Togo: une Réconciliation nationale à la carte

Un dédommagement dérisoire des victimes des violences politiques ordonné par le gouvernement togolais irrite fortement notre contributeur Dany Ayida.

Le cas de l’Afrique du Sud illustre merveilleusement le système d’une justice transitionnelle pour un pays sortant d’un régime despotique. Les ex-opprimés, nouveaux détenteurs du pouvoir à l’issue d’une élection libre, transparente et démocratique offrent, dans le cadre d’une Commission de Vérité et Justice,  leur pardon aux ex-oppresseurs afin de réinitialiser un nouveau vivre-ensemble. C’est le contraire qui se produit au Togo avec une Commission Vérité, Justice et Réconciliation installée par les oppresseurs et violateurs des droits de l’homme, détenteurs du pouvoir politique. Du coup, les Togolais ont le sentiment d’avoir été floués, et abusés une deuxième fois par leurs bourreaux.

Dany Ayida, représentant du National Democratic Institute en RDC analyse les conséquences de ce gros raté de la réconciliation au Togo.   

Le fameux processus de réconciliation nationale au Togo a atteint une phase qui suscite beaucoup d’interrogations. L’Etat de Faure Gnassingbé, comme dans un geste de magnanimité, a décidé de gratifier les victimes des actes de violences intervenues lors de son avènement au pouvoir d’une obole de 2 milliards de francs CFA. Le HCRRUN (Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale) présente cela comme la mise en œuvre de la séquence de réparation, prévue dans les mécanismes de réconciliation nationale. La mesure fait partie en effet des recommandations de la CVJR (Commission Vérité Justice et Réconciliation) mise en place dans le pays en 2009.

Comme on en avait souvent vu sous le père, le fils Gnassingbé tente de ruser dans ce processus, en exécutant à sa manière des opérations qui auraient pu ressouder la cohésion nationale et mettre fin à la violence politique dans le pays.

Un mécanisme de justice transitionnelle

En 2009, c’est bien un mécanisme de justice transitionnelle dans lequel le Togo s’était engagé dans le but de solutionner (durablement) les crimes qui ont jalonné l’histoire du pays. D’après les Nations Unies, une panoplie d’outils permettent de reconstruire une société à la suite de conflit ayant abouti à des violations graves des droits de l’homme. Je rappelle ici les 4 piliers de la justice transitionnelle, pour le confort de mes amis lecteurs et concitoyens du Togo:

  • La vérité: établir et reconnaitre la vérité sur les violations commises, comme premier pas vers le dialogue social et la réconciliation. Les parties au conflit font entendre leurs voix en vue d’obtenir des réponses à leurs questions. La société fait valoir son droit à connaitre la vérité sur les événements passés.
  • La justice: les auteurs de crimes internationaux doivent être identifiés et poursuivis ; comme mesure de reddition de compte et pour éviter que l’impunité ne conduise à la répétition de ces actes dans l’avenir.
  • Les réparations: les victimes sont dédommagées pour les préjudices subis ; sous forme de compensations économiques ou de démarches symboliques, telles que les excuses publiques ou la construction de mémoriaux…
  • Les garanties de non-répétition: basées sur des mécanismes spécifiques pour traiter les causes des violations intervenues ; concrètement il s’agit de réformes institutionnelles qui devront renforcer la responsabilité individuelle, la transparence et l’équité.

Il y a donc lieu de faire le point sur le processus togolais en vue d’en cerner les contours et les conséquences.

Faute de volonté, une marche à pas forcés

S’agissant de la vérité, il faut admettre que les conditions dans lesquelles la CVJR présidée par Mgr Barrigah avait tenu ses travaux n’avaient pas permis à beaucoup de Togolais de s’y impliquer comme cela se devrait. Tel fut le cas de milliers de compatriotes en rupture de confiance avec l’Etat, qu’ils vivent au pays ou à l’étranger. Néanmoins un important travail avait été abattu, pour faire la lumière sur certains événements qui avaient occasionné des séquelles graves au sein de la population. On doit cela à la pugnacité de l’Evêque d’Atakpamé et à l’engagement de son équipe technique, sans oblitérer le rôle important joué par le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Le rapport qui a été dressé non seulement peut servir de référentiel, mais a montré des pistes pour colmater les brèches en créant les conditions de la réconciliation véritable au Togo.

Malgré cela, on ne peut objectivement dire aujourd’hui que les Togolais dans leur ensemble sont au courant des détails de ces événements, les parties prenantes et les responsabilités qui ont été établies. Aussi bien les victimes que les bourreaux sont demeurés d’illustres anonymes, auxquels on se réfère sans pour autant les connaitre, dans le souci de tenter cette expiation collective, soubassement de la recherche de la vérité sur les contentieux du passé.

Les jeux sont faits!

Concernant la justice, on voit clairement que l’Etat togolais ne veut pas en entendre parler : on considère que les crimes en question sont encore frais dans les mémoires, qu’il ne vaille point la peine de faire appel à une juridiction (ni nationale ni internationale) pour juger les personnes mises en cause. Peut-être un choix raisonné mais qui, dans la conscience de beaucoup de concitoyens, consacre l’impunité que plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour décrier.

Les réparations économiques que le HCRRUN et son commanditaire mettent en œuvre apparaissent comme une mesure cosmétique, destinée en quelque sorte à donner bonne conscience au fils. Les dédommagements pécuniaires étant principalement axés sur les violences de 2005 (consécutives à l’élection qui permit à Faure de succéder à son père), on peut aisément comprendre les effets recherchés. Ainsi les vies de plus de 500 morts, telles que cela fut dénombré par l’ONU, valent 2 milliards de francs CFA. HCRRUN prévoit de dédommager pas moins de 7000 victimes… Je vous laisse calculer à combien ces dirigeants estiment la vie d’un citoyen togolais !

C’est sur les garanties de non-répétition que presque rien n’a bougé. Ces mesures incombent principalement (voire exclusivement) aux gouvernants. Le pouvoir après avoir longuement louvoyé a mis en place une commission chargée de proposer des réformes institutionnelles indispensables. Il est fort à craindre que les propositions du groupe d’experts (des juristes en majorité stipendiés par l’Etat UNIR) augmentent les dissensions au sein de la classe politique plutôt que de les résorber. L’accord politique global qui recommandait les réformes politiques a été dénoncé par UNIR. La preuve a été faite que le clan Gnassingbé ne veut entreprendre aucune réforme tant que celle-ci puisse compromettre sa régence sur le Togo.

Sur le pur plan de la justice transitionnelle, il faut comprendre que, au lieu d’entreprendre des réformes qui renforcent la confiance des citoyens dans leurs institutions, on veut créer les bases d’une gouvernance pour préserver les intérêts du régime, auteur des atrocités. Les Togolais attendaient de connaitre des changements substantiels dans les secteurs tels que la défense et la sécurité, l’administration publique, le système électoral, l’éducation, les affaires sociales, etc… en, adéquation avec le rôle ou la place que ces institutions aient pu avoir dans la rupture de la cohésion sociale.

En attendant les prochaines violences

Ce qui ne trompe guère, c’est qu’en faisant écran entre le peuple et ses bourreaux d’hier, l’Etat-UNIR s’érige en un monstre que les partisans du changement politique et de la paix sociale vont devoir affronter !

Ainsi dans notre Togo, c’est une réconciliation à la carte à laquelle on assiste. Pendant 5 années, la plèbe a été roulée dans la farine de maïs : ceux qui voulaient la vérité se sont servis à leur appétit ; les adeptes de la justice en ont eu pour leur naïveté ; les candidats aux réparations auront leurs pécules pour trinquer au nom de leurs parents assassinés. Quant à ceux et celles qui pensaient que les sacrifices incommensurables qui ont été consentis allaient féconder la conscience nationale pour un changement de fond dans la gestion publique, ils peuvent toujours rêver ; en chantant la mélopée des damnés de l’Afrique !

Voilà une nouvelle expression de l’État en faillite, sans repère ni guide. On nous pousse à nous y perdre, et avec, toute espérance d’une société libre et démocratique. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Togo n’est pas à l’abri de nouvelles violences aux séquelles insoupçonnables.


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About Komi Dovlovi 1119 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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