« Je suis le meilleur candidat de l’opposition », affirme Agbeyomé Kodjo

Dans la bataille des ego au sein de l’opposition, Agbeyomé Kodjo vient de montrer la dimension du sien en se déclarant le meilleur candidat possible pour la présidentielle 2015, en alléguant son expérience de l’administration RPT-UNIR. Soit. Mais l’homme traîne de ragoûtantes casseroles qu’il paraît plutôt être le candidat improbable devant battre Faure Gnassingbé.

Qui est le meilleur candidat de l’opposition pour la présidentielle 2010 ? L’ancien Premier ministre Agbeyomé Kodjo n’y est pas allé par quatre chemins. C’est le meilleur candidat, son expérience plaidant pour lui, a-t-il laissé croire ce matin sur Kanal FM.

« Je n’ai pas la prétention d’être le bon berger, mais je considère que j’ai plus d’expérience que certains prétendants dans la gestion des affaires de l’Etat« , affirme-t-il. Avant de donner dans l’autosatisfaction : « Il suffit de d’observer avec honnêteté le travail abattu dans ce pays pour s’en convaincre. »

Ancien Premier ministre, Agbeyomé Messan Kodjo, est un ex-apparatchik du RPT, qui peut se targuer effectivement, au sein de l’opposition, d’avoir la plus longue expérience du fonctionnement de l’Etat du Togo, ou bien de l’Etat RPT-UNIR, au pouvoir depuis 45 ans.

Il a occupé le Premier ministère d’août 2000 à juin 2002 ; il fut tour à tour Président de l’Assemblée nationale (juillet 1999-juin 2000), directeur général du Port autonome de Lomé (1993-1999), ministre de l’intérieur et de la sécurité, ministre de la jeunesse et des sports, directeur de la Sonacom. Il a quitté le RPT à 48 ans, peu de militants et de militantes de ce parti, peuvent se targuer d’avoir connu une carrière aussi fulgurante et riche.

Ce n’est pas la première fois que Monsieur Agbeyomé Kodjo met en avance son histoire d’ancien haut-fonctionnaire de l’Etat. Néanmoins le numéro 1 d’Obuts- le parti qu’il a créé à son retour d’exil- ne devrait pas exhiber si rapidement son CV. Il est vrai que les peuples ont la mémoire courte, mais les hommes politiques trainent aussi des casseroles assourdissantes, que l’Histoire retient toujours. On peut essayer de réécrire l’histoire, mais les casseroles, on ne peut les attribuer à d’autres. Il en est ainsi pour le Président d’Obuts.

Agbeyomé Kodjo, ancien Premier ministre, Président du parti Obuts
Agbeyomé Kodjo, ancien Premier ministre, Président du parti Obuts

Le passage de M. Kodjo à la Sonacom a été passé au peigne fin à la Conférence Nationale Souveraine. Cette société de commerce, en situation de quasi monopole, a mis la clé sous le paillasson quand il la quittait pour prendre la tête du ministère de la jeunesse et des sports. Le ministère de la culture, de la jeunesse, des sports et des loisirs, n’était pas un grand ministère. Cependant la gestion de M. Agbeyomé Kodjo n’était pas sans reproche. Des artistes ont encore en mémoire que des médailles d’or remportées aux Jeux de la Francophonie de 1989, après rétention par un certain alchimiste, sont devenues noires !

Expérience politique et impunité

L’histoire du processus démocratique n’est pas encore écrite, mais les crimes de masses sont des crimes imprescriptibles. Agbeyomé Kodjo était ministre de l’Intérieur et de la Sécurité en janvier 1993 quand furent perpétrés les 24 et 25 du mois, les massacres dits de Fréau Jardin pendant une marche une manifestation de l’opposition, en présence des ministres français et allemand de la coopération. M. Kodjo accuse l’opposition, surtout le leader du COD, à l’époque M. Léopold Gnininvi, d’avoir envoyé à des fins politiques les manifestants se faire massacrer.

Etant informé de la présence d’escadrons de la mort parmi les forces de l’ordre et sécurité, d’éléments des escadrons de la mort, M. Agbeyomé Kodjo a témoigné devant la Commission Vérité Justice Réconciliation (CVJR) avoir demandé à l’opposition le report de la marche. Une information que dément l’opposition.

Toutefois, l’excuse passe mal. Agbéyomé Kodjo passe soit pour un homme de faible caractère, soit pour un carriériste prêt à tout pour atteindre ses buts en politique. M. François Boko, ministre de la sécurité, s’étant retrouvé dans une même situation en 2005, a tout simplement démissionné à la veille de la présidentielle d’avril 2005, en prévenant la classe politique et la communauté internationale des massacres en prévision. Si Agbeyomé Kodjo est resté en toute connaissance, c’est pour en porter la lourde responsabilité.

Des crimes de sang qui jalonnent l’ascension politique de cet ancien activiste du RPT. De 1998 à 2000, un groupe de bandits terrorisaient les populations dans le Yoto, des viols et des meurtres furent commis. Un militant du CAR, Kegbe Mathieu fut lâchement assassiné par ces bandits armés devant sa femme et ses enfants. Dans un communiqué, le Comité d’action pour le renouveau (CAR), parti d’opposition, avait déclaré que les populations accusaient M. Kodjo d’entretenir cette bande armée. Un communiqué qui valut plus tard à Me Yawovi Agboyibo des mois de prison aux termes d’un simulacre de procès en 2002.

Certes, sa direction du Port autonome fut sans histoire, mais aucun audit ne fut commandé. On sur seulement qu’il s’était bien occupé du personnel. M. Kodjo à qui la rumeur prête un domaine en France, s’était-il rendu coupable de détournement et d’abus de biens sociaux ?

Son passage au perchoir de l’Assemblée nationale ne peut pas être brandi comme un trophée de grand homme d’Etat par M. Kodjo. Il n’y a vraiment aucun mérite à être président d’un parlement monocolore qui s’était métamorphosé en chambre d’enregistrement. Quelles lois ont-elles été votées dans le sens du bien-être des populations et de plus de transparence dans la gouvernance des biens publics ?

Quant à son passage à la Primature après y avoir chassé par un vote de défiance le Premier ministre Kofi Adoboli, membre de son propre camp, on ne retient que sa démission fracassante motivée par d’autres intérêts. Se considérant comme le dauphin du général Eyadema, ce carriériste perdit tout espoir avec la modification de la constitution opérée par Eyadema en 2002. Et s’en alla en pondant un brûlot sur le régime Eyadema. C’est son unique fait d’armes notable en politique : avoir osé s’opposer ouvertement au général Eyadema, en étant membre du RPT. Mais là aussi, son ami Dahuku Péré l’avait fait un an plutôt avant lui. Et la suite de l’histoire de leur amitié allait montrer qu’Agbeyomé Kodjo a un ego surdimensionné qui l’amène à ne pas pouvoir travailler en groupe. Membre de l’Alliance fondé par Dahuku Péré, Agbeyomé Kodjo provoqua une scission du parti en voulant s’emparer de la tête.

Populisme

En réalité si Agbeyomé Kodjo se voit plus beau que les autres, c’est qu’un réel problème de légitimité se pose au sein de l’opposition, à quelques mois de la présidentielle 2015. Sa sortie médiatique intervient dans un contexte politique heurtée où l’idée d’une candidature unique de l’opposition divise la classe politique. Il y a plusieurs présidentiables virtuels ou potentiels sont en vue. Il y a d’abord Jean-Pierre Fabre de l’ANC, qui se considère comme le « chef de file l’opposition », statut conféré par un aménagement dans la constitution. Le chef du parti majoritaire de l’opposition à l’Assemblée est désigné chef de file de l’opposition. Le Président Faure Gnassingbé, candidat probable à sa propre succession, vient d’ailleurs d’adouber, le 05 mars dernier, le Président national de l’ANC en lui conférant un tel titre.

Il y a ensuite, Me Dodji Apevon, de la Coalition Arc-en-ciel, qui conteste ce statut à Jean-Pierre Apévon. Me Apevon n’est en réalité que l’arbre qui cache un autre candidat probable, Me Yawovi Agboyibo, président d’honneur du CAR. Ancien Premier ministre issu de l’Accord politique global (APG), le bélier de la tribu des Madji n’a toujours pas renoncé à un destin national, même si l’on croit que les carottes sont cuites. Mais l’ex président du CAR pourra-t-il se présenter dans un contexte de candidatures multiples ?

Autre personnalité à avoir cramé ses chances, M. Gilchrist Olympio, aujourd’hui allié au parti UNIR dans un gouvernement d’union. Le vieillard a perdu sa sympathie au sein de l’opinion, la large défaite de son parti, l’UFC, aux législatives devraient le dissuader de caresser tout espoir. On se doute que sa santé- il s’est cassé la cervicale C1 en 2010, et son âge avancé, 77 ans, semblent rédhibitoires pour une telle aventure.

Il y a enfin Mme Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, première responsable de la CDPA. Incapable de se faire élire dans préfecture natale, elle ne constitue pas une concurrente redoutable pour ses challengers de l’opposition.

Il ne reste effectivement que Me Dodji Apevon, Jean-Pierre Fabre, Agbeyomé Kodjo, et… M. Kofi Yamgnane. L’ancien ministre à l’intégration de François Mitterrand ne désespère pas de se présenter, malgré son élimination en 2010 pour certificat de naissance non compatible !

Parmi tous ces ses candidats, Agbeyomé Kodjo est réellement celui qui a eu la plus longue expérience dans l’appareil de l’Etat du Togo. Il garde peut-être quelques influences au sein des institutions, mais en a-t-il dans les forces armées togolaises ? Il dispose également de réseaux franc-maçonniques, ceux-là mêmes qui l’ont aidé dans sa cavale en France et ont demandé sa libération quand il fut incarcéré à son retour au Togo.

Ce franc-maçon membre d’une secte pentecôtiste, s’inscrit dans une vision messianique, d’où les prières ardentes spectaculaires qui se déroulent chez lui à la maison ou au siège de son parti. Il y croit dur comme fer à son destin national. Dieu l’a élu pour remplacer Faure Gnassingbé. Il est prêt à tout, à la ruse, au populisme et à la démagogie pour y arriver.

Connaissant parfaitement l’état de l’opinion sur son itinéraire, il a essayé une opération de blanchiment en se rapprochant du FRAC, puis du CST. Il était parmi les radicaux, avant de faire un rétropédalage début janvier 2014, faisant le constat de l’échec des positions du CST et du FRAC ! En réalité, il n’y a jamais cru, surtout quand il criait à la plage de Lomé des slogans du genre « vitago né suwo », destinés à exciter la populace. C’était néanmoins un passage forcé pour acquérir une certaine légitimité populaire. Pendant les manifestations du CST, des images virales de lui faisant le mur, sous la poursuite des forces de l’ordre déchaînées, étaient présentes sur les réseaux sociaux. On ne sut jamais s’il était poursuivi réellement ou si c’était un montage, avec l’aide de ses gardes du corps. Mais être vu comme un opposant radical mérite bien de sauter les murs !

Agbeyomé Kodjo vient de déclencher de but à blanc la guerre des égos dans la course à la présidentielle. Il est candidat à la candidature unique. D’ailleurs il n’y croit pas. S’il faut un candidat unique, ce sera lui. A défaut, tout le monde ira ! Faure Gnassingbé peut dormir tranquille, ses opposants lui déblaient le chemin. Son troisième mandant est garanti !

 

 


En savoir plus sur Le Temps

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

A propos Komi Dovlovi 1148 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

Laisser un commentaire