Ayant attendu en vain la restitution du corps du colonel Toussaint Bitala Madjoulba, la famille se résout finalement aux obsèques les 11 et 12 juin de sa sœur et de sa mère décédées quelques semaines avant le meurtre du commandant de la première région militaire du Togo, le 4 mai dernier.
2020, annus horribilis pour les Madjoulba. Un destin funeste frappe la famille qui voit disparaître trois de ses membres parmi les plus importants. Tout d’abord, mauvaise nouvelle : l’une des sœurs décède de crise cardiaque à la mi-mars. Puis, la mère meurt de vieillesse, une semaine plus tard. Les obsèques des deux premiers nommés se tiendront ce jeudi et vendredi à Siou. Peut-être dans la restriction des mesures-barrières qu’impose la crise sanitaire. Peut-être.
La famille fera donc le deuil de ses deux femmes disparues. Ce ne sera pas le cas du Colonel Toussaint Madjoulba retrouvé mort, de source officieuse, dans son bureau du Camp BIR à Lomé. Ce n’est pas faute d’avoir réclamé le corps de ce haut-gradé de l’armée dont la mort suscite des effervescences populaires jamais intervenues dans la préfecture de Doufelgou, territoire de l’ethnie Nawda. En vain. « On ne veut pas nous restituer le corps ; en fait, on ne sait même pas à qui réclamer le corps », dit un proche de la famille, atterré par la situation.
Au début, à défaut de la lumière sur la mort suspecte du colonel, la famille comptait disposer au moins du corps pour faire le deuil. C’est ainsi sous tous les cieux : le droit des morts d’être ensevelis et celui des vivants de leur faire le rituel censé leur permettre d’amorcer le voyage vers l’au-delà.
Séances de prières chez l’ambassadeur Calixte Batossié Madjoulba
Les familles Madjoulba et alliées s’étaient reposées d’abord sur les influences de deux personnalités qu’elles pensaient être des hommes de pouvoir. Il y a d’abord, l’influent Calixte Batossié Madjoulba, ambassadeur plénipotentiaire du Togo en France et auprès de nombreux pays de l’Union Européenne depuis 10 ans. Il est demi-frère du colonel tué. Puis, Gilbert Badjilembayéna Bawara, ministre du travail, originaire de Siou comme les Madjoulba. Deux hommes au cœur du pouvoir militaro-civil. Ni l’influent ambassadeur, officier supérieur de son état, ni le volubile ministre, porte-parole redoutable du gouvernement, n’ont eu voix au chapitre. Le corps ne sera pas rendu. Du moins pour l’instant !
Fataliste, l’ambassadeur plénipotentiaire actuellement à Lomé se voue à Dieu. «Il organise des séances de prière chez lui chaque soir», dit un membre de la famille. Qui plus est, il conseille vivement ses proches de ne pas évoquer l’affaire en public, surtout pas à la presse. « Il est bloqué », nous dit-on.
Car l’affaire semble déjà très mal partie pour faire la lumière sur le meurtre. En cause, un mystère autour du corps vraisemblablement manipulé. Selon les témoins, le cadavre de Madjoulba présente des points de suture qui remontent du cou jusqu’à la poitrine, validant quelque peu la rumeur sur des blessures par balle et au couteau.
Cependant, le cadavre à la morgue est proprement nettoyé, peut-être dans le but inavoué d’effacer toutes traces de lutte voire d’empreintes digitales, rendant ainsi beaucoup plus délicate une éventuelle autopsie voire invalidant toute investigation. C’est tout comme on faisait disparaître le corps du délit.
Dans ce cas, seule la restitution du corps semblait être la seule issue pour permettre à la famille de faire au moins le rituel funéraire et d’avoir la paix avec la conscience. Une issue qui semble peut-être aussi compromise depuis que les populations de Siou pensent entreprendre des démarches mystiques et tribales avec le corps pour attirer la colère et la malédiction des dieux sur les auteurs et commanditaires du meurtre.
Le colonel serait confiné depuis août 2019
Pour rappel, le colonel Toussaint Bitala Madjoulba était commandant du Bataillon d’Intervention rapide (BIR) fort de quelques 6.000 hommes. Il fut aussi commandant de la première région militaire du Togo, c’est-à-dire de Blitta jusqu’à Lomé, la moitié et la zone stratégique du pays.
Son corps sans vie serait retrouvé très tôt le matin dans son bureau le 4 mai, au lendemain de la prestation de serment du chef de l’Etat Faure Gnassingbe, cérémonie à laquelle il avait participé. Il avait six enfants dont l’aîné, 26 ans, est médecin militaire et le cadet étudiant en licence. Ceux qui le connaissent ont de lui l’image d’un homme plutôt affable, très famille que son frère ambassadeur.
Ni Faure Gnassingbé, président de la République et ayant en charge le ministère de la Défense nationale, ni l’état-major des armées, n’ont fait de déclaration publique concernant cet officier supérieur et de surcroît grand stratège de l’armée.
Une commission d’enquête de commandement serait mise sur pied. Le ministre de la Sécurité, le Général Yark Damehame préside cette commission. Elle se compose également du Directeur général de la gendarmerie nationale le Colonel Massina, du Directeur général de la police nationale Yaovi Okpaoul, du Colonel Guy Akpovy, président de la FTF et de quelques officiers .
L’état-major n’a néanmoins fait aucune déclaration officielle sur la constitution de cette commission de commandement. Ce qui laisse planer le doute sur la réalité de ces enquêtes.
A l’heure du covid-19, où l’on parle un langage de confinement, une source proche de la famille confie que Toussaint Bitala Madjoulba serait en réalité confiné depuis août 2019. Il était difficile pour des proches de lui rendre visite. Sa femme aurait déclaré qu’avec sa nouvelle fonction, il n’avait guère le temps. «Bien d’officiers supérieurs ayant des postes de commandement sont pourtant libres de rencontrer leurs proches et de se donner de petits plaisirs mignons », affirme encore notre source. Une information quelque peu insolite qui ne fera que renforcer le mystère autour de la mort suspecte du colonel Madjoulba.
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