« En bloquant le carburant au Mali, le JNIM est déjà dans un djihad économique contre les autres pays de la région », décrit Bakary Sambe, président du Timbuktu Institute et enseignant-chercheur. Depuis de longues semaines, Bamako vit au rythme de pénuries d’hydrocarbures, savamment entretenues par ce groupe terroriste. Pourtant, la ressource continue d’être acheminée depuis certains pays voisins, parmi lesquels la Côte d’Ivoire.
Fort de sa façade maritime, Abidjan joue un rôle de premier plan dans l’approvisionnement d’un Mali enclavé et sans production pétrolière. À titre d’exemple, le pays demeure la première destination d’export terrestre de la Société ivoirienne de raffinage (SIR). En 2023, Bamako représentait 22 % des exportations de l’entreprise semi-publique. Depuis la découverte et la mise en service du gisement off-shore Baleine, la tendance s’est accélérée. En 2024, la production ivoirienne de pétrole brut a ainsi passé le cap des 16 millions de barils, soit une augmentation de 50 % par rapport à l’année précédente.
Plus largement, les douanes ivoiriennes identifient le Mali comme premier acheteur de produits pétroliers non brut (essentiellement du carburant) en provenance de Côte d’Ivoire. Selon les données les plus récentes, Bamako monopolise plus de 54 % des exportations de pétrole déjà transformé.
Pour superviser la distribution du produit national, l’État dispose de la Direction générale des hydrocarbures (DGH) rattachée au ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie. En bout de chaîne, c’est la Gestoci, en charge des stocks pétroliers, qui gère la distribution aux acheteurs. Une composante devenue névralgique pour l’approvisionnement malien.
Vers le Mali, un ravitaillement 100 % routier
Car les camions-citernes qui d’ordinaire relient les deux pays traitent directement avec la Gestoci. « Tous les véhicules à destination du Mali dépendent du dépôt de Yamoussoukro », assure une source ivoirienne du secteur. Depuis 2013, l’immense site en périphérie de la capitale administrative est connecté à Abidjan via un oléoduc long de 385 kilomètres. Un gain de temps et d’argent qui, au fil des années, a conforté l’avantage comparatif de la Côte d’Ivoire vis-à-vis du Sénégal. Depuis Bamako, Yamoussoukro n’est distante que de 885 kilomètres ; contre environ 1 300 pour Dakar.
Contrairement au Burkina Faso qui connaît encore une offre de fret ferroviaire depuis Abidjan, l’acheminement de pétrole vers le Mali est lui 100 % routier. « La totalité du transport d’hydrocarbures vers Bamako est opérée par des entreprises maliennes et des chauffeurs maliens », assure ce même interlocuteur. Mais depuis le début du blocage djihadiste, des citernes ivoiriennes transportant des produits chimiques ou du bitume ont fait les frais d’attaques indiscriminées.
« Vu de l’intérieur, l’axe reliant Dakar à Bamako a été le plus visé par les attaques djihadistes, précise une source travaillant pour des opérateurs industriels installés au Mali et grands consommateurs de carburant. Bien que la situation sécuritaire soit aussi dégradée au Sud, l’axe Yamoussoukro-Bamako reste en l’état le plus sûr, poursuit cette dernière. » Dans les faits, un tel resserrement a renforcé la pression autour du corridor Côte d’Ivoire-Mali.
Un frein aux exportations ivoiriennes ?
Si aucun défaut de capacité n’est à déplorer côté ivoirien, la situation au Mali pourrait, par ricochet, affecter le volume d’exportation. Selon un représentant syndical des transporteurs d’hydrocarbures, « les chauffeurs de citernes refusent désormais de courir le risque d’une attaque ». Peur de s’aventurer plus loin, plusieurs centaines de poids lourds stationnent à Kadiana, une localité malienne à moins de 30 kilomètres de la Côte d’Ivoire. « Si la pression djihadiste ne faiblit pas et que les chauffeurs maliens prolongent leur refus de rouler, l’axe stratégique Côte d’Ivoire-Mali pourrait se tarir », abonde ce même cadre.
« Au vu des tensions sur le plan politique entre la Côte d’Ivoire et le Mali, le sujet est très sensible. S’il reste tôt pour mesurer les conséquences du blocage, celui-ci aura nécessairement un impact sur le secteur pétrolier ivoirien », concède une voix institutionnelle. En cas de complications durables, les exportations maliennes pourraient être reportées vers les autres grands acheteurs identifiés par les douanes ivoiriennes : le Burkina Faso, également en proie à la menace djihadiste, ou le Togo. Pour rappel, en 2023, l’équivalent de 2 milliards d’euros de produits pétroliers non brut avaient été exportés depuis la Côte d’Ivoire vers les pays de la sous-région.
Dans un tel scénario, Bamako serait contraint de s’approvisionner ailleurs. Le Niger voisin, membre de l’Alliance des États du Sahel (AES) a d’ores et déjà promis son aide. Mais le modeste producteur que constitue Niamey est lui aussi menacé par le péril djihadiste. Le 25 octobre dernier, Moscou promettait pour sa part plus de 160 000 tonnes de produits pétroliers livrés chaque mois. Un tel accord reste pour l’heure cantonné au stade de projet.
Le défi est d’autant plus grand pour la Côte d’Ivoire que son ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, Mamadou Sangafowa Coulibaly, vient d’être désigné président de l’Association des pays producteurs de pétrole africains (Appo).
Le Point
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