« Duga » ou le charognard en langue bambara est le film réalisé par Abdoulaye Dao avec Eric Lingani. Il est en compétition officielle pour « l’Etalon d’Or de Yennenga. » Dans cette interview que le réalisateur de la sitcom à succès « Vis-à-vis » nous a accordée, il nous en dit davantage sur son long métrage. Est-il confiant pour le prestigieux prix Fespaco ? L’homme pense en tout cas qu’artistiquement et techniquement, il est arrivé à faire ce qu’il avait prévu de faire.
Lefaso.net : Vous partez au Fespaco avec le film « Duga ». Que veut dire « Duga » ?
Abdoulaye Dao :« Duga » signifie charognards en langue bambara. C’est une histoire qu’un ami m’a contée. On a mis en place un petit comité de réflexion. On a jeté des idées pêle-mêle. Après, on a fait appel à un scénariste en la personne de Guy Désiré Yameogo. J’ai l’habitude de travailler avec lui. Il a fait le scénario, qui a été retouché plusieurs fois après.
Vous avez réalisé beaucoup de films avec différentes thématiques. Que racontez-vous dans ce film Duga ?
C’est une histoire ordinaire mais qui a un contenu extraordinaire. C’est un déflaté des mines qui apprend un matin que son ami est décédé. Il se rend à l’hôpital pour apporter du réconfort à l’épouse de ce dernier. Toute la journée, il va se balader avec le corps de son ami parce qu’il y a beaucoup d’obstacles. Le transporteur refuse de prendre le corps du défunt parce que l’argent proposé ne lui convient pas.
Par la suite, Il finit par accepter. Donc il y a le parcours, ensuite le village qui dit que c’est mieux de ramener le corps. Ils vont voir les confessions religieuses. Rien ne fonctionne. Donc le corps est trimballé de gauche à droite pendant toute la journée. C’est l’histoire principale.
Y a-t-il une histoire secondaire ?
Il y a une histoire secondaire. Justement, des jeunes sont voisins de ce monsieur. Ce sont les charognards. Ce sont eux finalement qui vont aider ce monsieur à enterrer de façon digne son ami. Un des leurs, pendant ce temps, avait recueilli un enfant abandonné. C’est un bébé.
Il y a cette petite histoire qui se raccroche. Il y a deux histoires donc qui se côtoient. Finalement, elles se retrouvent à la fin du film. Le défunt s’appelle Pierre. L’enfant, les jeunes décident de le nommer Pierre. Pierre, pour retrouver un peu cette théorie qui dit que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Quand on fait un film, on mène une réflexion sur un thème. J’imagine qu’avec « Duga », vous voulez véhiculer certainement un message.
C’est l’amitié, la solidarité, le vivre ensemble et un certain regard sur les confessions religieuses. Actuellement, il y a plein de petits prophètes tapis dans l’ombre. Ils sont en réalité des ignorants. Ils interprètent très mal les différents textes des religions. C’est l’ignorance.
Malheureusement, l’ignorance engendre la peur de l’autre. La peur de l’autre engendre la haine. La haine finalement engendre la violence. C’est ce que nous constatons aujourd’hui dans ce monde. Les thèmes du film sont l’amitié, la solidarité et le vivre ensemble.
Les réalisateurs dans la grande majorité crient à tort ou raison qu’il est difficile de faire des films sous nos tropiques. Cette fois-ci les Burkinabè ont eu le soutien de l’Etat. Cela a certainement réduit les soucis.
J’aimerais dire merci au ministère de la Culture et à la présidence du Faso. Ce sont eux qui ont permis que ce film soit réalisé. Néanmoins, le temps imparti me parait extrêmement court. Après l’appel à projet, ça a mis beaucoup de temps pour le déblocage financier. Ça ne nous a pas permis au niveau de la préparation d’être vraiment au top.
Il y avait aussi l’autre facette du problème qui a compliqué les choses. C’est surtout la saison. C’était la saison des pluies. La zone de la boucle du Mouhoun où nous avons tourné a été bien arrosée. Cela a été extrêmement compliqué au niveau du tournage. On avait prévu un mois mais finalement, c’était un mois et demi. En même en temps, je dis il fallait s’y attendre.
Je dis souvent que tous les problèmes des créateurs sur la terre sont pareils. Il ne faut pas se morfondre. Il faut plutôt chercher des solutions. Il ne faut pas pleurnicher. Cela été difficile mais au bout, ce qui est intéressant, et ce qui me console, c’est que je pense qu’artistiquement et techniquement, on est arrivé à faire ce qu’on a prévu de faire.
Artistiquement et techniquement, Abdoulaye Dao est confiant pour la conquête de l’Etalon d’Or.
J’ai une histoire que j’ai racontée. En mettant toute mon énergie, ma vision, ma philosophie, ma poésie, j’espère d’abord qu’il va passer, que le public va l’accepter. Je ne pense pas d’abord à un prix. Je pense à raconter pleinement l’histoire, qu’elle soit comprise, que les gens l’acceptent. Le prix est vraiment une affaire d’hommes, de jury, des gens qui regardent. Je n’ai pas fait le film pour forcément prendre un Etalon. C’est pour le public d’abord.
Le Fespaco célèbre cette année son cinquantenaire. Un réalisateur comme vous a sûrement des attentes.
C’est un grand moment. 50 ans, ce n’est pas 50 jours. C’est l’âge de la pleine maturité. C’est le moment aussi où il faut mettre les choses sur la table et avoir une vision très claire du cinéma et de l’audiovisuel en Afrique. Je crois que ça va permettre à tous les acteurs de se rencontrer, d’échanger.
C’est l’occasion aussi de prendre des décisions vigoureuses et rigoureuses. C’est pour qu’à partir des 50 ans à venir, l’audiovisuel du cinéma africain compte parmi les audiovisuels et les cinémas du monde en termes de qualité, de pourvoyeur de devises et d’emplois. Je pense également que l’un des aspects les plus importants sont les fora et les ateliers.
C’est la formation des jeunes qui arrivent dans ce métier. Il y a des jeunes qui aiment ce métier, qui arrivent dedans. Seulement, ils n’ont pas de formation dès la base. Ils utilisent le matériel parce qu’il est maintenant à portée de tout le monde. Je ne suis pas aussi vieux mais quand nous sortions de l’institut du cinéma à l’époque, tu ne pouvais pas tout de suite avoir une caméra et un appareil de son pour travailler ou aller faire des montages.
Comment se passaient les choses à votre époque ?
Il fallait rester assistant pendant des années avant d’y aller. 3, 4, 5 ans. Mais aujourd’hui, quand les jeunes sortent des écoles, tout de suite, ils ont du matériel. Donc ils peuvent essayer des choses. Même ceux qui ne sont pas partis dans les écoles, ils essaient des choses. Ça c’est un peu dangereux. Il faut d’abord comprendre le cheminement du métier. C’est important.
Etre également discipliné. Il y a une discipline dans le métier. Il faut avoir aussi la grammaire du langage filmique. Il y a tout un ensemble de choses qu’il faut avoir. J’imagine que quelqu’un ne se lève pas comme ça, se rendre à l’hôpital prendre un bistouri et dire que je suis un médecin, je vais opérer. Tu vas ouvrir mais tu ne vas pas refermer.
Que préconisez-vous pour redonner au cinéma burkinabè et africain ses lettres de noblesse ?
La formation est importante. Il faut aussi codifier le métier. Pourquoi ne pas penser à un ordre ? Les autres métiers (les avocats, les médecins…) le font. C’est pour que l’audiovisuel, le cinéma deviennent une industrie demain. Il faut que ce soit bien codifié. Que les produits qui vont sortir soient des bons produits. Ils doivent être en mesure d’entrer en compétition avec les autres produits.
Si les autres font des voitures de luxe et que toi tu viens faire une voiture qui ne tient pas la route, qui n’a pas de bons pneumatiques, personne ne va en acheter. C’est exactement cela.
Vous avez réalisé plusieurs films, des sitcoms également. Il y a toujours une création qui marque son auteur. Vous ne faites pas l’exception j’espère.
J’avoue tout de suite que ce qui m’a le plus marqué, et ce qui m’a permis de me tromper, de commencer et de recommencer à faire des choses, c’est bien la toute première émission que je faisais pour la télévision. C’est « Vis-à-vis ». J’ai appris à travailler avec des comédiens. J’ai osé des choses avec des techniciens. J’ai appris à travailler avec des jeunes. Je suis resté avec eux. Jusqu’à présent, je travaille avec beaucoup de jeunes.
La preuve, c’est que ce film, je l’ai coréalisé avec Eric Hervé Lingani. Il est un des jeunes qui est venu avec moi il y a 20 ans sur l’émission « Vis-à-vis ». J’ai appris à avoir beaucoup de patience. C’est le moment de l’audiovisuel qui m’a le plus marqué. Je me suis trompé beaucoup de fois. Mais, j’ai appris aussi énormément. Comme on le dit dans notre jargon, j’ai monté, démonté et remonté jusqu’à la perfection.
Avez-vous un message à l’endroit des cinéphiles pour le cinquantenaire du Fespaco ?
Je leur souhaite bon festival. J’espère que ça va se passer dans de très bonnes conditions. Je souhaite plein succès aux différents forums, ateliers. J’espère qu’à l’issue des travaux, les résultats soient reversés au niveau des décideurs pour être mis en application. Ainsi, pour que dans les 50 ans à venir, le cinéma et l’audiovisuel africains soient vraiment compétitifs au niveau international.
Propos recueillis par Dimitri OUEDRAOGO
Lefaso.net
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