L’Eglise catholique apostolique romaine du Togo est-elle un allié du régime? La question se pose depuis hier avec l’annulation par l’Eglise de la conférence-débat du Front Touche-Pas-A-Ma-Constitution devant se tenir à Brother Home ce mercredi 18 décembre 2024.
La conférence-débat sur le thème «Gouvernance et changement de Constitution : Impact sur la cherté de la vie, les libertés publiques et la vie politique» ne se tiendra plus ce 18 décembre. Et pour cause, l’administration de Brother Home exige une autorisation écrite du ministère de la Décentralisation et des Collectivités locales.
Pourtant, les organisateurs déclarent avoir, conformément à loi sur les conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation, effectué les démarches légales. A savoir : le dépôt d’une lettre d’information auprès du ministère de l’Administration Territoriale, le respect du délai légal de déclaration préalable. «Cette lettre d’information n’a fait l’objet d’aucune objection de l’autorité administrative», soulignent les organisateurs.
Alors, pourquoi l’administration de Brother Home exige-t-elle une autorisation?
«L’administration de Brother Home, sous pression manifeste, exige désormais une autorisation ministérielle écrite, alors même que la loi ne prévoit qu’un régime déclaratif et non d’autorisation», informent les organisateurs.
Or, le collectif ne peut produire une telle autorisation, le ministère de la Décentralisation n’étant pas tenu légalement à produire un tel document. Sur insistance du collectif, qui évoque avoir organisé à plusieurs reprises des manifestations dans les salles de Brother Home, l’administration dudit lieu affirme que «l’instruction a été donnée par le ministère».
«Cette manœuvre s’apparente à une censure déguisée, en contradiction totale avec les principes constitutionnels de liberté de réunion et d’expression», souligne le Front. Le Collectif dénonce « dénonce aujourd’hui une entrave caractérisée à l’exercice des libertés publiques, illustrant un nouveau cas de restriction déguisée du débat démocratique.»
Qui a donné l’instruction d’annulation ?
Cette annulation est loin d’être une première. Il y a quelques semaines, un précédent troublant avait eu lieu avec l’annulation par la paroisse Saint-Augustin d’Amoutiévé d’une rencontre de la DMP avec le député sénégalais Hervé Guy Sagna. Le mode opérationnel est le même de la part de l’église. Une réservation de la salle, la démarche en bonne et due forme des organisateurs, puis une annulation la veille de la manifestation. Et enfin des explications alambiquées de l’administration du centre catholique. Et les organisateurs laissés sur le carreau.
Que des pressions hostiles aux oppositions au régime soient à la base de l’annulation, il n’y a aucun doute. Mais les pressions viennent de quelles entités voire de quels acteurs? Est-ce des acteurs politiques ou des acteurs religieux?
Qui a donné les instructions pour annuler la conférence-débat? Le Front Touche-Pas-A-Ma-Constitution, qui entend éclaircir le mystère en allant rencontrer la Conférence épiscopale, se pose des questions inquiétantes, lancinantes. « L’Eglise catholique, a-t-elle reçu cette instruction par écrit » ? « L’Eglise catholique sait-elle qu’une telle démarche de la part du ministère est illégale et anticonstitutionnelle » ? « L’Eglise, en appliquant à la lettre une instruction manifestement illégale, ne se rend-elle pas complice d’un abus de pouvoir caractérisée » ? « La doctrine sociale de l’Eglise, n’est-elle pas de protéger les plus faibles » ?
Malgré la publication d’une lettre pastorale en avril 2016 en faveur de la démocratie et du déverrouillage du système politique pour une alternance, l’Eglise catholique est traversée par des courants contraires – une partie du clergé semble favorable au pouvoir. Les dissensions sont apparues avec le soutien l’ex archevêque émérite, Mgr Philippe Fanoko Kpodzro à un candidat dit de l’opposition à la présidentielle de février 2020, et le désaveu silencieux de ses collègues de la Conférence épiscopale. Face à l’ire du pouvoir quant à l’attitude hostile de Mgr Kpodzro, certains évêques auraient plaidé devant l’entourage du chef de l’Etat, la démence de l’archevêque.
Le pouvoir s’est d’ailleurs revanché de Mgr Kpodzro en ne participant à ses obsèques, mais aurait financé les obsèques de Mgr Barrigah-Bénissan et apporté sa caution morale par la participation d’une forte délégation. Et les mauvaises langues disent d’ailleurs que pour une démonstration de cette soumission de l’Eglise au pouvoir, le chef de l’Etat s’était fait désirer à ses obsèques en accusant un immense retard.
L’Eglise est -elle un soutien inavoué du pouvoir ?
Cependant ce sont les liens entre une partie du clergé et des membres du régime que dénoncent en privé certains laïcs. On parle du mariage du sabre et du goupillon. Tel évêque ou tel prêtre seraient proches d’un tel dirigeant du parti UNIR au pouvoir. Ainsi évoque-t-on souvent les liens forts entre la Première ministre Victoire Dogbe-Tomegah et l’actuel administrateur apostolique de l’archidiocèse de Lomé, Mgr Isaac Gaglo, évêque d’Aného. Curieusement, les refus des manifestations dans les centres interviennent depuis que l’évêque d’Aného a pris ses quartiers archidiocésains à Lomé. Une situation qui fait craindre la probable nomination de Mgr Isaac Gaglo comme le prochain archevêque métropolitain du Togo.
Très conservateur et à cheval sur la morale, ignorant de la chose politique, Mgr Isaac Gaglo serait, à tort ou à raison, très peu sensible à la situation politique du Togo. Pendant les consultations de la CVJR, l’évêque d’Aného aurait par exemple mis les bâtons dans les roues de feu l’archevêque Nicodème Barrigah-Bénissan. Ce dernier, président de la CVJR et évêque d’Atakpamé à l’époque, n’était pas accueilli dans le diocèse d’Aného et devait venir se reposer chaque soir à Lomé. La nomination d’un tel évêque bienveillant envers le système pourrait placer l’église sous la coupe du régime, comme ce fut le cas du premier archevêque métropolitain, Mgr Robert-Casimir Dosseh-Anyron, au cours des années 1967-1991.
Pour certains fidèles, la situation est bien plus grave. Le pouvoir ferait des dons en espèce à chaque évêque, soit 10 millions CFA, et 3 millions CFA à des prêtres considérés comme amis. On évoque également la mise sur la touche de prêtres réfractaires au pouvoir, sans oublier des affaires de scandales sexuels qui éclabousseraient l’église et compromettent son action.
Tout cela se produit à l’orée de mai 2025, où Faure Gnassingbe rêve d’un sacre comme président du Conseil d’une Vème République grâce à une constitution taillée sur mesure. Les oppositions togolaises se demandent si l’église catholique, considérée en principe comme première force de la Société civile, espèrent que l’église osera jouer son rôle de contre-pouvoir et de boussole morale dans cette période troublée. Cependant, des prêtres disent en privé que l’église catholique du Togo n’opérera aucun sursaut moral. Le ver est dans le fruit.
En savoir plus sur Le Temps
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Laisser un commentaire