Nous vous proposons la tribune de Dany K. Ayida, publiée ce jour dans les colonnes du quotidien togolais Liberté. Dany Ayida est un acteur engagé pour le changement démocratique au Togo. Il est membre du mouvement politique Notre Togo. Bonne lecture
Les discussions politiques dont la phase préliminaire a démarré à Lomé le 14 Novembre, sous la facilitation des autorités du Ghana ne peuvent laisser personne indifférent. Beaucoup de Togolais acquis au changement expriment des inquiétudes quant à la tenue et à l’aboutissement possible d’un énième dialogue entre le pouvoir RPT-UNIR et les forces démocratiques de l’opposition. La réalité est que la crise en est arrivée à un point où des discussions s’imposaient, indépendamment des motifs de la discorde et des positions défendues par les deux camps. Après des tergiversations constatées çà et là, le Président Nana Akuffo Addo a fini par trouver une porte d’entrée. Mais pour le médiateur ( ?) autant que pour les protagonistes, les discussions qui commencent s’annoncent des plus difficiles. Comme les partisans de l’opposition l’ont démontré depuis 3 mois, il ne serait plus question de faire semblant et laisser le régime de dictature prospérer au Togo sous des atours d’une démocratie compradore. Au regard des enjeux cependant et des positions défendues de part et d’autre, les chances d’un hypothétique compromis sont proches de zéro.
Partir d’un état des lieux sans complaisance
Les questions qui opposent les Togolais concernent la nature et l’étendue des réformes politiques à opérer. Pour le régime en place qui a lésiné à faire ces changements de son gré depuis…2006 (Accord politique global), il ne s’agit que de modifier quelques textes constitutionnels (ou adopter une nouvelle loi fondamentale) remettre le président en poste en ordre de marche et le tour serait joué ! Mais pour les adversaires du régime représentés par la coalition des 14 partis de l’opposition, il faut ramener la République Togolaise dans les conditions du départ qui avait été pris après la conférence nationale, en redonnant au peuple la constitution qu’il s’est octroyée en 1992. En sus, l’opposition revendique, à bon droit, le vote des Togolais de l’étranger.
Les divergences entre le gouvernement et l’opposition se sont accumulées au fil des années, avec des jalons de vrais et faux dialogues, de parties de poker menteur voire de roulette russe, où les partisans du changement ont toujours été les grands perdants. Faure Gnassingbé, héritier de son père le général Eyadema, jouissant du soutien de l’armée, n’a jamais accepté de faire droit aux demandes de réformes démocratiques. Les institutions dont il assure la direction depuis 12 années lui donnent satisfaction, suivant les modalités de l’accaparement des pouvoirs entre ses mains. Le régime a compris depuis le milieu des années 90 que toute ouverture sur le plan des élections et de l’indépendance des institutions républicaines pourrait précipiter sa chute.
La crise togolaise ne se rapporte donc point à quelques actes anodins de quelques députés aux ordres, ou encore moins des conclusions d’une commission chargée de proposer des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Elle porte désormais sur la nature de l’Etat en rapport avec l’ambition des Togolais de vivre désormais dans un système politique ouvert, où le pouvoir détenu par le souverain primaire est librement dévolu et contrôlé par des institutions elles-mêmes encadrées par des règles acceptées par la population dans sa diversité.
Qui osera poser les vrais problèmes ?
Il faut espérer que pour une fois, et définitivement, les discussions ne se limitent point à des aspects superficiels de la gouvernance démocratique au Togo. Si les participants au dialogue se contentent des sensibleries habituelles, on assisterait au plus grand scandale politique, en termes de transition démocratique sur le continent africain. La question centrale qui devrait préoccuper les acteurs concernent les conditions politiques de l’alternance démocratique au Togo. La poser revient à exprimer clairement les fondements du système que les Togolais rejettent massivement : il est basé sur une gestion clanique d’un pouvoir dont l’essence n’est pas démocratique. Cette façon de voir les choses pousserait les uns et les autres à parler de la famille Gnassingbé et ses exigences pour arrêter de bloquer l’évolution politique du pays. Elle ouvrirait aussi la voie pour discuter franchement de la place et du rôle des Forces armées en lien avec le jeu politique. Tous ces sujets comportent des éléments d’un lourd passif qu’on ne saurait solder juste en les évoquant.
Engager les débats sur ces points obligerait la classe politique à concevoir des cadres appropriés, faire intervenir certains acteurs particuliers et baliser durablement les engagements qui découleraient des discussions. Il s’agit dès lors d’entrevoir des négociations politiques grandeur nature et non un dialogue avec quelques cases à cocher sur lesquelles on reviendrait à la prochaine irruption.
Pour l’opposition démocratique, un rôle de messager
Le nouveau dialogue, par-delà le médiateur qui l’anime aura un arbitre qui porte le nom sacré de « peuple ». Lorsque certains responsables de l’opposition avaient récemment fait référence au peuple pour prétexter que c’est lui qui dicte la conduite des manifestations, des voix s’étaient élevées pour dénoncer une « fuite de responsabilité ». Mais cette attitude est le meilleur rôle qui revient aux forces de cette opposition démocratique. Même s’il convient de reconnaitre que la masse ne peut décider à la place des dirigeants des partis, il faut aussi admettre que ces derniers dans les conditions actuelles sont sous la pression d’un pays aux dimensions plus variées et plus étendues que certains esprits le perçoivent. Il est un puissant élan de changement qui draine régulièrement au pays et à l’étranger, des millions de Togolais dans la rue. C’est inédit et ce n’est pas rien !
La mobilisation pour le changement au Togo ne peut donc plus se réduire au règlement d’une plateforme revendicative pour le positionnement aux fins de la distribution de quelques cartes politiciennes. Pour une première fois, ce sont les deux parties qui ont dos au mur : d’un côté le pouvoir qui doit redouter la puissance de la mobilisation populaire qui peut le faire tomber; et de l‘autre, l’opposition qui n’a pas droit à l’erreur, parce que jouant son va-tout et n’ayant pour toute arme que la fronde de la rue.
Pour les adversaires du régime Gnassingbé, il n’y a point à redouter que le pouvoir rejette telle ou telle revendication ou réduise telle autre à sa portion congrue. Forts de leur embellie au sein de l’opinion nationale, les responsables de la coalition n’auront pas à craindre qu’un échec des négociations leur soit imputé, parce qu’ils n’auraient pas obtenu l’aval du pouvoir pour les réformes exigées. Le plus grand risque, pour ces opposants, serait de faire un mauvais calcul pour ne pas percevoir la nature réelle de leur mandat. Ils manqueraient à leur devoir s’ils ne tirent pas les leçons du passé et ne profitent pas de la position de force dont ils jouissent actuellement.
Ce sont les pressions populaires qui vont réguler ces discussions politiques, quel que soit le calendrier que l’une des parties ou la médiation internationale pourraient être tentées d’imposer. Échec s’il pourrait en avoir, viendrait plutôt de l’approche de facilitation internationale de ce dialogue intertogolais.
Quelle facilitation et quelle méthode ?
Pour le gouvernement togolais, le dialogue dont le Ghana a accepté d’assurer la médiation est celui qu’il a convoqué. Cette conception est différente de la vision de l’opposition, laquelle n’aurait fait que répondre par courtoisie à l’invitation d’un chef d’Etat étranger qui veut aider à résoudre la crise politique. Le premier écueil des discussions pourrait venir de cette divergence d’approches. Faure Gnassingbé avait déjà pendant les dernières semaines signifié son refus de voir la communauté sous-régionale s’ingérer dans la crise. Il serait favorable à un dialogue direct entre Togolais…
La façon dont la facilitation ghanéenne va circonscrire les discussions prouvera sa capacité à conduire à bien les échanges. Dans un premier temps l’étude qu’elle fera des préalables de l’opposition sera déterminante. Ensuite sa capacité à se détacher des orientations que le régime veut imprimer aux discussions. Le président Nana Akuffo-Addo reconnu pour ses qualités de diplomate devra prouver ce talent en évitant de se laisser instrumentaliser par un pouvoir qui a plus d’un tour dans son sac.
Il est évident qu’à la moindre incartade, l’opposition serait amenée à récuser le médiateur ghanéen. Elle serait aussi tentée de faire appel – comme elle le fit en 1999 – à un collège de facilitateurs ; une façon de garantir l’équidistance de la médiation vis-à-vis des protagonistes.
Somme toute, les discussions politiques qui vont peut-être commencer, plutôt que de marquer un dénouement à la crise politique ne constituent qu’une étape. On comprendra vite comment les parties adverses elles-mêmes cerneront les enjeux et les propositions qu’elles vont formuler pour mettre fin à cette « exception togolaise ».
Dany AYIDA
(Dany Ayida Expert international en gouvernance et démocratie. Il est l’auteur de l’essai ‘’Togo, le prix de la démocratie’’).
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