Radjoul Mouhamadou est journaliste et essayiste togolais ; actuellement étudiant en master en relations internationales au Canada. Ses interventions sur les soubresauts démocratiques au Togo apportent une fraîcheur et une vision décalée, précieux adjuvants pour les politiques aux prises avec le pouvoir togolais. Fondant ses analyses sur la sociologie et les sciences politiques, Radjoul Mouhamadou est auteur de Pour (vraiment) conclure la lutte (Editions Ago, 2018), un livre indispensable à la recherche thérapeutique à l’empire mortifère de la junte militaro-civile sur la destinée des Togolais. Radjoul est également l’initiateur du site
https://modoperandi.org/ dont l’objectif avoué est de rassembler les apports des intellectuels togolais pour sortir de la grande nuit en 2020. Lire plutôt.
Un atterrant sentiment de déjà-vu. La mort d’un homme est toujours un drame. Il est d’autant plus redoublé, quand celle-ci intervient injustement sous les coups lâches d’une armée populicide. Malgré l’amoncellement de victimes dans le sillage des manifestations politiques, on ne s’y habituera jamais. Chaque mort de plus est une mort de trop. Par-delà la psychose, il faut essayer de penser sans faux-fuyants ce qu’il s’est joué ce 13 avril 2018 au Togo. Cette entreprise, visant à articuler une pensée complexe, doit se déprendre des rets du psychologisme et du moralisme. Ces deux dernières perspectives sont intéressantes mais pauvres. La psychologisation consiste à réduire toute analyse politique à la manifestation réelle ou supposée d’émotions du type « peur », « nervosité », « courage » ou « cruauté », etc. Il existe une politique de l’émotion, il y a des émotions en politique ; mais la politique n’est pas réductible aux états d’âme de ses acteurs. La posture moralisante, quant à elle, est incarnée par l’approche normative défendue par les défenseurs de droit de l’homme. Ordinairement, elle revient à tracer des lignes rouges à ne pas franchir et à résumer les enjeux politiques aux questions de respect des droits fondamentaux et d’écarts par rapport aux standards internationaux. Une fois débarrassés de cette double gangue, il nous faut tenter de dévoiler les véritables intentions du régime et le moteur de ses (ré)actions relativement au Parti national panafricain (PNP). Que se noue-t-il dans l’interaction entre ces deux entités ? Par-delà les schématismes, quelles véritables marges de manœuvre pour le PNP ?
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Seul parti politique à tenir encore debout dans le champ de ruines causé par la crise de déconstruction de la coalition des quatorze, il trépignait d’impatience de retourner dans l’arène depuis le naufrage électoral du 20 décembre 2018. Ce 13 avril aurait dû sacrer le PNP et son leader Tikpi Atchadam comme nouveau centre de gravité de l’opposition togolaise. En effet, le retour manqué de François Esso-Boko a levé une hypothèque qui pesait sur la nouvelle phase de la lutte qui peine à démarrer. L’exilé politique de 2005 écarté, le leader du PNP s’est d’emblée placé en position de surplomb vis-à-vis des autres leaders de l’opposition – dont Jean Pierre Fabre fortement démonétisé- empêtrés dans l’affaire du cadeau empoisonné de 30 millions de francs CFA. Par ailleurs, sa harangue habituelle de veille de jour de marche [discours de Tikpi Atchadam à la veille de chaque manifestation, ndlr] ne faisait même pas mention de l’affaire et des turpitudes de ses petits camarades. Dix villes avaient été choisies par l’état-major du PNP pour une déflagration doublement plus puissante que celle du 19 août 2017. Tout était prêt pour lancer tambour battant une saison 2 du mouvement de contestation populaire. L’objectif poursuivi était simple : installer un duel au sommet entre le leader du PNP et le régime de Faure Gnassingbé. Combien de fois avons-nous entendu cette antienne : ” l’unicité d’action” était une farce, il faut confier les clefs de la lutte au seul Tikpi Atchadam pour que la révolution advienne ? Ce scénario a volé en éclats face à l’obstruction administrative du ministre Boukpessi et à la brutalité du système sécurocrate togolais qui a étouffé les marches, même dans les trois villes où elles ont été finalement autorisées.
Parce qu’une approche émotionnelle ou normative serait insuffisante pour motiver les raisons d’agir du régime togolais, il faut porter le regard au-delà. Commençons par dégager trois petites leçons de cette journée.
Premier enseignement : Le paria de la République
Tout porte à croire que le pouvoir togolais se refuse de voir en Tikpi Atchadam un adversaire légitime et un éventuel interlocuteur. Les accents anti-électoraux et les accès révolutionnaires, inscrivant ce parti en dehors des sentiers institutionnels, ne sont pas étrangers à ce traitement de faveur. Le gouvernement, par un étrange paradoxe, traite policièrement toutes les initiatives politiques unilatérales du PNP. Il en est ainsi depuis le 19 août 2017. Le pouvoir togolais tente intentionnellement de dépolitiser le discours de ce leader en dénonçant tantôt sa véhémence, son tribalisme et son ton implicitement violent, tantôt ses accointances terroristes. Il est clair que dans l’esprit du gouvernement togolais, les discours enflammés et les stratégies politiques ouvertement contre-institutionnelles délégitiment et excluent ce parti du jeu normal de la politique togolaise. Tikpi Atchadam est un paria aux yeux des autorités du pays. Et pour cause, tout ce qui concerne le PNP relève de la sécurité nationale et est traité comme tel. Cela explique pourquoi le régime ne lui répond que dans la langue de la force, quand il lui parle le langage de la rue. Arbitraire de la loi et loi de la force. Que faire ? Tikpi Atchadam et son parti doivent reconsidérer leurs stratégies.
Deuxième enseignement : Limites de la stratégie insurrectionnelle
Bien que privilégiée par le leader du PNP, l’insurrection populaire aura beaucoup de mal à prospérer dans un tel contexte répressif. L’histoire, nous le savons tous, ne se répète pas. Elle bégaie. Sans le concours de soutiens au sein même de l’armée, la rue sera toujours étouffée par le dispositif de répression policière. Le gouvernement togolais n’a pas hésité à placer trois villes du Nord en état de siège. L’armée togolaise ne retient pas ses coups, quand elle reçoit l’ordre de soumettre des quartiers ou des villes entières à exécution militaire. On ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif. Tout semble indiquer que le point de rupture, s’il existe, de cette armée n’est pas encore atteint. En conséquence, les mots seuls sont impuissants à accomplir une révolution. Tikpi Atchadam doit sortir de sa lecture formaliste de la politique et cesser de professer des slogans comme : « le peuple doit prendre ses responsabilités ». Il ne suffira pas de mettre sept millions de Togolais dans les rues pour que le régime de Faure Gnassingbé s’écroule. De plus, le peuple togolais est assez mature pour prendre tout seul son destin en main, sans qu’il ne soit besoin qu’un leader politique ne l’y incite.
Troisième enseignement : La stratégie du cavalier seul
Faire cavalier seul ne réussira pas à un parti auquel le régime réserve toujours un traitement de paria de la République. Dans la configuration actuelle, le parti de Tikpi Atchadam aurait tout a gagné en réinscrivant son action dans une démarche collective. La seule façon de s’extraire du marteau répressif et de l’enclume administrative revient, pour lui, à inscrire ses actions dans le cadre d’un rassemblement partidaire. Disons-le clairement, le PNP et son leader ne peuvent pas à eux seuls conclure la lutte. Toute la bonne volonté du monde ne suffira pas. L’union, n’est pas que combats, confusions et divisions. Il faut rappeler que le cadre de la C14, malgré ses défauts, avait permis au PNP de faire valoir ses idées et de peser de façon tangible sur la contestation populaire en 2018. Autre piqûre de rappel. Avant le départ en exil de Tikpi Atchadam, la caution des autres leaders de l’opposition avait légitimé son combat, l’avait blanchi des accusations de terrorisme et avait desserré l’étau politico-judiciaire sur sa personne. L’union, c’est également de la solidarité, des victoires et des torts partagés. Mais avec qui ? Dans quel cadre ? En quels termes ?
Comment faire tomber un régime quand on mène seule depuis son exil une lutte dont le vecteur est un parti-paria ? C’est la quadrature du cercle à laquelle est confrontée Tikpi Atchadam. Il doit amender sa stratégie pour ne pas sacrifier sa cause sur l’autel du dogmatisme révolutionnaire. Le risque est de ruiner un combat légitime, en le menant avec de mauvaises armes.
Radjoul Mouhamadou, écrivain.
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