Togo : Par-delà la C14, quelle alternative pour l’opposition avec la présidentielle 2020 ?

"Voyage chaotique", tableau du célèbre peintre et artiste engagé togolais Sokey Edorh

Alors que le régime de Faure Gnassingbé tourne en rond sur le calendrier de mise en œuvre des réformes préconisées par la feuille de route de la CEDEAO, l’opposition est dans une situation de déconfiture. L’Alliance Nationale pour le Changement, parti de l’ancien chef de file de l’opposition est sortie de la C14 et fait cavalier seul. Le Parti National Panafricain, artisan de la tentative de soulèvement populaire du 19 août 2017 se lance en solo dans de nouvelles manifestations publiques. Avec le retour en exil empêché de Me François Boko, on se demande sous quel auspice se présenterait la participation des forces de l’opposition dans le processus de la présidentielle de 2020.

Certains continuent à parler de la C14, alors que les deux principaux partis qui en ont été la locomotive ont plus ou moins jeté l’ancre. Si l’ANC l’a fait formellement, le PNP se contente de briller par son absence aux réunions du regroupement. Un des partis les plus visibles a également quitté : le Partis des Togolais de Nathanaël Olympio, comme le CAR qui en boudant le conclave de février semble avoir formalisé la séparation. Même si l’on peut admettre qu’il reste encore quelque chose de cette C14, il est clair que la coalition n’est plus représentative de l’opposition et ne peut espérer de faire le poids, face au parti UNIR et à ses alliés de circonstance au sein de l’assemblée nationale qualifiée par certains esprits avisés d’assemblée « marionnette ».

La guerre de position

Des partis de l’opposition n’ont pas fait que quitter la coalition : ils se font sans se l’avouer une quasi guerre de position. Il suffit de lire les diatribes auxquelles se livrent les militants de l’ANC avec ceux du PNP, par réseaux sociaux interposés, pour comprendre les enjeux de cette lutte de leadership. Jean-Pierre Fabre s’inscrit ouvertement dans la perspective de la présidentielle 2020, dont certains de ses proches ont affirmé qu’il constitue un « candidat naturel ». Du côté du PNP, on joue à la roulette russe : le parti appelle à manifester dans plusieurs villes du Togo et dans quelques pays de la diaspora togolaise dans le monde. Le but de ce réveil ne fait pas de doute : faire une démonstration de force pour montrer qu’on est le parti le plus populaire et celui qui le mieux incarne les exigences de changements que porte « le peuple ». En faisant ainsi il joue sur les terrains de l’ANC, comme ce parti avait hérité la pratique de son aïeule l’UFC. Le PNP ne veut pas entendre parler d’élection et ne mise que par la « voie populaire » pour solder les comptes de la lutte.

Là où le PNP voit juste par contre, c’est l’engagement contre le quatrième mandat de Faure Gnassingbé. Voilà un sujet fort de mobilisation qui peut rassemblement largement dans l’opposition et la société civile. Mais encore faut-il avoir le bon timing pour cela.

D’autres partis sur le terrain vont à leur rythme, avec des activités sur le terrain dont l’essentiel semble destiné plus à marquer leur présence qu’à autre chose. Mais on aurait tort de résumer l’opposition politique togolaise d’aujourd’hui à ce dualisme ANC-PNP, avec dans la périphérie les « petits partis ». La réalité est plus poignante : l’opposition actuelle est sans repère et ne semble pas avoir de vision claire quant aux enjeux politiques imminents.

Quand l’union ne fait plus la force

L’unité d’action a été en 2017 le socle de la formation de la C14. Aujourd’hui, les divergences entre ces partis sont profondes. Et on les voit mal se rassembler avec les mêmes mots d’ordre, à l’instar de ceux qui les avait mobilisés il y a moins de deux ans. Il y a des objectifs précis par rapport auxquels le jeu politique des adversaires du régime n’est pas pour le moment lisible. Il en ainsi surtout avec les élections locales qu’on dit imminentes, et de la présidentielle de 2020 qui était reconnue depuis longtemps comme une échéance majeure.

Au-delà des raisons évoquées par certains qui seraient à l’origine de la désunion, les antagonismes prennent plutôt leur source dans le fait que les partis politiques ayant agi ensemble dans les manifestations publiques ne sont pas parvenus à convenir d’un cadre commun de gestion des élections. Sur ce point, c’est plutôt la position du PNP qui semble avoir dominé, du moins jusqu’aux élections législatives du 20 décembre. Certains partisans des autres partis politiques n’hésitent plus à accuser ce parti de leur avoir fait perdre la position qu’ils occupaient au sein de l’Assemblée nationale précédente.

Un dernier acte qui a plus ou moins confirmé le divorce au sein de la C14 concerne le renouvellement de la CENI. ADDI du professeur Gogué et le CAR de Me Agboyigbo ont pu faire envoyer des représentants à la Commission électorale. Ces deux partis ainsi que d’autres ont été assez habiles en ayant compris que la CENI ne sera plus renouvelée avant la présidentielle 2020. Ils ont misé aussi sur une possible participation de leurs militants aux prochaines élections locales en tant que candidats, sans oublier que d’ici là le fichier électoral sera reconstitué et qu’ils vont devoir corriger « l’erreur » de 2018 en demandant à leurs partisans d’aller se faire inscrire.

2020 : une échéance mal appréhendée par certains opposants

A part les partis populaires (ou populistes) qui ne voient le changement qu’au travers d’un soulèvement des populations acquises au changement, les autres adversaires du régime ont du mal à agir suivant une tactique bien ficelée. Tel est le cas de l’ANC qui, après avoir perdu ses sièges à l’Assemblée nationale et n’ayant pu faire installer ses cadres à la CENI passée a décidé de ne point présenter de candidat pour la nouvelle CENI. Or ce parti ne peut plus miser que sur la présidentielle de 2020 et peut-être avant cela par les élections locales pour essayer de rebondir. La position radicale qu’elle a adoptée après le conclave de la C14 (à 9 partis) en février 2019 semble avoir été dictée par celle du PNP qui ne jurait que par les réformes.

Dans les prochaines semaines, on sera peut-être fixé sur les modifications constitutionnelles qu’adoptera le régime UNIR. Même s’il ne fait plus de doute sur l’ambition de Faure Gnassingbé de briguer un nouveau mandat, il est clair que c’est sur ces deux aspects des enjeux politiques que l’opposition aurait dû inscrire sa stratégie de lutte.

Sous un autre angle, les forces démocratiques incluant les organisations citoyennes et ceux de la diaspora au côté des partis politiques, on voit mal sous quelle forme la nouvelle dynamique pourrait agir avec un minimum de cohérence. Déjà le retour raté cette semaine de l’avocat et ancien ministre de l’intérieur François Boko et la mollesse des réactions des partis de l’opposition prouve que rien n’est gagné. A la dislocation de la C14 s’ajoute une ambiguïté diffuse qui ne fera que compliquer les donnes, à l’approche de l’échéance décisive de 2020 : celle que certains ont prédit qu’elles devraient être porteuse de l’alternance politique au Togo.

Joséphine Bawa  & K. Agboglati


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A propos Joséphine Bawa 55 Articles
Responsable Desk politique et Afrique Joséphine Bawa capitalise 17 ans d'expérience en matière de communication et journalisme. Diplômée de Wit University (Johannesbrg, South Africa) elle a collaboré avec diverses agences de presse internationales dont AP, Reuters. Josephine dirige le desk politique de la Rédaction du journal Le Temps. Joséphine est également consultante auprès de plusieurs cabinets en Afrique et en Amérique du Nord.

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