« Le capitaine Traoré a dit » : le petit livre blanc du timonier burkinabè

La présidence du Burkina Faso présente un recueil de discours du chef de l’État. L’ouvrage est accompagné d’une plateforme numérique dédiée.

Le fondateur de la République populaire de Chine a eu son livre rouge et le Guide de laGrande Jamahiriya arabe libyenne, son livre vert. Un régime sans légitimité démocratique formelle se doit de proclamer ses relents révolutionnaires le verbe haut. Il fallait au Burkina Faso du rhéteur Thomas Sankara de quoi situer l’État actuel – ni tout à fait régime d’exception à la Thom’ Sank’, incrusté entre deux Républiques, ni tout à fait la quatrième de ces Républiques, mâtinée d’une charte de transition qui a d’ailleurs cessé de se qualifier comme telle.

Avant de la graver dans le marbre de la postérité, la présidence du Faso vient d’inscrire la pensée « traorienne » sur le papier et sur le net. Ce samedi 4 octobre, le ministre-directeur de cabinet du chef de l’État, le capitaine Martha Céleste Anderson Dekomwin Medah, a présidé une cérémonie de dédicace du livre Le Capitaine Ibrahim Traoré a dit : de l’avènement du MPSR II à la proclamation de la Révolution progressiste. Un recueil de 307 pages des discours de l’actuel président du Faso, lancé quelques jours après le troisième anniversaire de l’accession du militaire au pouvoir suprême.

Jargon et novlangue

Le goût des aficionados du régime burkinabè pour les campagnes de communication virale a tout naturellement inspiré une plateforme numérique dénommée « Baoré ». Un nom qui n’est pas une contraction de « IB Traoré », mais qui signifie « grenier » en langue mooré. Cette manière d’engranger numériquement la pensée néorévolutionnaire souverainiste est qualifiée, dans le communiqué de la présidence, de « vidéothèque virtuelle disponibilisant sous forme audiovisuelle les actions du chef de l’État ».

La communication officielle du pays des Hommes intègres combine à la fois des éléments de langage quadragénaires – comme « valets locaux des impérialistes néocoloniaux » – et cette novlangue qui fleurit actuellement dans nombre de régimes qualifiés de populistes. Et la comm’ de cette sensibilité ne dédaigne pas l’extrapolation. Si Pingdwendé Gilbert Ouédraogo n’a pas hésité, à la séance de dédicaces, à qualifier le recueil de « véritable chef-d’œuvre », il est à se demander de quels qualificatifs ce ministre chargé de la Culture désigne « les bouts de bois de Dieu » ou « Une si longue lettre ».

Écriture calibrée

Conformément au volontarisme révolutionnaire, le livre édité se veut la « matrice » d’une pensée et le « fil conducteur » d’une gouvernance. Puisqu’il n’y a qu’un pas de la presse à la littérature, la publication de l’ouvrage démontre à nouveau la volonté d’infléchir le récit national et d’embarquer la presse rescapée dans une manière de dépeindre qui cautionne parfois le mensonge par omission. « Vous pouvez avoir une information qui est peut-être vraie et juste, mais vous décidez de ne pas sortir l’information parce qu’elle peut porter préjudice », insistait récemment Ibrahim Traoré en interview.

Le goût pour une parole orientée a d’ailleurs été théorisé, dès le mois de mai dernier, par le Front des journalistes VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) : « L’autorité établie a le devoir moral […] de maquiller les faits », tout du moins « en temps de guerre ». Pour le directeur de cabinet du chef de l’État, le nouveau recueil s’inscrirait pourtant « dans la dynamique d’éviter de travestir les faits ». « Tôle, c’est pas tôle », indiquait une célèbre publicité burkinabè. Apparemment, « travestissement, c’est pas travestissement »…

Jeune Afrique


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A propos Colombo KPAKPABIA 1393 Articles
Colombo Kpakpabia est Directeur de publication du journal Le Temps. Il capitalise plus de 32 ans d'expérience dans la presse écrite et audiovisuelle. Colombo axe son travail sur la recherche et l'efficacité. Contact Email: [email protected]

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