Le donquichottisme de Monseigneur Kpodzro va finir une seconde fois à pousser le peuple togolais à prendre l’ombre pour la proie.
Comment Mgr Fanoko Philippe Kpodzro est-il arrivé présenter Agbeyome Kodjo, l’ancien premier ministre d’Eyadema comme candidat « unique » de l’opposition ? L’annonce dans la soirée de la Saint-Sylvestre de la candidature de M. Kodjo comme candidat unique de l’opposition, à la stupéfaction générale de l’opinion nationale, passerait pour un travail de sélection ardu de l’archevêque émérite. En réalité, il n’en est rien. Le choix d’Agbeyomé Kodjo est fait depuis longtemps, bien des mois avant. Certes, en décembre 2019, le prélat avait rencontré certains acteurs politiques dont Jean-Pierre Fabre, le président de l’ANC, pour faire valoir sa préférence pour l’option d’une candidature unique de l’opposition à la présidentielle 2020. Il a d’ailleurs mis en avant les critères de choix du candidat, dont les principaux sont « l’expérience en matière de gouvernance administrative et politique », l’entregent diplomatique et un profil rassurant pour l’armée.
Selon certaines indiscrétions, le prélat avait son plan en poche depuis sa première rencontre avec l’opposition pour s’enquérir des tenants et aboutissants de la dislocation de la C14. C’était déjà les premières rencontres avant les élections locales de juin 2019.
Tous les entretiens avaient lieu en présence de celui qu’il présente comme son secrétaire, Marc Mondji, ancien journaliste à LCF. Ancien collaborateur d’Edem Kodjo et d’Agbéyomé Kodjo. Cela n’a pas été difficile pour le prélat de savoir ce qu’il en est des problèmes de la C14. Les responsables de la coalition, à l’exception de quelques-uns, s’étant livrés comme des garnements frustrés à un déballage en régle. Irresponsabilité quand tu nous tiens.
Puis, Monseigneur attaque la question de la présidentielle 2020 et son souhait d’une candidature unique.
Mgr Kpodzro, dans ses interventions publiques, est revenu à plusieurs reprises sur la réaction des leaders de la défunte coalition des 14 partis politiques. D’après lui, chacun voulait être l’heureux candidat unique choisi. En réalité, ce n’est qu’une partie de la vérité. Certains leaders ont eu le courage de mettre en garde l’ancien président de la conférence nationale sur la délicatesse de sa mission.
Il serait extrêmement difficile de faire revenir les aspirants candidats sur leur décision. Par contre, suggèrent-ils au prélat, vous pouvez rassembler toutes les candidatures déclarées ou en puissance et leur proposer un pacte de non-agression, la mutualisation des ressources pour la surveillance des élections et le soutien au second tour du candidat de l’opposition le mieux placé. Si vous voulez que votre mission réussisse, il faudrait vous mettre au-dessus de la mêlée et jouer la carte de rassembleur .
Humble, le prélat répond: « Je vois que votre souci est que l’effort que je suis en train de faire ne soit pas vain. Mon idée à moi, c’est l’union de la coalition élargie à d’autres. Je ne vais pas me prononcer dans l’immédiat sur votre proposition. »
Sur ces entrefaites, intervient Marc Mondji. Prenant Monseigneur pour un oublieux voire un vieillard gâteux, il soutient que Monseigneur n’a pas dit l’essentiel et qu’ils ont des confidences à la fois dans le milieu diplomatique et surtout des gens du pouvoir, à savoir que la candidature unique est LA solution pour avoir le pouvoir.
« La question de la candidature unique ou de candidatures multiples n’est-elle pas un faux débat dans la mesure où l’opposition soutient avoir toujours gagné les élections aussi bien en rangs serrés qu’en rangs dispersés? » demandent deux interlocuteurs dont nous avons eu reçu compte-rendu de la rencontre.
Réponse de Mgr Kpodzro qui lit le latin dans le texte: « in verbo autem tuo laxabo rete« . Maêtre sur ta parole, je jetterai les filets (Luc 5,5). C’est le seul verset qui m’a incité à devenir prêtre. » Et le prélat de demander aux hommes politiques d’avoir la foi, à l’image de l’apôtre Pierre qui dit à Jesus: »Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre; mais, sur ta parole, je jetterai à nouveau les filets ». Et l’archevêque émérite de conclure:
« Quand manque la technique, quand les possibilités humaines font défaut, c’est la parole du Christ. »
Agbeyomé était dans les petits papiers de Kpodzro depuis le début
On ne saura peut-être jamais comment le prélat a-t-il pu être convaincu que seul un ancien du régime pouvait apporter le changement. Est-ce le scénario RD congolais, un changement qui ne change pas ? Toujours est-il que dans ses critères de sélection, on comprit qu’Agbeyomé Kodjo était son choix. Il y avait Pascal Bodjona, François Boko et Agbeyomé Kodjo comme anciens du régime. Mais Marc Mondji confiera plus tard à certains responsables politiques que même au sein de l’armée, on ne désirait plus un Kabyè à la tête du pays. L’information paraissait grotesque mais le prélat et son secrétaire devaient être dans le secret des dieux.
Quels tests objectifs simples et rudimentaires, pour parler comme Walter Lippmann, ont pu permettre à Monseigneur Kpodzro d’identifier dans le débat actuel que la candidature d’Agbeyomé Kodjo mérite le plus le soutien du public ?
Le choix de Mgr Kpodzro s’explique-t-il ? Oui. En fait, malgré son grand âge, on peut avancer sans conteste qu’il n’est pas victime de gâtisme. Maladif dans sa jeunesse, Mgr Kpodzro reste pourtant un homme solidement bâti. Ce n’est donc pas de son esprit qu’il serait la victime mais de son cœur. Le donquichottisme de Mgr Kpodzro n’est plus à démontrer. Nanti d’une certaine naïveté, son sentimentalisme le pousse à être manipulé. Sa place dans l’histoire politique de ces trente dernières années reste à étudier sérieusement. Et on pourra constater que sa non maîtrise des débats pendant la conférence nationale, sa tendance à être toujours de la mêlée au lieu d’être au-dessus, n’a pas du tout aidé le combat pour la démocratie.
Pour quelles raisons Agbeyomé Kodjo est-il candidat ? Tout cela est un mystère. Comment un candidat qui a appelé à voter Faure Gnassingbe en 2015, qui s’est enfermé dans un silence sépulcral pendant les manifestations populaires d’août 2017 à 2018 et qui a participé aux législatives boycottées par l’opposition et siège à l’Assemblée nationale, peut aujourd’hui se prévaloir de représenter ce même peuple dont il a ignoré les revendications ? Comment un homme politique qui n’a jamais gagné que des élections boycottées par l’opposition et monopartisanes, peut prétendre aujourd’hui, sur la base d’une alliance avec des micro-partis, rassembler le peuple togolais derrière lui ?
De but en blanc, certains pensent qu’il s’agit d’une des manœuvres politiciennes dont l’ancien premier ministre a l’habitude. Apparemment, la candidature de M. Kodjo a pour objectif inavoué de détruire celle de Jean-Pierre Fabre. Par conséquent, ce n’est pas le pouvoir présidentiel que convoite Agbeyomé Kodjo mais bel et bien la deuxième place et le rôle de chef de file de l’opposition.
A l’instar d’autres candidatures d’anciens de la C14, celle d’Agbeyome Kodjo exprime la déperdition d’une classe politique désespérée de son combat et finalement convaincue de satisfaire plutôt des intérêts inavoués, laissant à l’abandon un peuple qui a pourtant consenti d’énormes sacrifices. Sinon comment comprendre que des partis politiques incapables de payer 1 million CFA pour les manifestations de la C14, aient pu trouver 20 millions CFA pour payer la caution d’une présidentielle ?
On peut parier que les quatre autres candidats de l’opposition, s’ils ne poursuivent pas des objectifs personnels, sont des candidatures suscitées par Agbeyome Kodjo et qui pourraient se rallier à lui dans les derniers instants en vue de légitimer et de crédibiliser sa candidature.
Ceux qui n’ont jamais vu Usual Suspects écrit par Christopher McQuarrie et réalisé par Bryan Singer, devraient rapidement chercher à le voir.
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