Établi en France depuis 2005, l’ancien ministre François Boko veut rentrer au pays et défier dans les urnes le président sortant Faure Gnassingbé. Pas gagné.
Sa décision est prise. Jeudi 28 mars, sauf coup de théâtre, l’avocat franco-togolais François Boko débarquera vers 17h45 à Lomé à bord d’un vol Air France venu de Roissy via Abidjan (Côte d’Ivoire). Muni, faute de mieux, de son passeport français et flanqué d’un conseil américain. Qu’adviendra-t-il à sa descente d’avion ? Mystère. Au mieux, rien de spécial. Au pire, l’ancien ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de la Décentralisation du Togo (2002-2005), qui vit en exil dans l’Hexagone depuis quatorze ans, sera interpellé et placé en garde à vue.
Compte à rebours
Pour ce Saint-Cyrien, formé jadis au côté de l’actuel chef d’état-major des armées François Lecointre au sein de la promotion Général-Monclar (1ère Compagnie, 2e Section), cet incertain come-back obéit à une prescription légale impérieuse. Désireux de briguer au printemps 2020 la magistrature suprême, il doit avoir résidé au pays natal tout au long des douze mois précédant l’échéance. Guère le choix, donc, sous peine de voir sa candidature invalidée. Même si la date précise du scrutin reste à fixer -mars ou avril selon toute vraisemblance-, le compte à rebours est enclenché .
Officiellement, le président en exercice Faure Gnassingbé, aux commandes depuis 2005 de ce petit pays ouest-africain, coincé entre le Bénin et le Ghana, n’a rien contre un tel retour. C’est du moins ce qu’il assure, le 11 novembre 2018, au quatuor d’émissaires mandatés par Me Boko, emmené par Bruno Clément-Bollée, général à la retraite familier des conflits subsahariens et des processus de désarmement et de réinsertion des combattants, et par l’avocat honoraire Alain Fénéon.
« Pas d’instructions »
En apparence, aucun écueil ne devrait entraver le dessein du revenant. Un temps, une rencontre entre celui-ci et le fils et successeur de Gnassingbé Eyadéma, qui régenta le Togo à la cravache trente-huit années durant, fut même envisagée à Addis Abeba (Ethiopie), siège de l’Union africaine. Pour le reste, l’ex-officier devenu juriste devait simplement s’astreindre à un gymkhana administratif classique : obtenir une copie d’acte de naissance -c’est fait- ainsi qu’un duplicata de certificat de nationalité, vainement réclamé depuis des mois, afin que puisse être établi, par l’ambassade à Paris, un nouveau passeport togolais.
A l’évidence, ça coince, malgré les multiples démarches de relance entreprises par les mandataires de Me Boko. Idem pour la mise au point des garanties de sécurité relatives à ses futures activités. Argument invoqué par les autorités supposées compétentes : « Pas d’instructions venues d’en haut… »
Un come-back « pas souhaitable »
Ainsi, tout se passe comme si la présidence avait opté pour la tactique de l’enlisement : feindre d’avaliser le scénario du retour, et, dans l’ombre, s’échiner à le saborder. Au-delà de l’apathie suspecte des acteurs concernés, plusieurs indices tendent à étayer cette hypothèse. Raccompagnant ses hôtes au terme de l’audience du 11 novembre, « Faure » prend l’un d’eux à part et lui glisse cet aveu sibyllin : « Ce n’est pas aussi simple que ça. Vous recevrez sous peu de nouvelles informations. »
De fait, quelques jours plus tard, un envoyé du chef de l’État déboule à Paris. Son message ? « Le patron ne juge pas ce come-back souhaitable. » En clair, il y a de la duplicité dans l’air. Quant à l’accord de principe de Gnassingbé Jr, il a du plomb dans l’aile. « Appuyez-vous fermement sur vos principes, aimait à dire Oscar Wilde, ils finiront par céder. »
Une plainte providentielle
Autre détail troublant : à en croire François Boko, la Cour constitutionnelle de Lomé, connue pour sa souplesse d’échine, plancherait sur l’avancement à février du rendez-vous avec les urnes. Un dernier signe pour la route ? Depuis la mi-mars, des médias togolais et des réseaux sociaux réputés proches du palais exhument une « plainte pour désertion » déposée paraît-il en 2005 par l’état-major des Forces armées togolaises à l’encontre de l’ancien ministre. Voudrait-on le dissuader de s’obstiner et faire planer le risque d’une arrestation qu’on ne s’y prendrait pas autrement. « La procédure est antidatée, avance l’intéressé. A l’époque, ma démission puis mon exfiltration avaient été dûment négociées via des canaux diplomatiques, américains et français notamment. »
En amont de son opération retour au bercail, l’avocat a d’ailleurs pris soin de passer par la case Washington, où il a notamment été reçu au département d’Etat et au Congrès. De même, il tient régulièrement informée la cellule africaine de l’Elysée, qu’anime Franck Paris, ex-condisciple d’Emmanuel Macron au sein de la promotion Léopold Sédar-Senghor de l’ENA.
Des voisins très éloignés
Cette partie de bonneteau survient dans un contexte électrique. Depuis la mi-2017, et en dépit de la tenue d’un « dialogue politique » erratique, les opposants togolais exigent à coups de marches et de manifs rudement réprimées la démission du chef de l’Etat. Même si tout indique que la coalition C-14, alliance de partis contestataires qui avait boycotté les législatives du 20 décembre dernier, tend à se déliter.
Une certitude : Faure compte bien décrocher l’an prochain un nouveau bail ; et il n’a aucune envie de voir surgir dans l’arène un trublion susceptible de lui disputer l’électorat nordiste. Pour l’anecdote, huit kilomètres à peine séparent Kara, son fief familial, de Tchitchao, le village natal du rival putatif. Si certains analystes fantasment sur un rapprochement de ces deux figures d’ethnie kabyé, voire sur une paix des braves et l’émergence d’un « ticket » qui propulserait Boko à la primature, le montage ne tient pas la piste. « On en est très très loin », commente-t-on sobrement à Paris.
Le général épinglé
Un anachronisme françafricain plane sur ce jeu de dupes. Il était tentant d’imaginer, dans le rôle du cerveau de l’opération TSB (Tout sauf Boko), le juriste dévoyé et virtuose du bricolage constitutionnel Charles Debbasch, qui a rang de ministre à Lomé. Mais à en croire des sources concordantes, c’est bien à l’ex-général Raymond Germanos, « conseiller spécial pour les questions militaires » de Faure depuis octobre 2013, que reviendrait l’honneur douteux de manoeuvrer dans la coulisse. Ainsi, près de six décennies après l’indépendance, un ancien cinq-étoiles tricolore, qui fut chef du cabinet militaire de deux ministres de la Défense, directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale et Inspecteur général des Armées, s’emploie à torpiller un gage d’ouverture aléatoire.
Il est vrai que l’homme n’est plus à une turpitude près. En avril 2010, il s’est vu condamner à dix mois de prison avec sursis pour détention de milliers d’images pédopornographiques. Rien à voir ? Soit, à une nuance près : Faure Gnassingbé, qui compte parmi ses visiteurs réguliers -et généreusement rétribués- un certain Dominique Stauss-Kahn, gagnerait à choisir avec plus de discernement ses Raspoutine bleu-blanc-rouge.
Me Boko prend-il un risque en s’envolant pour Lomé ? « Oui, glisse-t-on à l’Élysée, où l’on suit ce bras-de-fer avec attention. Mais en l’interpellant à l’arrivée, le pouvoir togolais en prendrait un aussi. Que chacun assume ses responsabilités. » Attachez vos ceintures : zone de turbulences en vue.
Source: L’Expess
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