Le tribunal de première instance de Kara s’apprêterait à commetre de façon cynique un scandale judiciaire dont le but inavoué permettrait aux professeurs Dodji Kokoroko et Adama Kpodar de continuer à exercer leurs oppressions sur le milieu universitaire. Le verdict risque de susciter des troubles dans une Université où l’enseignant Sasso Pagnou est très estimé.
Ce lundi, 20 janvier 2020 va s’écrire l’une des pages les plus noires et grotesques de la justice à Kara. Le tribunal de première instance de Kara, statuant en matière correctionnelle, va rendre son verdict dans l’affaire des professeurs titulaires Dodji Kokoroko, Adama Kpodar, Babakane Coulibaley et Koffi Ahadji Nonon contre le professeur assistant Sasso Pagnou. Ce dernier risque pour tous les délits qui lui sont imputés, dont le délit de dénonciation calomnieuse et d’atteinte à l’honneur, une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis, 5 à 20 millions de CFA d’amende et l’interdiction d’exercer la profession d’enseignant. Le procès a lieu depus avril 2019.
Selon les témoins, le déroulement du procès ne laisse planer aucun doute quant au verdict du juge Baba Yaro, dont l’arrogance permet de poser des questions sur sa neutralité.
Cette affaire qu’aucun procureur d’une justice indépendante ne plaiderait est tout de même plaidée par le procureur Virgile Kouakou Setekpo, qui s’est mise du côté de partie civile. Et pourtant la partie civile a été déjà condamnée sur le plan professionel pour les faits de diffamation et d’atteinte à l’honneur dont elle se plaint.
Comment comprendre cette affaire ?
Pour rappel, des enseignants des universités d’Abomey-Calavi, de l’Université Ki-Zerbo de Ouagadougou au Burkina Faso et de l’Université de Kara ont porté plainte contre des professeurs titulaires dont Dodji Kokoroko et Adama Kpodar pour manquements à l’éthique et à la déontologie du Cames. Le Cames, c’est le Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur, une institution communautaire regroupant 19 pays d’Afrique francophone. Le Cames est institué pour gérer la carrière des enseignants, par conséquent les concours d’agrégation au statut de professeur titulaire et aux autres grades universitaires. Les deux professeurs titulaires togolais sont accusés d’avoir créé un réseau pour faire échouer des candidat.es et faire évoluer certains qui sont de leurs ami.es.
Après enquête, la supercherie a été découverte et les deux Togolais ainsi qu’un Ivoirien et une Béninoise ont été écopé de lourdes sanctions. Les deux Togolais ont condamnés à trois années de suspension des activités du Cames. Le Togolais Sasso Pagnou, aujourd’hui professeur assistant, a été un de leurs dénonciateurs.
Malgré leurs condamnations par le Cames, une décision soutenue par le Ministère de l’enseignement supérieur, les deux professeurs titulaires ainsi que Babakane Coulibaley dont l’affaire est en instruction au Cames, ont poursuivi Sasso Pagnou pour « diffamation » et « d’avoir porté atteinte à l’honneur et à l’égard dû au rang ».
Que disent le procureur et le juge ?
Lors des audiences, le procureur de la République Virgile Kouakou Setekpo et le Juge Affo Lamine Baba Yara déclaré ne pas se sentir concernés par les sanctions du CAMES et ont demandé à Monsieur PAGNOU d’apporter les preuves matérielles confirmant que le groupe d’enseignants agit réellement en réseau.
je veux les preuves matérielles de l’existence du réseau, le nombre des membres du réseau, les noms des membres du réseau et surtout la preuve matérielle de leur intention de nuire à leurs collègues, a déclaré le Procureur Virgile Kouakou Setekpo .
Le conseil de Sasso Pagnou, Me Ndjellé, a pourtant plaidé que le fait même d’avoir porté plainte ensemble et non séparément , d’avoir exigé le paiement en partage d’un franc symbolique constitue la preuve même que la partie civile sévit en réseau. D’ailleurs un de leurs homologues béninois, le professeur Victor Topanou a eu des mots très durs en leurs endroits les taxant de bandits en col blanc. Un tel procès ne peut jamais avoir lieu au Bénin, a d’ailleurs confié au Temps, le Professeur Topanou jugeant scandaleux le comportement de la justice togolaise.
Un jugement politique ?
Aussi étrange que cela paraisse, il s’agit d’un procès politique. Et même s’il n’est pas directement impliqué, on peut à juste titre craindre que les tribunaux togolais soient susceptibles d’être influencés par n’importe quel haut fonctionnaire, pour peu que ce dernier soit proche de l’éxécutif.
Malgré les sanctions et le désaveu du ministre de l’Enseignement supérieur, et le discrédit qu’ils jettent sur les institutions de l’enseignement supérieur, Dodji Kokoroko et Adama Kpodar sont maintenus dans leurs fonctions respectives. Il s’agit de la prime à la casserole, une gratification pour les soutiens au régime militaro-civil dans la question de la réforme de la Constitution. Les deux sont partisans de la modification de la Constitution opérée par Faure Gnassingbe en 2019.
Le professeur Babakane Coulibaley, ancien doyen de la Faculté de droit de Kara, vient d’être désigné par ses pairs enseignants de droits, à la Cour constitutionnelle. Enfin, le professeur Koffi Ahadji-Nonon lui-même est juge à la Cour Constitutionnelle avant d’avoir perdu son siège qu’il croyait acquis. Il n’a pas voulu être désigné par le collège des enseignants de droit. Selon des sources, grand mal lui en fasse, le professeur Koffi Ahadji-Nonon a soutenu fortement la candidature de Coulibaley en croyant que Faure Gnassingbé, qui a le privilège de nommer des juges, le désignerait. Il s’est lourdement trompé. Aujourd’hui, Coulibaley siège à la Cour Constitutionnelle alors qu’Ahadji-Nonon devrait ronger son frein dans une retraite qu’il n’envisageait pas.
De but en blanc, on voit de petits professeurs issus du milieu universitaire, tous issus de la faculté de droit, instrumentaliser la justice à leur profit.
Le silence coupable ou complice des syndicats enseignants
Si la partie civile a eu l’audace des poursuites contre Sasso Pagnou, c’est à cause du silence complice et assourdissant des syndicats enseignants du supérieur. Leur silence dénote de l’impuissance ou la complicité coupable des corps enseignants dans la dégradation de la qualité de l’enseignement. Non seulement ils n’ont mené aucune action pour exiger la démission des dirigeants universitaires sanctionnés par le Cames, mais il y a des enseignants qui soutiennent en secret la partie civile dans leurs forfaits. Il y a deux syndicats enseignants, le Snes (Syndicat national de l’enseignement du supérieur), proche du pouvoir, et le Sest (Syndicat de l’enseignement du supérieur du Togo) anti-pouvoir.
Curieusement, les deux syndicats au courant de l’affaire n’ont levé aucune protestation ou dénonciation, d’autant plus que l’interdiction faite à Dodji Kokoroko d’authentifer les documents, handicape la coopération de l’Université de Lomé avec le Cames.
La situation est d’autant plus révoltante en ce qui concerne le Snes dont est membre Sasso Pagnou. Quand ce dernier a informé le professeur Essohanam Batchana, secrétaire général du Snes, ce dernier a répondu que « ne connaissant rien à l’affaire, il ne peut pas intervenir ».
En cas de condamnation, Sasso Pagnou et son conseil sont décidés de faire appel et aller jusqu’au bout, y compris devant le tribunal de la CEDEAO. Or, pour un avocat, le tribunal d’Abuja, au regard du scandale de justice, pourrait condamner sans doute l’Etat du Togo pour non respect des droits de la défense et à payer des dommages à la victime. Dans ce cas, le Togo risque de payer avec l’argent du contribuable les turpitudes de Dodji Kokoroko et Adama Kpodar.
Ainsi va le Togo, avec la démission morale et intellectuelle des élites.
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