Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, sous le commandement des forces armées du pays après la mort de son père Gnassingbé Eyadema (1967-2005) Faure Gnassingbé fait face à la plus grande contestation de son règne. Depuis le 19 août, les manifestations organisées par des partis de l’opposition politique vont en s’amplifiant. Engoncé dans son fauteuil présidentiel, entouré par ses plus proches fidèles, le fils héritier suit les événements et cherche une voie de sortie pour lui.
Un effet de surprise
Au-delà de l’apparition du parti PNP de Tikpi Atchadam qui a su en un temps record retourner contre le régime les effets de son lourd passif politique et social, rien de ce qui se passe au Togo n’était imprévisible. Faure Gnassingbé a entamé son troisième mandat en Mai 2015 avec l’assurance de séduire les Togolais par ses réalisations sur le plan social. Le précédent quinquennat était consacré essentiellement à faire émerger quelques infrastructures routières (et aéroportuaires). Des investissements (massifs) dans la jeunesse et la microfinance pour les femmes, devraient avoir pour conséquence de faire de l’homme le dirigeant providentiel dont les Togolais n’oseraient se séparer.
Mais le régime connait une crise de l’intérieur. La corruption a atteint un niveau inégalé et le groupe autour du chef manque de cohésion. Le gouvernement officiel du pays avec à sa tête Komi Klassou (un pur produit du système Eyadema) n’a pas toutes les cartes en main. Faure est entouré d’un cabinet quasi-privé composé de gens de divers profils, dont ses amis de jeunesse qu’il a lui-même recrutés. Ils sont dotés d’importants pouvoirs quoique manquant de prise sur l’Administration publique. Celle-ci est restée entre les mains d’un cercle de collaborateurs de catégorie spéciale : on y retrouve des militaires, des survivants des années de gloire d’Eyadema et quelques commis, hommes et femmes qui ont des attaches spéciales avec le boss. Plusieurs membres de la famille présidentielle siègent dans ce groupe. Ces personnes ont beaucoup d’influence sur le gouvernement officiel et le cercle des « amis technocrates » du président. Tout porte à croire que c’est lui qui détient la carte des renseignements civils et militaires. Le cabinet privé a dû faire appel aux services israéliens pour organiser un curieux système de contre-espionnage, dont les principales cibles sont des partenaires du pouvoir. Mais personne ne semble avoir vu venir la vague qui réclame le départ du chef!
Réformer ou périr
Le plus grand péché politique de Faure Gnassingbé est de ne pas vivre dans son temps et de ne pas connaitre le peuple dont il croit être le chouchou. Alors que les fuites des consultations de la commission sur les réformes fournissaient un indicateur crédible du niveau de désespérance de la population, le parti au pouvoir n’y voyait que des verbiages de quelques agités « manipulés par l’opposition ». Il n’a jamais été question pour Faure Gnassingbé de suivre l’une ou l’autre voies qui l’amèneraient à opérer une ouverture dans le système dont il a hérité. L’opposition politique (traditionnelle) était maîtrisée ; casée à l’Assemblée nationale pour faire semblant et se taire. La société civile est mise sous éteignoir par le gouvernement qui lui donne régulièrement quelques os à sucer, avec l’aide de quelques partenaires internationaux qui ne misent plus sur la démocratie au Togo. Le PNUD et l’Union Européenne sont de ceux-là… La communauté internationale n’attend plus rien d’un pays qui parait stable, au pied d’une région sahélienne sous le feu des djihadistes.
Faure Gnassingbé était alors convaincu qu’il avait tout le temps pour opérer quelques réformettes avant la présidentielle de 2020, et s’arroger « proprement » un quatrième mandat.
Devant la fougue populaire, la résistance
Les événements actuels ont révélé au fils de Gnassingbé Eyadema qu’il n’est point aimé par le peuple et qu’il a été toujours trompé par les siens. Mais sa marge de manœuvre est des plus étroites. Ayant fait recours aux conseillers les plus retors en la matière l’homme Faure de Lomé joue la résistance. Son plan se résume en trois points :
- Engager un processus de réforme constitutionnelle qui va se solder dans tous les cas par sa victoire,
- Miser sur l’usure de la population mécontente ;
- Diviser ou corrompre des opposants gênants.
Faure Gnassingbé doit avoir fini par se convaincre de l’inefficacité (voire la dangerosité) de son parti UNIR. Ce parti qui n’est qu’un conglomérat de courtisans déchus, d’opposants réformés et de parvenus d’une nouvelle classe moyenne togolaise ne fait pas le poids face à la grande mobilisation populaire, portée par la coalition de l’opposition. Tout le pays (y compris le Nord) est gagné par le syndrome du rejet. Les Togolais ne veulent plus de réforme, ils veulent le départ de l’héritier du trône. La prise de position par la Conférence des Evêques du Togo le 17 Août dans le sens des revendications populaires a donné le coup de grâce. Mais les chefs de l’Eglise catholique ont fait une analyse juste ; il faut être complètement fou pour oser aller à l’encontre du désir de changement si clairement exprimé par les populations !
Malgré la gravité de la situation, le prince ne compte pas laisser prise. Il croit pouvoir aller à l’encontre des exigences populaires en engageant une réforme constitutionnelle dans son intérêt exclusif. Le référendum que les députés d’UNIR ont acté le 19 septembre en activant l’article 144 de la constitution va se solder par la victoire du fils héritier. Si les Togolais votent OUI, Faure aura droit à deux prochains mandats. S’ils votent NON, il a un boulevard pour régenter à vie !
En procédant ainsi, Faure ne fait que suivre l’exemple de son père. Une forme de tactique militaire à la fois de diversion et de coup brutal, pour avoir le dessus sur l’ennemi qui croyait avoir de l’ascendance…
En fermant les réseaux sociaux et en censurant l’Internet, le régime veut réduire le mécontentement populaire à la portion la plus congrue. La diaspora devenue « dangereuse » ne pourrait plus continuer à pousser à la révolte. La presse internationale n’allait plus relayer la grogne et surtout le virus des informations en réseaux allait s’estomper. A Lomé 2, on est convaincu que le rejet manifesté par les centaines de milliers de Togolais ces derniers jours n’est qu’un feu de paille ; comme en 1992-1993 (grève générale illimitée…). On se prépare alors à une longue résistance qui va finir par user la population et la ramener à une position plus conciliante.
La vieille recette
L’opposition politique au Togo est pauvre (financièrement et parfois stratégiquement) et cela est connu des dominateurs. C’est pour cela qu’au sein du pouvoir, on brille par moult conjectures et accusations pour comprendre et expliquer « d’où vient l’argent » utilisé par les opposants présentement. Certains sont convaincus que ce sont des pays arabes qui ont financé des adversaires du régime pour sanctionner Gnassingbé d’avoir noué un pacte avec Israël et accepté d’organiser un sommet réunissant le Premier Ministre de ce pays avec des leaders africains au Togo… D’autres pointent la diaspora, sans trop y croire, puisqu’ils sont conscients des capacités contributives de l’opposition en exil. Des montages se font (et se défont) pour essayer de confondre certains dirigeants de l’opposition rénovée. Mais le plus grand coup qui se prépare vise à diviser la coalition. Si les intimidations ne marchent pas, la corruption financière serait utilisée pour affaiblir le regroupement qu’au sein du pouvoir certains qualifient de « contre-nature ».
Faure réussit pour le moment à faire l’unanimité contre lui. Et en dépit de toutes les prédictions, il n’est pas exclu que dans son propre entourage, certaines personnes décident de prendre leur distance, avant que le navire RPT-UNIR ne chavire définitivement.
K. Agboglati
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