition, ni le gouvernement n’évoquent le sujet.
Et pourtant, il y a de fortes présomptions qu’il s’agisse bel et bien de morts suspectes voire d’exécutions sommaires entreprises par des hommes disposant de l’autorité publique (?) ou se faisant passer pour. Comment comprendre alors ce grand silence ?
Il faut d’abord rappeler que cette tuerie de Kangnikopé intervient dans un contexte d’effective insécurité depuis quelques mois dans la capitale Lomé alors qu’on évoque une menace djihadiste au nord du pays.
Plusieurs braquages ont lieu à Lomé et dans ses environs, avec vols de plusieurs millions. La capitale vit dans la hantise des braquages alors que le ministère de la Sécurité et de la Protection civile fait montre d’une incapacité monstre à juguler le phénomène. Pourtant, le pays entrera à très brève échéance dans une période électorale…
Le silence de l’opposition quant à la tuerie de Kangnikopé et l’état d’insécurité générale reste pour le moins troublant. Divisée et laminée aux élections locales, sortie très affaiblie de cette confrontation, l’opposition a-t-elle peur de dénoncer les institutions piliers comme l’armée et la police ? Essaie-t-elle d’être mieux disposée à leur égard au cas où ?
Le cas des OSC reste pour le moins suspect. Lomé seule en compte un certain nombre, mais toutes demeurent taiseuses depuis lundi, alors que la version du lieutenant-colonel Yaovi Okpaoul est sérieusement ébranlée. Comment expliquer la gêne d’intervenir en faveur des droits de l’homme au Togo? Après le passage en prison de certains activistes des droits de l’homme, les OSC ont elles peur de s’illustrer ? Sont-elles réellement outillées pour travailler avec efficacité ?
Illustration de cet état d’esprit : le communiqué du MMLK. Après avoir annoncé de façon tonitruante sur les réseaux sociaux que son mouvement allait faire des enquêtes, le MMLK produit un communiqué dans lequel il lance un appel à la CNDH pour s’autosaisir de cette affaire. Absurde.
Ça date un peu la perte de son autonomie par la CNDH, en tout cas les ressources tant humaines que financières ne lui permettent pas de remplir totalement sa mission. On aurait souhaité que le MMLK produise un rapport plus circonstancié et fouillé et non faire cet effet d’annonce.
Les parents de Mlatawo Dekpo sont perdus
Mlatawo Dekpo et Kofi, alias Cimetière, sont deux jeunes Togolais ordinaires, les mêmes qu’on croise tous les jours. Ils viennent de familles très pauvres, résidant dans des habitations de fortunes. Ils ont 25 ans et sont en apprentissage. Mlatawo Dekpo devait devenir peintre staffeur ; une photo le montre en plein travail. Il était certainement un staffeur doué, qui a appris sur le tas, dans ce pays où les écoles de formation professionnelle font défaut. Mlatawo Dekpo était l’avenir de ses parents. Car, dans nos contrées sans sécurité sociale, où la plupart des personnes âgées n’ont quasiment aucune ressource, ce sont les enfants qui prennent en charge leurs parents. C’est la dette que l’on doit à ceux qui nous donnent la vie.
Maintenant, les parents de Mlatawo ont perdu leur avenir en perdant leur enfant. Aussi sont-ils perdus, fichus à jamais.
C’est ainsi qu’on ruine l’avenir d’un pays. C’est ainsi qu’on a ruiné toute une famille en exécutant par balle un enfant de 12 ans à Agoé, le 8 décembre 2018. Un apprenti mécanicien.
L’article 10 de la Constitution de la République togolaise proclame le caractère sacré de la vie humaine. « Tout être humain porte en lui des droits inaliénables et imprescriptibles. La sauvegarde de ces droits est la finalité de toute communauté humaine. L’Etat a l’obligation de les respecter, de les garantir et de les protéger. »
De même, l’article 13 stipule que « l’Etat a l’obligation de garantir l’intégrité physique et mentale, la vie et la sécurité de toute personne humaine vivant sur le territoire national. Nul ne peut être arbitrairement privé ni de sa liberté ni de sa vie. »
La communauté doit rendre justice à Mlatawo Dekpo et Kofi, alias Cimétière.
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