Ce n’est pas une légende urbaine. Le président guinéen a un franc-parler qui décoiffe. Enseignant de droit dans un passé lointain, le professeur Alpha Condé ne s’embarrasse pas pour autant de circonlocution. Malinké, il fuit les enflures de sa langue maternelle. C’est un tout-droit. Lors de la énième partie du dialogue intertogolais, Mme Brigitte Adjamagbo-Johnson et le ministre Payadowa Boukpessi ont fait les frais du style décapant du chef de l’Etat guinéen. Sa méthode diffère du Ghanéen. Nana Akufo-Addo est soft, diplomate même. S’il a par exemple reproché au pouvoir d’avoir travesti sa parole quant à l’interdiction des manifestations de la Coalition, il évite de le dire publiquement. A l’opposé, le Guinéen, en bon Malinké élevé dans un milieu soussou, rue dans les brancards médiatiques et déballe tout. A l’Hôtel du 2 février, Alpha Condé est passablement énervé. Pour la première fois, il est confronté à la course de haies que subit le facilitateur ghanéen Akufo-Addo. Comme à l’accoutumée – c’est ainsi que procède Akufo-Addo -, les facilitateurs rencontrent chacune des parties en aparté avant de soumettre leur synthèse à la plénière. La délégation du pouvoir ouvre le bal. Elle est composée du Premier ministre Komi Klassou, Payadowa Boukpessi, ministre en charge de la Décentralisation, du général Damehane Yark , en charge de la Sécurité, et du très volubile Gilbert Bawara, ainsi que des membres du parti UNIR. Une belle brochette du saint des saints. Alpha Condé et Akufo-Addo demandent aux émissaires de Faure Gnassingbe leur proposition pour une sortie de crise. La délégation reste taiseuse et se vautre dans les fauteuils regardant honteusement les présidents comme de petites frappes de quartier pris en flagrant délit de vol de poulets. Ils sont venus les mains vides et semblent n’avoir pas l’aplomb pour parler au nom du gouvernement ou de leur parti. Surpris d’une telle absence de pouvoir de la part de politiques pourtant considérées comme des gens de pouvoir, Alpha Condé recommande qu’on
fasse appel à Faure Gnassingbé.
Les marionnettes de Faure Gnassingbe
Dans l’intervalle, les deux facilitateurs reçoivent la Coalition. On connait la suite : les réformes normatives, l’offre d’un gouvernement de Transition et le monitoring international des législatives, l’arrivée de Faure Gnassingbé, et cette synthèse alambiquée des deux facilitateurs quant à l’organisation ou non des élections en novembre. A juste titre, Brigitte Adjamagbo-Johnson entrave couic du texte et demande des éclairages. Alpha Condé intervient pour remonter les bretelles à la coordinatrice de la C14 avec un «Brigitte, je parle français!».
Ce qui a le don de susciter un rire gras chez le grassouillet Boukpessi qui s’agitait dans son fauteuil comme un cul-terreux de Sotouboua. Ce manque d’élégance du ministre n’a peut-être pas échappé à l’attention de Condé. Alors quand le ministre en charge de l’interdiction des manifestations intervint pour protester contre l’observation de Brigitte Adjamagbo-Johnson quant à l’impossibilité d’organiser les élections en novembre prochain, le président guinéen est énergique : « Tais-toi ! Tais-toi là-bas ! Tout à l’heure quand il s’était agi de parler au nom du gouvernement, vous étiez incapables de l’ouvrir, non ? On n’était pas obligés de faire appel à votre chef ? Est-ce que tu es le président du Togo ? Tu es le deuxième président du Togo ? ». Silence sépulcral dans la salle. Au sortir de la rencontre, la délégation gouvernementale montre une fois de plus qu’elle n’a pas voix au chapitre. Gilbert Bawara évite dans un premier temps la presse, déclarant n’avoir rien à dire. Mais après un conciliabule avec Komi Klassou et moult appels téléphoniques, Gilbert Bawara retrouve sa voix et revint vers la presse. On l’aura compris, et la preuve est faite avec ce dernier avatar du dialogue intertogolais que les membres du gouvernement sont des marionnettes et n’ont aucune légitimité ; les vrais décideurs sont ailleurs. Et Faure Gnassingbe parle en leur nom.
Tony Feda
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