Il y a quelques jours, nous avons essayé de convier à Lomé les responsables de quelques partis politiques, pour un séminaire stratégique autour du scrutin présidentiel de 2020. Des acteurs de la société civile et de la diaspora devraient aussi être de la partie. L’idée était de voir dans quelle mesure les partis et mouvements politiques pouvaient parvenir à un « plan commun » sur cette élection, à l’effet d’optimiser et de réorganiser les forces d’opposition au régime en place. Sur une douzaine de personnalités contactées, seule la moitié a daigné nous répondre. La majeure partie des acteurs de la société civile et de la diaspora a pour sa part salué l’initiative et manifesté sa disponibilité à y participer.
Ce n’est pas la première fois avec nos amis les partisans. Il en a été ainsi pendant l’aventure de la C14, que nos interlocuteurs soient ouverts dans les rapports personnels mais fermés chaque fois qu’il est question de démarche collective. Il y a toujours quelque chose qui cloche. Mais qu’y faire ? Cette situation dénote d’un malaise plus profond dont les conséquences sont à l’origine du malaise que vit toute l’opposition aujourd’hui. C’est vrai que les positions de certains acteurs comme moi-même n’ont pas toujours été prises et comprises dans la proportion attendue. Peut-être que je suis trop indépendant pour certains… Je continue néanmoins à faire mes contributions, pour l’histoire.
Reconnaitre et valoriser les acteurs indépendants engagés contre la dictature
Au-delà des insuffisances reconnues que véhiculent les partis et formations politiques, il est un phénomène qui mériterait d’être creusé pour mieux en appréhender les répercussions sur diverses actions liées au processus politique au Togo. Il s’agit d’une catégorie d’acteurs de la « lutte pour le changement », manifestement plus visibles que certains cadres des partis politiques et les responsables des organisations citoyennes engagées dans diverses causes. Ce sont des Togolais normaux, souvent bien éduqués (même si la plupart ne semblent pas si cultivés dans les affaires de la politique). Ils vouent au pays une piété remarquable et leur attachement à la patrie n’a de limite que la distance entre leur connaissance des dossiers et celle de certaines « réalités de terrain » que les autres trouvent qu’elles leur échappent. C’est une composante dont le pays aurait pu bien profiter à bien des égards. Mais comment cela pouvait être possible, dans un pays dont la classe dirigeante mise plus sur la médiocrité que sur le génie, pour maintenir sa férule sur les populations ?
les “experts” du changement aimeraient qu’on les consultât sur toutes choses en lien avec ledit changement
Ces compatriotes passés finalement pour des « experts » du changement sont des gens importants; vertueux et volontaristes qui ont souvent préférence pour le rôle de procureur dans leurs prises de positions sur les questions politiques du pays. Ils manifestent un attachement fort à la patrie et une opposition de principe à la dictature qui n’est pas moins légitime que celle des partis politiques. Et à ce titre, ils aimeraient que l’on les consultât sur toutes choses en lien avec ledit changement. Cette attente jamais assouvie est à l’origine de bien d’antagonismes qu’on voit sur les réseaux sociaux et qui minent les relations entre les acteurs des forces démocratiques.
Je me suis permis cette rétro-dérision pour railler, puisqu’il faut en rire tout de même; une situation qui de loin ne m’épargne pas personnellement. Bien sûr je retourne souvent au pays, je donne des conférences publiques et je soutiens des initiatives citoyennes auxquelles j’adhère. Tout ceci n’a guère suffi à m’éloigner de la caste des « experts » du changement. De plus, depuis le début des années 2000, suis partisan de la réflexion politique permanente, en vue de juguler « la crise de la pensée politique » au Togo.
La C14: une aventure ambiguë
L’exploit du parti PNP de Tikpi Atchadam en août 2017 et la vague de manifestations qu’il a suscité autour du regroupement appelé C14 était une opportunité rêvée. C’était la première fois depuis le lendemain de la conférence nationale souveraine togolaise, qu’on parvenait à un tel niveau de mobilisation contre le pouvoir autocratique. Les « experts » du changement, moi y compris, ont soutenu la dynamique. Chacun l’a fait à sa manière: financièrement, matériellement ou moralement. Les séquences des manifestations ont connu leurs lots de soutiens. Autour de la C14 ont commença à espérer que la chose serait possible. Mais cet assemblage épars de partis politiques sans repères communs, et de leaders aux ambitions mal définies, sans règles cohérentes ne pouvait guère prospérer. Nous l’avions signifié aux premières heures : cela nous a valu de la part de certains de l’ostracisme qui perdure, hélas !
L’échec de la C14 se trouve dans les germes de sa fondation. Les partis politiques au Togo n’avaient plus pignon sur rue. Un nouveau leader est apparu et a eu le doigté de surfer sur la vague grégaire de sa communauté. (Il est entendu que le PNP sans la communauté Kotokoli ne pèserait rien sur l’échiquier. Mais là n’est pas le problème. Un mal peut en guérir un autre.) Tout au long de la vie de la C14 des voies neutres s’étaient élevées pour proposer des mécanismes d’organisation et de fonctionnement, des conclaves de concertations, des stratégies de négociation et de diplomatie : elles se sont heurtées au mur aveugle du repli frileux des leaders partisans.
Le manquement le plus grave de la C14 est d’être demeurée un rassemblement de partis politiques. Elle n’a pas eu le courage de saisir l’opportunité de s’adapter aux couleurs de son temps: établir des passerelles avec toute la société civile et la diaspora, ouvrir des couloirs avec les bienveillants « experts du changement », socialiser avec la presse engagée et vendre à la masse l’idéal du changement qui est le soubassement des innombrables appels à la mobilisation. La C14 n’a été à ces égards qu’une coquille vide, qui mourut de sa propre mort lorsque quelques-uns de ses membres ont eu la ténébreuse inspiration de se prévaloir de leurs propres turpitudes. Ils voulaient tirer leur épingle du jeu après avoir mis la main dans la saleté. En cela, comme en bien d’autres choses, nos détracteurs se trompaient.
Le dialogue pouvoir-opposition sous l’égide de la CEDEAO a échoué. C’était une victoire des forces conservatrices du parti UNIR et de leur galaxie de « saprofites ». La conséquence est que les élections législatives de 2018 furent logiquement boycottées par l’opposition. Aujourd’hui, certains réactionnaires racontent opportunément qu’il eût fallu y participer quand même. N’importe quoi ! Il est toujours facile de dénoncer après coup.
Ces élections de façade procédaient du torpillage programmé du dialogue et des réformes politiques. Quiconque constatait l’entourloupe ne pouvait s’y engager tout en restant dans la logique de contestation et de soulèvement prônée par les forces dominantes de la C14. Cela ne pouvait être autrement dans les circonstances du moment. Les élections locales qui s’en suivirent étaient quant à elles consécutives à la capitulation de la C14. Le regroupement n’était plus le même et on ne pouvait plus rien en attendre objectivement. Mais en cela comme en bien d’autres choses, nos détracteurs se trompaient.
Présidentielle 2020: un scrutin anormal mais important
Du côté du régime Gnassingbé, cette élection est dans la même logique que les législatives et les locales qui se sont tenues dans l’objectif de sauvegarder le système. En vérité UNIR aurait préféré y aller seul. Ayant prétendument appliqué la feuille de route de la CEDEAO, le pouvoir a réussi son pari de remettre en course son champion Faure Gnassingbé. S’il était homme d’honneur et de consensus, il ne devrait pas voir le « compteur à zéro ». Mais que peut-on attendre de celui qui a patrimonialisé l’Etat et ne demande qu’à continuer à se servir de l’armée et de l’appareil de l’Etat pour se maintenir au pouvoir ?
Les difficultés autour de la participation des forces de l’opposition à la présidentielle 2020 procèdent des cafouillages de la C14. Puisqu’on n’a aucun objectif commun, chacun fait son affaire à sa manière. Mais la divergence n’est plus seulement au niveau des approches. Les adversaires de la dictature se détestent. Ils n’ont aucun point d’ancrage et réfutent tout projet de concertation. C’est cet égocentrisme destructeur qui avait poussé Mgr Philippe Kpodzro à se mêler de candidature, comme étape vers l’alternance pour laquelle il s’est décidé de s’engager.
Il a œuvré à sa manière, avec un plan qui, à l’entendre, répondrait plus d’une logique spirituelle que politique ou technique.
Auparavant, l’ancien Evêque d’Atakpamé tentait de faire comme nous à partir de 2016 : approcher un tant soit peu le prince Faure et tenter de lui vendre les vertus du changement et de l’alternance. Mais, comme nous quelques mois auparavant, l’Archevêque émérite de Lomé n’a pas eu accès au palais présidentiel… De Médiateur providentiel, le prélat était devenu catalyseur d’une opposition qu’il voudrait enfin gagnante. Il usa de courage (et de maladresse aussi).
Prenant ses distances d’une Conférence Épiscopale du Togo devenue trop attentiste, il a pris son bâton de pèlerin pour aller au contact des partis politiques. Il a œuvré à sa manière, avec un plan qui à l’entendre répondrait plus d’une logique spirituelle que politique ou technique.
Personnellement, j’étais convaincu depuis de longues années que le changement de régime ne pouvait se produire dans notre pays à la manière d’un tsunami. Il faut lire mon essai « Togo, le prix de la démocratie » pour connaître ma pensée sur la question. Nous sommes toujours à l’étape de l’invention de la « solution togolaise » à notre mal atypique.
En soutenant à partir de 2018 la solution du retour et de la candidature de l’ancien ministre François Boko, nous voulions matérialiser la rupture d’avec le statu quo par la mise en place d’un système politique innovant axé sur une offre politique perméable avec certains avatars de notre politique… Le dossier n’est pas clos. La présidentielle 2020 n’est pas une élection normale, au sens d’une consultation organisée dans un cadre normatif et institutionnel qui répond aux standards internationaux; et de notre point de vue elle ne devrait pas ressembler à tous les scrutins précédents des deux dernières décennies au Togo. Ce n’était pas qu’une simple proclamation au sens de notre projet à nous! Il fallait une réponse stratégique appropriée à la gloutonnerie du RPT-UNIR.
Au-delà de la candidature, un plan de conquête et de gestion du pouvoir d’Etat
Au Togo aujourd’hui, il serait hasardeux voire suicidaire d’entrevoir la solution de l’ankylose de l’opposition par une simple participation à l’élection présidentielle. L’opposition politique est en panne grave. Elle connait une grande désaffection en son sein et ne jouit plus du soutien de principe d’une grande partie de la diaspora politique. Elle n’a plus de véritable béquille au sein de la société civile comme ce fut le cas dans les années 90. C’est pour cela qu’il faut vite fermer la page des candidatures pour travailler à faire de l’opposition une force capable de remporter la prochaine présidentielle. C’est loin d’être une évidence. Et cela passe par trois étapes clés :
- Constater les candidatures multiples et potentiellement complémentaires et travailler à leur rapprochement en temps utile;
- Amener les différents groupes à formuler des offres politiques et un plan de campagne cohérent, le tout porteur d’alternance et de renouveau politique pour tout le Togo ;
- Faire ce que doit à l’intérieur et à l’extérieur du pays pour neutraliser les capacités de nuisance du régime et favoriser la victoire d’un opposant.
Je n’ai pas été surpris que Jean-Pierre Fabre ait refusé de s’aligner sur le candidat proposé par Mgr Kpodzro. Parce que Fabre est un politique et il répond d’un parti politique qui a sa logique. Ensuite, on ne peut faire l’économie des divergences au sein des forces d’opposition. C’est pour cela qu’il fallait juste prendre acte qu’un acteur majeur de l’opposition ait décidé de tenter sa chance à nouveau. Il ne resterait dès lors qu’à voir comment faire pour que les deux candidats ne se neutralisent pas sur le terrain au profit de la dictature.
Faire comprendre, avant même la campagne, pourquoi Agbéyome Kodjo mieux que quiconque serait l’homme de la situation.
Pour le moment, je ne suis pas personnellement motivé pour me rallier à la candidature de Gabriel Agbéyomé Kodjo. La raison en est simple et n’a rien à voir avec le personnage lui-même. Le problème est que l’argumentaire qui a servi de soubassement à la proposition de Mgr Kpodzro n’est pas suffisant pour entrainer notre adhésion spontanée à son choix. Et ce n’est pas la faute au prélat. L’ancien président de la conférence nationale et son équipe (le Comité des sages) ont porté un processus évolutif qui a connu plusieurs séquences. Vers la fin, il était clair que le profil du candidat idéal était dessiné d’avance et connu voir téléguidé. Et dès que ce dernier a été annoncé, il n’y a eu aucune marketing politique pour nous dire le projet qu’il porte et ce qu’il attendrait des « forces démocratiques ».
Ce n’est bien sûr pas ma modeste personne qu’il est besoin de convaincre: ce sont les Togolais de tous bords, à qui il faut faire comprendre, avant même la campagne, pourquoi Agbéyome Kodjo mieux que quiconque serait l’homme de la situation.
La première erreur du candidat (qui découle d’une autre erreur du comité des sages) a été de croire que lesdites forces sont uniquement représentées par les partis politiques. Or ces derniers connaissent une récession en termes d’image et de crédibilité et à ce titre sont loin d’être représentatifs des acteurs du changement dans notre Togo d’aujourd’hui.
Le scrutin est prévu pour le 22 février 2020. L’écueil majeur pour l’opposition est de s’y engager les bras ballants sans prendre en compte les deux grands vecteurs d’une victoire potentielle : les moyens d’action (ressources en tous genres mais celles financière avant tout) et le monitoring du processus électoral. En ces deux choses, comme en d’autres d’ailleurs, les adeptes de la candidature unique sont très en retard.
A la suite du soutien (du bout des lèvres … et de la plume) de la C14 (les 5 partis restants dans l’ancien regroupement), on peut dire que deux candidats majeurs se dégagent : Agbéyomé et Fabre. On devrait encourager chacun à aller au bout de sa logique en recrutant dans toute les écuries des forces démocratiques, en espérant que l’un des deux parvienne à battre le candidat UNIR au premier tour, ou à défaut le contraigne à un second tour, pour au finish lui asséner le coup fatal… Mais en cela comme en bien d’autres choses, nos amis politiques ne semblent pas utiliser les approches pertinentes.
Dany Ayida,
04 janvier 2020, Par-delà le bien et le mal et par amour de la patrie.
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