Coronavirus : l’Afrique risque le pire !

Manque d’infrastructures, fragilité du système sanitaire, et vulnérabilité des économies, l’Afrique pourrait connaitre des dizaines de millions de morts par le coronavirus, dit un expert togolais dont nous préférons taire le nom.  Lire plutôt sa tribune.  

Un, puis deux, puis trois… les cas de contamination au Covid-19 s’égrènent en Afrique ; au compte-gouttes semble-t-il. Rien de comparable aux vagues frappant les pays riches ; vagues annoncées se transformer en tsunamis, avant de refluer, puis s’arrêter autour de juillet 2020.

Alors, certains Africains de souffler : l’épidémie au Coronavirus serait une maladie de riches ; du fait même de sa pauvreté, l’Afrique en serait épargnée, immunisée ! Erreur : c’est l’Afrique qui risque le pire ; et elle pourrait en être durablement ébranlée ; s’effondrer !

Un rapide survol des stratégies de lutte contre la pandémie et des vulnérabilités de l’Afrique permet de comprendre pourquoi.

Comme la propagation de toute maladie contagieuse, celle du coronavirus comporte une dimension démographique essentielle : la densité des contacts entre individus. Plus les individus sont proches les uns des autres, plus vite et plus largement le virus se propage ; à proportion de sa contagiosité.

Face à cela, deux grandes stratégies sont possibles. L’une consiste à dresser des barrières entre les individus, à suspendre leurs circulations et les activités sociales qui occasionnent généralement leurs contacts, brassages et regroupements : travail, enseignement, transports en commun, rassemblements festifs, sportifs, politiques… : sacrifier momentanément le commerce social habituel. Ainsi empêché de passer des sujets contaminés à ceux qui ne le sont pas, le virus s’éteint avec ses porteurs ou est éliminé par les soins prodigués à ceux-ci. C’est le principe de la stratégie, « d’élimination», appliquée drastiquement et à grande échelle par les autorités chinoises. Avec succès.

La seconde grande « stratégie » a pour principe « l’immunité collective » (Herd immunity). Elle revient à ne pas faire grand-chose, à laisser les activités aller leur train habituel, « business as usual », et…«laisser faire la nature ». Evidemment, dans ces conditions, le virus contaminerait presque toute la population. Mais, à partir d’un certain pourcentage de contamination, 60%, la population développerait une immunité naturelle contre le virus. Certes, entretemps une partie de la population tomberait malade à divers degrés ; les plus faibles en mourraient, mais la majorité de la collectivité serait immunisée. Une sorte de vaccination naturelle, « darwinienne ».

C’est la « stratégie » d’abord envisagée par Boris Johnson, Premier Ministre anglais, avant d’en changer en catastrophe, réalisant ce que cela impliquait : la mort possible de 700.000 Anglais et l’effondrement du système sanitaire du Royaume-Uni ! De fait, 60%, des 66 millions d’Anglais, cela fait tout de même 40 millions de personnes… qui devront être infectés, pour qu’émerge l’hypothétique immunité collective ! Et sur ces 40 millions de personnes infectées, de 6 millions à 8 millions plus ou moins gravement malades investiraient subitement le système sanitaire en quête de soins ! Il n’y résisterait pas.

Quoiqu’avec moins de vigueur, Boris Johnson s’est donc sagement rangé à la stratégie des Chinois. Isoler hermétiquement les foyers de contamination des régions saines ; confiner fermement les personnes chez elles ; tester massivement et précocement des pans entiers de populations ; notamment des sujets à risque, y compris ceux ne présentant aucun symptômes ; traiter les malades pour eux-mêmes et pour qu’ils cessent d’être contagieux : juguler l’épidémie ; avant de revenir aux affaires courantes, à « la normale ». Avec retard et quelques tergiversations certes, l’Europe s’engage dans cette voie ; aujourd’hui la seule probante. On ne peut y couper.

Un casse-tête pour mettre en place les stratégies en Afrique

Quel pays d’Afrique pourrait déployer cette stratégie coup-de-poing, avec la vigueur et la rigueur requise ? On en voit peu. A divers degrés, tous souffrent d’une série de vulnérabilités qui l’y rendent illusoire. Donnons quelques exemples non-exhaustifs.

Nombre d’Etats africains sont défaillants, voire faillis, et souvent illégitimes. Pour être observées, ces mesures fortes, pourtant impératives, requièrent que les populations les comprennent, veuillent, et, ayant le choix, puissent les adopter. Or, des décennies d’incurie éducative en ont déprivé une grande partie d’instruction et de toute formation à l’esprit critique et à la culture scientifique, rationnelle. Jusqu’au cœur des amphis d’université, des enseignants clameront s’en remettre à la sorcellerie ou à « la main de Dieu » qui les protégerait…du coronavirus…

Faute de véritables politiques d’infrastructures et de développement, l’approvisionnement quotidien des ménages passe le plus souvent par d’informes marchés populeux, sur lesquels, paupérisées, les populations se livrent à des petits commerces de subsistance. Notamment, dans les zones urbaines et périurbaines, pour les femmes non-paysannes ; parfois, même pour celles-là. Fermer momentanément ces marchés, comme il faudrait, désorganiserait profondément l’approvisionnement alimentaire des familles, causant de sévères pénuries et l’explosion du prix des aliments de base. Nombre de ces pays dépendant, de plus, de l’étranger, pour leur alimentation, la vague internationale de fermeture des frontières ne manquera pas de produire cet effet.

Si les commandes sur Amazon.com ont explosé, obligeant l’entreprise à renforcer ses équipes de 100.000 salariés supplémentaires, c’est que du fond de leur confinement, les habitants des pays riches peuvent encore commander et se faire livrer les produits dont ils ont besoin. Très peu d’Africains pourront s’offrir ce luxe… sans qu’il se transforme, du reste, en un vecteur de contagion.

La structure de leur marché du travail a également aidé les populations des pays riches à consentir à l’impératif de confinement. A plus de 80%, les actifs de ces pays sont des salariés. Même empêchés d’aller travailler, ils savent pouvoir compter sur leurs salaires, des indemnités, voire d’éventuelles aides publiques. Les centaines de milliards d’euros promis à leurs entreprises ont, en partie, cette vocation. Peu de pays d’Afrique pourraient procéder à ces accompagnements ; si, tant est qu’ils y pensent. Au demeurant, le pourcentage de salariés est ridiculement faible parmi leurs actifs.

Contraintes de vivoter, au jour le jour, de leurs débauches d’efforts, ces populations ne peuvent rester sagement confinées chez elles… même si elles le voulaient. Peu ou prou, elles devront sortir gagner leur subsistance, sinon payer les traitements pour la parentèle que viendrait à infecter le virus ; quand bien ce serait juste des comprimés de chloroquine. Sans compter que c’est encore les familles qui devront aller veiller, nourrir, laver, entretenir leurs malades au sein-même de ces systèmes sanitaires en loques, où la moindre compresse doit être payée par le malade lui-même ou par sa familles ! Alors, vous imaginer : acheter des dizaines de milliers de tests-diagnostics, des équipements de protections, des millions  de masques etc. ! Raison pourquoi un homme-seul, certes milliardaire, Jack Ma, a généreusement offert ces équipements aux dizaines de pays en question.

Il suffit qu’un cas index passe sous le radar…

Si donc l’Afrique est, encore pour le moment, relativement épargnée par la pandémie, ce n’est nullement grâce à elle ; surtout pas grâce à la plupart de ses dirigeants ; c’est malgré eux ; malgré elle. C’est parce qu’avec ses 2% de participation aux échanges mondiaux, elle est, de fait, pratiquement, isolée des mouvements et voies de communication internationale.

Seulement, il n’y faut pas foule, pour qu’un pays soit contaminé au coronavirus ; il suffit d’un porteur, d’un patient-zéro !

Pour peu que celui-ci, passe sous le radar, il pourrait être l’allumette qui embrase la savane d’un incendie infiniment plus ravageur, que tous les tsunamis balayant les pays riches. Et, ce ne sont pas leurs frontières, plus illusoires encore que passoires, qui permettraient de circonscrire cet enfer à un seul pays.

Des enseignements qu’il nous faudra bien tirer de cette pandémie, si nous en réchappons, il ya celui du rôle crucial des Etats ; et celui de l’interdépendance, la solidarité de fait, entre les bassins de populations que les pays sont, en définitive.

Aussi volontariste, ou aussi contrainte que soit telle population africaine de « faire sans » un État-absent, il est situations où la survie collective  dépend d’un État qui prenne « ses » responsabilités.

Et, s’agissant des pays, même le plus vertueux d’entre eux, n’est que faussement protégé, entouré d’une mer d’incurie. De même que, inversement, dans un panier de vertueux, il suffit d’un fruit pourri pour pourrir tout le panier.

Dans le monde ouvert aux pires dangers que nous montre le Coronavirus, les pays africains et leurs dirigeants se doivent d’être sérieux et organisés ; au risque d’être des dangers pour leurs peuples et ceux alentours.

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A propos Komi Dovlovi 1148 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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