Le Forum national du paysan togolais s’est tenu du 27 au 30 mars dans la ville de Kara. Devant les représentants du monde paysan, le ministre-colonel Ouro-Koura Agadazi a tenu un discours d’autosatisfaction où il mêlait allègrement le vrai et le faux. Décryptage.
Depuis 2009, plusieurs centaines des personnes provenant du monde rural participent à ce forum dont le but est de faire l’état des lieux de la situation de l’agriculture togolaise. La presse nationale rompue à couvrir les cérémonials d’ouverture et de clôture de ces événements, passent très souvent à côté des débats et de l’essentiel des préoccupations des participants, qui, il faut le noter, n’ont souvent pas froid aux yeux, exposent objectivement leurs préoccupations quant aux politiques agricoles mises en œuvre.
Cette fois, même le pompeux discours de la cérémonie d’ouverture du colonel-ministre Ouro-Koura Agadazi, n’a pas été exposé sous le regard objectif de journalistes avisés, alors qu’il s’agit d’un catalogue de mensonges cousus de fils blancs.
Une relecture de ce discours fait apparaître tout d’abord ce fait de communication : en dépit du changement de régime, les discours d’autosatisfaction sans relation avec les faits, qui avaient cours pendant l’ère du parti unique RPT, persistent toujours dans les habitudes des ministres.
Le Togo vit-il une période d’autosuffisance alimentaire ?
Voici ce qu’affirme le ministre :
Le Togo est du point de vue alimentaire auto-suffisant puisqu’il couvre l’entièreté des besoins de consommation de tous ses citoyens.
Pour étayer son argument gratuit, le ministre affirme :
Le Togo est pourvoyeur confirmé de denrées alimentaires à l’échelle sous-régionale et internationale puisqu’il dégage de façon soutenue et récurrente des excédents de productions. Cela s’est matérialisé par le contrat de fourniture de denrées alimentaires que le Programme Alimentaire Mondial a signé avec le Togo.
Le Togo autosuffisant ? Ça reste à être prouvé. Il ne faut pas aller vite en besogne. Certes, le pays dégage des excédents céréaliers, mais il faut préciser qu’il s’agit bien du maïs dont la production excède selon les propres chiffres du ministère, 50% de la production totale céréalière. Par exemple en 2011, sur 1058 milliers de tonnes de céréales produites, le maïs atteint 651 milliers, soit 61,15%, contre 243 milliers pour le sorgho, 112 milliers (riz) et 50 milliers (mil).
D’où effectivement la signature de deux contrats de vente avec PAM (2011 et 2014), pour servir les pays de l’hinterland (Niger et Mali) qui souffrent d’un déficit chronique de pluviométrie. Cette production quantitative céréalière a même eu des répercussions positives sur le prix du bol de maïs qui s’est stabilisé autour de 450 Cfa-500 CFA, contrairement à 2005 où il est allé jusqu’en 1.500 CFA. Le prix du bol du mil, malgré une forte consommation du tchoukoutou s’est aussi stabilisé. Il en est de même du sorgho. Le chef de l’Etat a reçu d’ailleurs une distinction de l’Organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO).
Une telle production suffit-elle à dire que le Togo est autosuffisant ?
Tout d’abord un fait vient démentir ce mensonge :
La malnutrition est l’un des défis majeurs que tentent de relever nombreux pays Africains, y compris le Togo. C’est dans cette logique que le Programme alimentaire mondiale (PAM) s’est engagé à développer une nouvelle méthode visant à évoluer de l’aide alimentaire à l’assistance alimentaire. Cette stratégie s’étendra sur une période de 4 ans, à savoir de 2014 à 2018. L’information a été portée à l’opinion hier lundi 3 mars à Lomé par le représentant résident du PAM au Togo, Jean-Charles Dei, selon notre confrère http://www.polemiqalement-votre.org/.
Dans le même article, il est écrit :
Il a indiqué que le PAM compte apporter son appui au gouvernement togolais afin d’éradiquer la faim et la malnutrition, notamment chez les plus jeunes. Pour sa part, le ministre de la Planification, Djossou Sémodji, a expliqué que la malnutrition touche encore près de 30% des enfants au Togo qui n’arrivent pas à s’offrir deux repas par jour . Cette aide du PAM est pour lui, vient à point nommé.
Quand on est autosuffisant, on n’est pas malnutri et le PAM ne vient pas en aide pour éradiquer la faim.
Ensuite, la malnutrition de la population s’explique par la paupérisation des masses rurales organisées par le colonel-ministre de l’agriculture et son ANSAT (Agence pour la sécurité alimentaire au Togo). Les masses paysannes productrices ne bénéficient pas de leurs productions à cause justement de ce système de traite mis en place par l’ANSAT et le ministère. Distribution clientéliste et à des coûts exorbitants des intrants, achat à très bas coûts des productions, refus de commercialisation, exploitation de la misère des paysans à travers des prêts scolaires à des taux usuraires.
A ce titre, voici ce qu’écrit dans la Revue économique et mensuelle, revue financée par la BAD en 2012, sous la plume de Lamboni Mindi, Secrétaire Général, Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche (MAEP), Togo et Lébénè Kougbenya, Directeur des Statistiques Agricoles, MAEP :
Les agriculteurs togolais sont traditionnellement engagés dans le commerce transfrontalier dans cette communauté de libre-échange. Dans ce contexte, la meilleure stratégie en matière de stabilisation des prix et de sécurité alimentaire réside dans la libéralisation des échanges. Il est donc important de lever l’ambiguïté entourant l’interdiction ou non d’exporter librement les céréales et d’éviter à ce que les procédures liées à l’exportation ne soient contraignantes
Aujourd’hui, le commerce des céréales est du ressort de l’ANSAT qui fonctionne comme l’ancien Office des produits agricoles du Togo (OPAT) sans en avoir les attributions ni les objectifs.
Dans son discours, le colonel-ministre avance encore ceci :
Le train de l’industrie agroalimentaire est lancé puisque le territoire regorge en son sein de plusieurs initiatives de promotion de l’entreprenariat rural.
En fait, d’industrie agroalimentaire, le ministre parle des Esope, de petites unités artisanales de transformation sans avenir pilotées par des paysans, et mises en place par une ONG ETD (Entreprise territoire et développement). Des unités dont certaines fabriquent par exemple des jus de fruit à peine vus sur le marché, et fortement concurrencés par les boissons des multinationales occidentales. Ces petites unités mises en exergue sont en réalité le cache sexe d’un manque de vision d’un ministère, qui en dépit du PNIASA, un programme de développement agricole de plusieurs dizaines de milliards, ne trouve pas les ressorts psychologiques pour la mise en oeuvre d’une agriculture moderne.
La part de l’agriculture dans le budget togolais n’est en moyenne que de 5%, alors que cette agriculture contribue à 31,3% du PIB. Il devrait être porté à 10% du budget à l’horizon 2030, pour que le Togo soit un pays émergent ! De l’analyse globale des statistiques, il ressort que les surfaces cultivées sont de 25% alors que la superficie cultivable est de 60%. Mais le code foncier en élaboration est source de nombreux conflits. Alors que les étrangers sont interdits d’être des propriétaires terriens, plusieurs hectares seraient vendus par l’Etat à des Chinois pour en faire des zones agricoles. Le code permet également au citoyen d’acheter plus de 1000 hectares de terrain, dans un pays où la superficie n’est que de 56.600 Km2.
Tous ces échecs ne m’émeuvent aucunement le ministre, qui a dressé un bilan positif de son action et du Forum national des paysans, tout en en profitant pour lancer la campagne agricole 2014-2015. Avec l’appui du Fonds international pour le développement agricole (FIDA), le gouvernement vient de réceptionner 1500 engins dont 460 égreneuses à maïs, 150 batteuses vanneuses de riz, 65 décortiqueuses de riz, 250 râpeuses et presse manioc, 350 bâches agricoles. A cela viendront s’ajouter des motoculteurs et des multi-culteurs à bœufs. La facture est de plus d’un milliard de Fcfa.
Allez savoir à quel prix les paysans le payeront.
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