A l’initiative d’un couple Togolais, le Centre international de l’agro-pastoralisme forme la population à l’agroécologie, à la cuisine et à la transformation des produits. Où comment sortir de la fatalité et de la pauvreté grâce à de nouvelles méthodes agricoles. Reportage dans le village de Baaga, au nord du pays, où les récoltes s’améliorent.
Cet article a initialement été publié dans le dernier numéro du journal L’âge de faire.
Des éclats de voix et des rires de femmes affairées résonnent à l’ombre du bâtiment agricole. Devant elles, des tas de grains de maïs jonchent les chapes de béton. Minutieuses, les huit femmes trient les céréales patiemment. Toutes sont en phase d’apprentissage. Ici, au Centre international de l’agro-pastoralisme (Cidap), dans le nord du Togo, l’objectif est de former la population rurale à l’agro-écologie, une forme d’agriculture qui associe le développement agricole à la protection et à la régénération de l’environnement naturel.
Les apprenties vont dans les champs du Cidap une fois par semaine, dès le lever du jour, pour cultiver les céréales, l’igname, le manioc ou encore le piment. Elles apprennent aussi à transformer les produits et à les cuisiner. Le reste du temps, elles appliquent ce qu’elles ont appris sur leur propre terre. Le centre a été créé en 1984, avec la volonté de « transformer la pauvreté en milieu rural et sortir de la fatalité » comme l’explique son fondateur, Charles Bawiena. Les femmes sont la cible principale, « car ce sont les premières à vivre dans la pauvreté notamment parce que les hommes partent pour chercher du travail », soutient Justin, l’un des responsables togolais de la structure.
Mais le centre est ouvert à tous. Au total, environ 300 personnes fréquentent les sessions qui durent 3 ans. « On cultive mieux et on peut se nourrir correctement. Avant, on ne mangeait pas bien et on avait beaucoup de maladies, et aucun argent pour aller à l’hôpital. Avec la formation au centre, on résout les problèmes » s’exclame l’une des femmes, qui fait partie de l’équipe des 22 salariés du Cidap et reçoit donc un petit salaire.
Certains apprentis ont le désir de créer leur propre entreprise. Le Cidap les encourage concrètement en leur donnant leurs premières semences et leur premier animal. Toutefois, l’objectif principal est l’autonomie des familles. « Il ne faut pas que les gens attendent leur pain de l’extérieur mais qu’ils le produisent d’eux-mêmes. Si je suis paysan, je ne dois pas acheter mon piment mais savoir le cultiver », souligne l’un des responsables. Le centre cible aussi les jeunes de 20-30 ans en proposant une formation diplômante en agronomie, avec insertion professionnelle. Sa renommée est telle qu’il attire également des étudiants des pays voisins : Burkina Faso, Bénin…
Pas d’agriculture sur brûlis
« En changeant de modèle, on peut faire reculer la pauvreté », martèlent les responsables du site. Ce modèle passe par un repositionnement sur « les méthodes agricoles de nos parents, qui ont disparu avec le modernisme » avance Tiyeda Bawiena, la femme de l’initiateur du projet. Les rendements prouvent l’efficacité de celles-ci. De 500 kg de maïs par hectare, 600 tonnes sont désormais ramassées, tandis que la récolte de riz atteint 4,5 tonnes par hectare. « C’est fini d’avoir du riz seulement pour le jour de l’an ! » assure Justin.
« Nous enseignons les techniques de préparation des sols » explique Patrick Bagamna, chargé de l’unité production végétale. Ici, pas d’agriculture sur brûlis, pratique répandue à travers le pays. En plus d’appauvrir les sols, elle les durcit au point de ne plus pouvoir semer. L’alternative est d’enfouir les résidus pour fertiliser les sols. Cela évite aussi la désertification qui menace les pays au climat sec. Pierre, responsable de l’unité élevage, soulève une poignée d’humus : « Lorsque nous nous sommes installés sur ce site, les terres étaient tellement dures que nous avons dû utiliser les barres à mine et burin pour labourer », se souvient-il.
Aujourd’hui, des arbres ont poussé. Patrick continue d’énumérer : « Nous apprenons aussi les techniques de semis, l’entretien avec des traitements naturels et la gestion de l’eau. » L’accent est également mis sur la diversification en alliant maraîchage et élevage. « C’est important d’avoir les deux sur le plan économique, et ça permet aussi de recycler les sous-produits de chaque secteur pour arriver à zéro déchet. Aucune perte ! » se réjouit-t-il.
Catalogues « opposants »
Les techniques se sont mises en place progressivement et de manière autodidacte, mais pas sans mal. Charles Bawiena et sa femme, Tiyeda, se sont heurtés à quelques obstacles. Lui, avec un doctorat en droit international, et elle, institutrice, ont été mal vus de retourner à l’agriculture – un choix considéré comme humiliant dans la pensée dominante. Dénigrés, ils ont perdu leurs amis tandis que le gouvernement togolais les regardait d’un mauvais œil : revenir à la terre, « c’était comme disparaître puisqu’on n’a pas cherché d’emploi parmi les cols blancs. On nous avait catalogués ’’opposants’’ », se rappelle Charles. « Mais c’était un choix de vie, je ne l’ai pas fait pour l’argent mais pour mon peuple. »
Clélia Gauthier (Basta)
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