Attentat de Soudou: Les fantômes de Gilchrist Olympio

Gilchrist Olympio s’est rappelé à travers un simple communiqué l’attentat de Soudou le 5 mai 1992 contre un convoi de l’Union des forces de changement. 

Simple communiqué. Le 5 mai 1992, en plein régime de transition, un convoi de sensibilisation de l’UFC est attaqué à Soudou (Préfecture de l’Assoli) par une escouade des Forces armées togolaises (FAT) commandée par le lieutenant-colonel Ernest Gnassingbé. L’attentat fait plusieurs morts dans les rangs des militants de l’UFC dont Marc Atidepe, vice-président, et Moussa Mama Touré, Ouro Atchankpa Zakari, Sama Tchatchibo Alaza.

Parmi les blessés se trouve Gilchrist Olympio, criblé de balles et sauvé par Marc Atidepe qui aurait couvert son corps. Gilchrist Olympio n’eut la vie sauve que grâce à l’habileté de son chauffeur qui l’a conduit à l’Hôpital de Nattitingou (République du Bénin). Et au  président Félix Houphouët-Boigny, lequel a dépêché un avion médicalisé pour l’acheminer à l’hôpital militaire du Val de Grâce de Paris.

L’événement, vivement ressenti comme un choc dans le pays et particulièrement à Lomé, intervient dans un contexte de restauration militaire du pouvoir  par Eyadema. Après l’avoir humilié, la Conférence nationale souveraine a dépossédé Eyadema de ses pouvoirs, imposé un Premier ministre de transition, et réduit le général à honorer les chrysanthèmes. La revanche du despote et d’une partie de l’armée va être horrible. C’est le début de la terreur.

Cinq mois auparavant, le 5 décembre 1991, le Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh a été attaqué à la Primature. Bilan : 218 morts. Diminué politiquement, c’est tout de même ce premier ministre qui a évité au Togo de sombrer dans le chaos et la guerre civile en appelant  au calme ce  mai  1992 .

Trois mois plus tard, le  23 juillet 1992, un autre opposant Tavio Amorin tombe sous les balles de deux policiers. La liste macabre continue depuis….

Les auteurs de cet attentat et surtout le principal commanditaire, Ernest Gnassingbé, n’ont jamais été inquiété.

Le 5 mai dernier, Gilchrist Olympio, président de l’UFC, se rappelle le 25 ème anniversaire de ce « triste » (sic) événement à travers un communiqué. Un simple communiqué.

« En ce  jour du 5 mai 2017, nous nous souvenons particulièrement du sacrifice  de nos compagnons dont la seule ambition était d’œuvrer pour l’avènement d’un Etat de droit et de la démocratie dans notre pays », selon le communiqué qui réaffirme la  « détermination » et l’« engagement » du parti à œuvrer pour un « Togo meilleur ».

« Cet événement tragique n’a pas estompé notre détermination et notre engagement pour un Togo meilleur. Ce devoir de mémoire nous oblige à une responsabilité, faire aboutir ce combat pour un changement dans la paix, la tolérance, la fraternité », indique le président de l’UFC qui s’incline devant la mémoire de ses compagnons.

Pour la démocratie, les Togolais attendront….

Les fantômes de Gilchrist Olympio

Que dire ? Beaucoup d’eau a coulé sous le pont depuis ce 5 mai 1992. La mort des militants de l’UFC a été vaine. Gilchrist Olympio n’a jamais pu prendre le pouvoir. Sa victoire à la présidentielle de juin 1998 lui a été volée. Exclu deux fois par des artifices juridiques de la course à la présidence, Gilchrist Olympio qui a été blessé dans sa chair, et traîne encore les séquelles de l’attentat de Soudou, est passé avec armes et bagages du côté du pouvoir.

Par un obscur  accord de partage de pouvoir en 2010, le président de l’UFC est passé du statut d’opposant radical à celui d’opposant choisi.  Sans qu’il en ait les attributs, il joue le rôle de chef de file de l’opposition, statut normalement dévolu au premier parti de l’opposition à l’Assemblée nationale. Ce mariage entre les deux fils de, cette union de la carpe et du lapin,  a explosé son parti dont une forte partie est allée créer l’Alliance nationale pour le changement (ANC).

Aujourd’hui, Gilchrist Olympio est seul au monde, jouissant d’une impopularité et un mépris qu’il partagerait peut-être avec Yaovi Agboyibo et Edem Kodjo. Son parti est réduit à deux députés, et il pourrait se retrouver sans député aux prochaines législatives. Peut-être s’est-il refait une santé financière en signant cet accord, mais sa démarche politique est une ruine, un échec lamentable.

Gilchrist Olympio avec Faure Gnassingbe au cours de la visite de président ghanéen Dankwa Akufo-Addo. Il est ici comme chef de file de l’opposition.

C’est donc par un simple communiqué qu’il a commémoré ce tragique événement. Il n’a même pas eu le courage de repartir sur leurs traces à Soudou pour déposer une gerbe de fleur sur les tombes des militants d’Assoli lâchement assassinés ce 5 mai 1992. Ni d’aller fleurir la tombe du docteur Marc Atidepe.

Peut-être pour Gilchrist Olympio, le caduque accord avec Faure Gnassingbé peut -il occulter le devoir de mémoire, effacer les torrents de sang qui irrigent le règne des Gnassingbé de père en fils.  L’hypothétique politique réconciliation engagée par Faure Gnassingbé autorise-t-elle l’oubli ?

L’insoutenable légéreté de Gilchrist Olympio pose donc le problème de la transmission de la mémoire. Comment penser la mémoire ? Comment travailler le passé ? Si les protagonistes d’un passé récent dramatique ont de la peine à l’évoquer, qu’en sera-t-il de la nouvelle génération ? Car le problème du Togo c’est aussi celui de la démographie, une population très jeune qui a tendance à oublier le passé.

A propos de légéreté, il y a quelques années, en parlant de la préfecture d’Assoli au lendemain d’une présidentielle controversée, Gilchrist Olympio disait sur RFI:  “qu’est-ce que j’irais faire dans ce trou” ! Et pourtant, ses compagnons qui ont cru en lui y ont laissé leur vie dans ce trou. Pour un 25ème anniversaire, ne faudrait-il pas aller saluer les familles ? Même pas un geste symbolique ?

“La politique africaine c’est comme la vieillesse. Elle nous réserve des surprises comme Gilchrist Olympio“, chantait le rappeur togolais Elom 2OCe. Il a vu juste.

 Et on n’a pas fini de s’étonner !

 

 


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A propos Komi Dovlovi 1103 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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