Simon Worou est un Togolais immigré en France il y a une vingtaine d’années. Il vient de se faire élire maire dans une petite commune de l’Aveyron en France. Son histoire personnelle ressemble à celle de centaines de Togolais qui ont quitté le pays pour chercher leur bonheur à l’étranger. Mais son expérience politique est atypique. Cet homme qui assume sa double nationalité se confie en exclusivité au Temps.
Le Temps : Vous êtes aujourd’hui maire de Sainte-Juliette-sur-Viaur à l’issue des dernières municipales en France. Mais auparavant vous avez été Conseiller municipal dans cette commune. Quel est votre parcours professionnel et politique?
Simon WOROU: J’ai été toujours au devant de l’humain et je suis un humaniste convaincu. Dans mes difficultés j’aimais rencontrer du monde, j’aime Saint Viaur qui fait partie de ma vie. En arrivant ici, par le biais de l’armée je ne m’étais jamais fait une idée de cette partie de la France raciste. On sait qu’il y en a un petit pourcentage qui y vit mais je me suis basé plutôt sur le fait que tout le monde n’est pas comme ce qu’aujourd’hui le Front national (F.N) veut nous transmettre comme image. L’armée, comme vecteur d’intégration avec beaucoup de camaraderie, je m’y suis engagé, j’ai eu mon diplôme à l’école de l’armée de l’air puis après je suis arrivé dans le département de l’Aveyron où mon frangin a quitté deux ans auparavant. Quand on arrive dans des provinces comme ça où on n’a pas de famille à côté c’est les associations, tout ce qui est regroupement, le sport etc… où on s’intègre pour pouvoir connaître du monde et puis faire le reste. Je jouais au rugby qui est aussi un sport d’intégration. Puis j’ai rencontré ma femme, voilà. Une fois intégré à Sainte Juliette sur Viaur aux côtés de mes beaux parents j’ai souhaité participer à la vie de la commune et ce depuis 2008 ou j’ai été élu en 9ème position sur une liste de 15, déjà conseiller municipal dans le précédent conseil, pour aujourd’hui arriver à briguer ce poste de Maire.
Le Temps : Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter le pays ?
S.W : Pour vous dire la vérité par rapport à mon départ du Togo et à mon arrivée ici, c’était par les circonstances d’un concours que j’ai passé quand j’étais en classe de Terminale au lycée de Tokoin (l’un des principaux établissements secondaires de Lomé, NDLR), pour le compte de l’armée togolaise. J’étais parti pour étudier et mettre mon expérience acquise au service de l’armée togolaise. Quand j’ai fini mes années en France, j’étais retourné pour quelques temps. Par la suit j’ai décidé de retourner rester en France parce que je commençais à bâtir une vie autour de moi, je veux dire une famille et j’avais envie surtout de réussir ici.
Le Temps : Vous avez été élu au premier tour sur une liste qui n’était pas portée par les partis traditionnels. Parlez-nous de votre stratégie pour convaincre les électeurs et réussir cet exploit.
S.W : Moi je suis de la gauche, c’est une chose ; en aucun cas ceux qui ont accepté de venir sur ma liste n’ont été retenus parce qu’ils faisaient partie d’un parti quelconque. Je ne vais pas cacher que je suis de la gauche, ceux qui me côtoient le savent. Sur la liste qu’on a formée pour arriver à gagner c’était une liste apolitique, chacun avait le droit de voter ou d’avoir ses considérations philosophiques librement.
Le Temps : Il semble que vous étiez socialiste… ?
S.W : Oui, militant socialiste je le suis, c’est mon engagement personnel mais je n’aime pas transposer mon militantisme à la tête de la mairie de Sainte-Juliette et d’ailleurs pour une commune rurale qu’on est, on ne fait que la politique de la commune. Sur ma liste il ya des gens de la droite, de gauche et même du FN. Aujourd’hui c’est le rassemblement des compétences dans une commune pour gérer la commune. Moi je confirme que je suis de gauche et mes amis me le reconnaissent. Pour espérer gagner il a fallu que je le dise haut et fort parce que mon concurrent qui était en face, voulait baser sa campagne sur le fait que je sois de gauche ; mais j’ai pu convaincre en argumentant que beaucoup ont peur de la droite que de la gauche pour briguer un mandat dans le village mais que cette fois-ci ma liste était apolitique. Je dois vous avouer qu’avant d’en arriver là où je suis aujourd’hui, la politique et la participation à la vie de la communauté m’intéressaient. Je suis beaucoup les actualités. Mon choix de partir plus ou moins d’un coté ou de l’autre est une conviction personnelle. Ma conviction c’est l’humain. Je ne supporte pas que l’humain en soi soit aussi traité comme ça la été ce fut le cas sous le mandat d’un ancien président, dont je ne soutiens même pas la politique.
Le Temps : Quel sentiment avez-vous de diriger la mairie qui avait une fois refusé de célébrer votre mariage ?
S.W : Il faut du courage, ce n’est pas facile du tout. Mais ce n’est pas non plus infaisable. J’ai subi des affronts directs, en face, derrière, devant pour tout et partout. Ce qui m’a permis de continuer c’est le groupe d’amis que j’ai autour de moi qui ont réussi à me réconforter et je me suis dit pourquoi s’arrêter là, s’il n’y a que 10 ou 5% qui haïssent, prônent la violence et critiquent. Que dire alors des autres 90% qui ne sont pas comme eux. Cela m’a permis de rester à flot et de continuer à aller dans les fêtes de villages à avoir des copains dans les villages tout en demeurant militant dans les associations. J’ai eu une double éducation d’abord chrétienne en étant séminariste où il y avait le respect de l’homme et la crainte de Dieu qui se traduisaient par le respect des lois, règlements et de la personne en soi et du voisin. Ensuite l’éducation militaire où c’est le courage qui constitue la règle pour se mettre à l’idée de l’objectif de ce qu’on veut faire. Il y a trois choses qui ont été déterminantes pour moi : l’éducation chrétienne, militaire et l’entourage, les copains qui me voyaient en tant qu’humain mais pas en tant que noir ou étranger. Ce sont ces trois choses qui m’ont permis d’arriver là ou je suis aujourd’hui. Tout se fait ici sans rancune aucune.
Le Temps : Vous avez été sous les projecteurs après votre élection en tant que l’une des rares personnalités à être élue et devenir Maire d’une commune en France. Comment comptez-vous gérer votre commune ?
S.W : Etre élu comme ça dans un village qui m’avait accueilli il y a bientôt 20 ans je salue la mémoire de mon beau-père qui nous a quittés en 2005. C’est une victoire pour ceux qui sont arrivés ou ceux qui ont rattrapé cette belle France, comme on dit ici. Dans notre village on compte beaucoup plus sur les compétences que sur les jugements d’a priori. Nous avons autant de compétences ici qu’ailleurs. J’ai déjà commencé avec mes colistiers à inculquer à tous les notions de démocratie participative, de gestion participative de la chose publique. J’ai déjà mis sur pied un comité de pilotage de la ville composé de quinze membres pour accompagner les quinze élus dans la programmation et l’exécution des projets adoptés par le village.
Le Temps : Vingt-cinq ans plus tôt votre compatriote Kofi Yamgnane avait été élu maire en Bretagne. Son expérience aurait-elle joué dans votre choix ?
S.W : Beaucoup, beaucoup. Quand on était gosse on avait toutes ces personnalités en face qui nous donnaient espoir. Au cours primaire et partout Kofi Yamgnane était celui qui nous donnait de l’espoir non pas dans le sens de venir forcément en France mais c’est qu’il a fait un bon parcours en partant de son pays et en devenant maire dans un village breton. Je n‘ai pas cherché forcément à être comme lui mais ma vie de tous les jours et mes priorités allaient dans le sens de l’intégration pour tous.
Le Temps : Vous avez parlé avec lui depuis ?
S.W : J’aimerais beaucoup le rencontrer, discuter avec lui mais pour l’instant tout est nouveau pour moi. Je suis en train de m’installer et j’ai fortement besoin de lui. Je suis un peu déçu de n’avoir pas encore eu de ses nouvelles mais moi je ferai l’effort de chercher ses coordonnées. Si quelqu’un les as ce serait aimable de me les passer volontiers parce que ce sont nos grands frères, comme on dit en Afrique. (NDLR : contacter Le Temps qui transmettra : [email protected])
Le Temps : Quel souvenir gardez-vous du Togo, votre pays natal, vous arrive-t-il de regretter le Togo ?
Ah non, non je ne regrette pas en tant que Togolais. D’ailleurs à mon oncle (qui est un ancien député) j’ai dit l’autre jour que je suis assez fier que le Togo soit fier de moi et cela a donné un boom à cette population et à l’Afrique toute entière, aux diasporas en France et un peu partout dans le monde. Je suis Togolais avant tout, ce n’est pas parce que je suis né au Togo, ce n’est pas parce que j’ai la double nationalité ou autre que cela enlève de moi ce que j’ai vécu ou que j’ai grandi. Je suis fier d’être Togolais, fier d’être Français. Et c’est peut-être vers ce mélange de cultures que beaucoup de pays africains doivent envisager.
Le Temps : Vous êtes aujourd’hui Français, comptez-vous un jour revenir au Togo ?
S.W : J’avais quitté le Togo à 18 ans et j’y suis retourné en 2004 avec ma fille qui n’avait que 2 ans. J’ai revu mon pays, j’ai retrouvé la cuisine qui me manquait, j’ai gouté aux repas culinaires que je n’avais pas l’opportunité de manger ici ; j’ai vu les copains du séminaire, ceux du lycée. Pour moi, dès que je peux, le Togo sera une des destinations de mes vacances mais cela deviendra un peu compliqué parce que j’ai ma femme qui est d’origine réunionnaise, du coup on est partagé entre une année au Togo, une année en Réunion et une année en France, vous voyez que cela demande une bonne organisation.
Le Temps: Une carrière politique au Togo un jour, c’est envisageable pour vous ?
S.W : Sincèrement je ne dis pas oui je ne dis pas non mais aujourd’hui je ne sais pas. Si je peux aujourd’hui aider d’une quelconque manière mon pays ou les dirigeants du Togo je n’hésiterai pas. D’ailleurs j’attends également que notre cher président Faure m’invite ou que je puisse rentrer en contact avec lui et lui faire des propositions parce que je trouve que l’Afrique doit s’ouvrir aux Européens un peu plus que ce qui se fait aujourd’hui. Ma petite vie me fait moitié en France, moitié au Togo. Il y a beaucoup de bénévoles qui veulent aller aider l’Afrique. J’ai des propositions dans le sens de collaboration gagnant-gagnant. Je vois ici les agriculteurs à la retraite qui ne demandent que ça ; c’est d’avoir des facilités de visas pour aller apporter une expérience au niveau agricole et dans de multiples domaines dans mon pays.
Le Temps : Auriez-vous des conseils à donner aux candidats africains à l’aventure française ou européenne pendant que les lois sur l’immigration se durcissent ?
S.W : Il faut être prudent. Nous on était arrivé à une période où peut-être encore il y avait du travail après les études mais aussi on a appris à faire le travail que les gens ne voulaient pas faire ; aujourd’hui l’on frôle près de trois millions de chômeurs en France, cela veut dire que la situation n’est plus comme avant et l’engouement de nos jeunes pour venir en Europe quel que soit le prix est un chemin jonché de calvaire. Attention tout n’est pas rose en Europe. Je ne souhaite pas que les jeunes ne viennent pas étudier. Certes il y a des universités très réputées ici avec un partage d’expériences mais il faut faire attention. L’Europe ne peut pas absorber tout le monde. Moi j’ai des copains qui ont eu la chance d’être nés ici qui ne s’en sortent pas même en ayant deux boulots. Il faut qu’on ait un discours de vérité et c’est cela notre rôle quand on retourne dans nos pays d’origine. Moi en 2012 quand j’étais retourné au pays on m’interdisait d’aller chercher de l’eau moi-même, on a mis à ma disposition une bonne, un chauffeur mais moi j’ai dit non parce que je n’ai pas ça en Europe ici. La vie en Europe n’est pas ce que nos jeunes pensent. Ce n’est pas de l’or à ciel ouvert.
La vie en Europe n’est pas ce que nos jeunes pensent. Ce n’est pas de l’or à ciel ouvert
Le Temps : Est-ce que vous suivez l’actualité togolaise, et les difficultés du pays sur le plan de la démocratie ?
S.W : J’avoue que non mais maintenant je commence à la suivre de près mais en même temps vous savez que la France a mis plus que cent ans pour arriver à une démocratie. Je ne supporte ni ne critique aucun parti politique. Je pense que ce qu’on doit retenir de l’expérience européenne c’est la discussion, le dialogue et que du pouvoir tous les Togolais se sentent concernés. Si j’ai l’occasion de repartir au pays mon discours c’est que nous ne sommes plus dans l’ère de dire je suis d’Atakpamé, de Lomé, sudiste… ; on est tous des Togolais après tout mais avant tout des humains. Toutes les situations politiques en Afrique doivent se résoudre par une discussion, la participation active de chaque citoyen de chaque pays.
Le Temps : Auriez-vous un message à l’endroit de vos compatriotes togolais ?
S.W : Il y a ceux qui réclament un peu plus de liberté, de démocratie, de meilleures conditions de travail dans le pays, la répartition équitable des richesses. Ils doivent avoir de l’espace pour la lutte ! On vous a dit ou vous savez ce que le FN nous sert ici. Il ne suffit pas de réclamer, de critiquer, il faudra faire des propositions. Moi je travaille beaucoup sur ce que j’appelle un monde/projet, des enjeux, les analyses de situation et puis les solutions en face ; donc faisons-nous des propositions qui tiennent debout pour l’intérêt de tous les Togolais pour que tout le monde se retrouve. Les libertés, c’est vrai que je n’y suis plus depuis un moment, est ce que vraiment on n’a pas de liberté, je n’en sais rien, mais quelles sont les propositions que l’opposition fait ?
Quand on prend les hommes politiques c’set la même chose un peu partout, c’est des comptes colossaux en banque, les marchés publics gré à gré, etc. je ne dis pas de garder cette situation dans un statu quo au Togo, au contraire que le débat se fasse dans une compréhension et le respect mutuel. Il faut aussi faire attention il ya une classe très aisée au Togo et qui provoque la décence comme un peu partout en Allemagne, en France, en Russie, aux Etats-Unis, c’est les mêmes pratiques. Karl Marx parlait déjà de l’existence et de la guerre de ces classe en1848. Maintenant que ça se partage mieux comme la démocratie le permet de le faire ici en France et de dire ces choses, j’ai cru comprendre qu’au Togo la presse peut dire certaines choses par rapport à une époque.
Faisons du débat un débat togolais, disons les choses sans aller forcément à la confrontation. Faisons un débat constructif. Que feriez-vous si vous vous sentez menacé, Vous devenez agressif n’est ce pas ? Par contre si on vous met à l’aise et qu’on vous ouvre les yeux sur ce que vous ne voyez pas, vous aussi vous acceptez de vous améliorer. Ceci ne peut se faire que dans un débat constructif. Sinon on va tourner en rond et se mordre la queue. Mais quand un débat est constructif tout le monde y trouve son compte et on assoie une base pour toujours. Il ne faut pas non plus confisquer le pouvoir comme nos grands présidents avaient fait. Aujourd’hui il faut partager le pouvoir et intéresser le plus lointain citoyen de village. Je sais où vous voulez m’amener mais je ne veux pas donner raison au parti en place ni à l’opposition mais faisons de l’opposition constructive, de la gérance du pays une gérance participative et constructive.
Propos recueillis par J.G, correspondant en France.
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