C’était une étape assez attendue, compte tenu de l’histoire de l’Eglise coréenne, fondée par des laïcs… Le samedi 16 août, lors de la messe de béatification de 124 martyrs, à Séoul, le pape a rendu hommage à « la curiosité intellectuelle et la recherche de la vérité religieuse » des lettrés coréens qui furent à l’origine de l’Eglise, parce qu’ils partirent en Chine dans les années 1780 pour s’informer sur le christianisme. « Cette histoire nous en dit long sur l’importance, la dignité et la beauté de la vocation des laïcs ! Les laïcs ont été les premiers apôtres de la Corée.»
Le pape évoque, parlant du martyre, l’un de ses thèmes préférés, celui de la lutte coûteuse contre la mondanité : « Quelque temps après que les premières semences de la foi aient été plantées en cette terre, les martyrs et la communauté chrétienne ont dû choisir entre suivre Jésus ou le monde. Ils avaient entendu l’avertissement du Seigneur, que le monde les haïrait à cause de lui (Jn 17, 14) ; ils savaient le prix d’être disciples. Pour beaucoup cela a signifié la persécution et, plus tard, la fuite dans les montagnes, où ils formèrent des villages catholiques. Ils étaient prêts à de grands sacrifices et à se laisser dépouiller de tout ce qui pouvait les éloigner du Christ : les biens et la terre, le prestige et l’honneur, puisqu’ils savaient que seul le Christ était leur vrai trésor. Aujourd’hui, très souvent, nous faisons l’expérience que notre foi est mise à l’épreuve du monde, et, de multiples manières, il nous est demandé de faire des compromis sur la foi, de diluer les exigences radicales de l’Évangile et de nous conformer à l’esprit du temps. Et cependant les martyrs nous rappellent de mettre le Christ au dessus de tout, et de voir tout le reste en ce monde en relation avec lui et avec son Royaume éternel. Ils nous provoquent à nous demander s’il y quelque chose pour laquelle nous serions prêts à mourir. »
Pour vivre la radicalité évangélique, le pape souligne qu’il faut cependant marcher sur une ligne de crête : « Jésus demande au Père de nous consacrer dans la vérité et de nous garder du monde. Avant tout, il est significatif que, alors que Jésus demande au Père de nous consacrer et de nous garder, il ne lui demande pas de nous retirer du monde. Nous savons qu’il envoie ses disciples pour qu’ils soient un levain de sainteté et de vérité dans le monde : le sel de la terre, la lumière du monde ».
Ne pas faire des compromis sur la foi, ni diluer les exigences radicales de l’Evangile. Pour autant, ne pas se retirer du monde. A rebours d’une image médiatique consensuelle, le pape argentin met en garde contre un christianisme tiède, et demande de vivre la tension existentielle du chrétien : être de son temps sans être du monde. Aimer passionnément la vie mais accepter, s’il le faut, de mourir pour l’Evangile.
L’homélie affirme aussi l’autre grande tension au cœur de la vie chrétienne, tenir ensemble l’amour de Dieu et celle du prochain, qui peut impliquer une forme de subversion politique : « De plus, l’exemple des martyrs nous enseigne l’importance de la charité dans la vie de foi. C’est la pureté de leur témoignage au Christ, manifesté par l’acceptation de l’égale dignité de tous les baptisés, qui les a conduits à une forme de vie fraternelle qui défiait les structures sociales rigides de leur temps. C’est leur refus de diviser le double commandement de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain qui les a portés à une si grande sollicitude à l’égard des nécessités de leurs frères. Leur exemple a beaucoup à nous dire, à nous qui vivons dans des sociétés où, à côté d’immenses richesses, grandit silencieusement la plus abjecte pauvreté ; où le cri des pauvres est rarement écouté ; et où le Christ continue à appeler, nous demandant de l’aimer et de le servir en tendant la main à nos frères et sœurs dans le besoin. »
En Corée, le christianisme a été persécuté au XIXe siècle parce qu’il menaçait les structures d’injustice et d’oppression. Mais il a perdu au XXIe siècle sa capacité de déranger l’ordre établi, car il s’est embourgeoisé. François rappelle donc ce qui dérange : la foi se traduit toujours par une attitude politique « pour une société plus juste, libre et réconciliée, contribuant ainsi à la paix et à la défense des valeurs authentiquement humaines »
Au service de cette attitude subversive de l’Evangile, le pape a appelé les religieux et religieuses, rencontrés dans l’après-midi à Kkottongae, à un sursaut de cohérence, notamment par rapport à leur vœu de pauvreté, leur demandant « d’éviter toutes ces choses qui peuvent causer trouble et scandales chez les autres. (…) L’hypocrisie de ces hommes et femmes consacrés qui font le vœu de pauvreté et cependant vivent comme des riches, blesse les âmes des fidèles et abime l’Église. Pensez aussi combien est dangereuse la tentation d’adopter une mentalité purement fonctionnelle et mondaine, qui conduit à mettre notre espérance seulement dans les moyens humains et détruit le témoignage de la pauvreté que Notre Seigneur Jésus Christ a vécu et nous a enseigné.»
Plus tard, le pape a salué encore une fois le rôle des simples baptisés en rencontrant les responsable de l’Apostolat des laïcs, rappelant l’importance de la crédibilité du témoignage : « Aujourd’hui comme toujours, l’Église a besoin d’un témoignage crédible des laïcs rendu à la vérité salvifique de l’Évangile, à son pouvoir de purifier et de transformer le cœur humain, et à sa fécondité pour édifier la famille humaine dans l’unité, la justice et la paix. » Correspondant aux attentes de nombreux catholiques, le pape a rappelé que la charité ne suffisait pas, mais que les laïcs devaient s’engager concrètement pour changer la société et la rendre plus juste. « Assister les pauvres est une chose bonne et nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Je vous encourage à multiplier vos efforts dans le domaine de la promotion humaine, de sorte que tout homme et toute femme puisse connaître la joie qui vient de la dignité de gagner le pain quotidien, en soutenant ainsi sa propre famille »
Une nouvelle fois, François veut réveiller les consciences. Très engagée dans la transition démocratique, au cours des années 1980, l’Eglise a perdu sa force d’interpellation prophétique dans le champ social. Joignant le geste à la parole, François s’est recueilli dans un espace réservé à la mémoire des enfants avortés, après avoir visité un centre pour handicapés. En Corée, près d’un million d’enfants sont avortés chaque année, selon l’Eglise catholique (pour 50 millions d’habitants), très mobilisée sur ce terrain.
Source: La Vie
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